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Adrien et Johanna, dépassés par l’augmentation des charges : « On calcule tout, c’est épuisant »

Adrien et Johanna vivent à Schiltigheim dans un HLM d’Alsace Habitat, tous deux en situation de handicap et avec des revenus proches du SMIC. Entre inflation et hausse des charges, ils éprouvent un fort sentiment de déclassement.

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Adrien et Johanna, dépassés par l’augmentation des charges : « On calcule tout, c’est épuisant »

Au troisième étage d’un immeuble rue de la Moselle à Schiltigheim, Adrien et Johanna Elter nous accueillent dans leur salon. Au mur, une grande photographie montre les deux trentenaires, tout sourire, en habits de mariage. « Vous avez vu, en montant à l’étage ? Il y a quelqu’un qui est en train de réparer l’ascenseur. » Comme pour lui donner la réplique, la sonnette de l’appartement retentit. Adrien dirige alors son fauteuil roulant vers l’entrée, disparaît dans le couloir, puis revient, sourire aux lèvres. « C’est bon, il marche de nouveau. » La fin d’un calvaire de trois semaines.

Mais le couple reste préoccupé par sa situation financière : l’augmentation des charges locatives pèse sur leur quotidien. Comme de nombreux locataires du bailleur social Alsace Habitat, ils ont reçu l’année dernière des rappels de charges exorbitants, qui dépassent souvent le millier d’euros. Malgré la mobilisation de différents collectifs, la situation perdure en 2024, et de nouvelles factures démesurées arrivent.

Revenus salariés et allocation adulte handicapé.

Adrien occupe un emploi à mi-temps dans la grande distribution, à raison de 17 heures de travail par semaine, il gagne autour de 700€ par mois. Handicapé depuis sa naissance, il doit se déplacer en fauteuil et reçoit l’allocation adulte handicapé (AAH). Une somme de 848€ s’ajoute ainsi à ses revenus salariés. Johanna, est actuellement sans emploi, hémiplégique et contrainte, elle aussi, de se déplacer en fauteuil roulant. Elle perçoit l’AAH pour un montant de 1 220€.

« J’ai travaillé à temps plein par le passé, mais ma santé s’est dégradée, j’ai dû prendre un mi-temps thérapeutique, puis finalement arrêter de travailler. Aujourd’hui, je suis en train de monter une boutique en ligne de vente de bijoux. »

Adrien Elter, 39 ans, salarié dans la grande distribution.

Le couple gagne ainsi 2 748€ chaque mois, l’équivalent de deux SMIC. Leur trois pièces leur coûte 472€ par mois, auxquels s’ajoutent 165€ d’acomptes sur charges. « On a de la chance d’avoir un système d’aide comme l’AAH, explique Adrien. On pourrait se dire qu’on est un peu privilégié, mais il ne faut surtout pas qu’on bouge en termes de revenus salariés, sinon même en travaillant plus, on gagnerait moins au final. »

Le trentenaire explique son attachement au maintien d’une activité professionnelle, pour « se sentir utile. » Il reconnaît, pourtant, ne pas pouvoir travailler beaucoup plus, tant pour des raisons médicales que financières. Depuis quatre ans, il sent une pression sur ses revenus :

« Dans la grande distribution, je suis au cœur du problème, je vois les prix en caisse qui s’envolent depuis la crise sanitaire, surtout avec la guerre en Ukraine. »

Johanna Elter, 34 ans, sans emploi en reconversion.

1 200 euros de rappel de charges

« Nos difficultés se sont vraiment accentuées l’année dernière quand on a reçu le décompte des charges », témoigne Johanna. À l’automne 2023, le couple doit ainsi payer près de 1 000€ au bailleur social Alsace Habitat au titre des charges de l’année 2022. « Ça n’était jamais arrivé depuis 12 ans que je suis dans l’appartement, ils nous ont dit que c’était à cause de l’augmentation des prix de l’énergie », détaille Adrien. Johanna complète :

« On s’est servi de notre épargne pour régler et on s’est mis à faire très attention, on espérait vraiment être dans le positif cette année. »

Malgré les 2 000€ d’acomptes versés par le couple, ils viennent de recevoir un nouveau rappel de 1 200€ à la fin du mois d’octobre de cette année. « On va, à nouveau, payer avec notre épargne, mais il ne nous restera plus rien. »

Adrien et Johanna ont reçu cette année un rappel de charges de 1 200 euros.

Entre explosion des charges locatives et inflation, Adrien témoigne de la dégradation des conditions de vie du couple :

« Nos revenus n’ont pas bougé, mais tout est devenu plus cher, on renonce à plein de petits plaisirs. On se dit que ce sera pour plus tard, mais on se ment à nous-mêmes, on sait au fond de nous que ce ne sera pas le cas. »

Johanna, de son côté, cherche les économies partout où elle le peut ;

« On ne chauffe plus l’appartement sauf quand on reçoit du monde, on minute le temps sous la douche, on a changé nos opérateurs téléphoniques et internet et il m’arrive même de sauter le repas du midi. »

« On calcule tout, complète son époux. On n’est jamais détendus, psychologiquement, c’est éprouvant. »

« On s’est retrouvés comme emprisonnés chez nous »

Johanna

Pour ajouter au désarroi du couple, l’ascenseur de l’immeuble est tombé en panne pendant trois semaines. « On s’est retrouvé comme emprisonnés chez nous », explique Johanna. Le couple doit alors demander aux voisins de leur faire des courses et de descendre leurs poubelles :

« Adrien a aussi loupé des jours de travail. Finalement, on a dû demander aux voisines de porter son fauteuil pendant qu’il descendait les trois étages sur les fesses pour aller bosser. »

Une situation difficile à vivre pour le trentenaire, « Ce n’est pas simple de dépendre de quelqu’un, j’avais l’impression d’être redevenu un enfant. » Johanna, elle, est totalement bloquée, son fauteuil électrique est trop lourd pour être déplacé à la force des bras :

« J’ai loupé des rendez-vous médicaux, mais le plus dur, c’est le moral. On s’est beaucoup fâché avec Adrien parce qu’on était tous les deux à cran. » 

Johanna et Adrien habitent au troisième étage, sans ascenseur il leur est presque impossible de sortir.

À force d’appels quotidiens à Alsace Habitat, la situation s’est débloquée. « On a senti qu’ils avaient mis la pression à leur prestataire, mais ça a quand même pris trois semaines », détaille Johanna. Adrien, lui, va rattraper les jours de travail perdus et préfère voir le positif : « ça a créé un élan de solidarité dans l’immeuble. » Tous deux espèrent que ce problème d’ascenseur sera réglé définitivement. Quant à la question financière, le trentenaire préfère ne pas nourrir trop d’espoirs. « À force de faire attention à tout, ça va devenir une habitude. On n’aura plus l’impression de se priver. »


#Charges locatives

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