Derrière les urgences, les Ehpad et les domiciles de personnes âgées constituent le deuxième « front » de la « guerre sanitaire » contre l’épidémie de Covid-19. Et ici, le coronavirus est une question de survie.
Au vu du débordement des hôpitaux haut-rhinois, les cas suspects de plus de 70 ans ont peu de chance d’être admis en réanimation, faute de lits ou de respirateurs disponibles. Dans le secteur de l’aide à la personne, le personnel se mobilise pour sauver les aînés malgré le manque de moyens humain et de matériel.
Pénurie de masques, personnel contaminé
Directrice de l’établissement Saint-Arbogast à Strasbourg, Michèle Keiling passe son temps au téléphone à la recherche de masques. En plus de la protection de ses résidents, la responsable doit éviter à tout prix une contamination de son personnel, indispensable à la continuité des soins. Dans la journée du mercredi 18 mars, un test était prévu pour un salarié de la structure. Selon le Conseil départemental du Bas-Rhin, une vingtaine des 138 Ehpad du territoire sont concernés par la contamination d’une partie des employés.
En cette période de confinement, les résidents d’Ehpad requièrent du personnel supplémentaire. Désormais, les repas et les animations collectives ne sont plus autorisés. Il faut donc amener des plateaux repas dans chaque chambre, faire des visites individuelles toute la journée… Confrontée à la fin des visites extérieures, Michèle Keiling rappelle qu’ »en temps normal la venue des familles ou de bénévoles constitue une aide bienvenue pour le personnel soignant. »
Frédéric Bierry : « un enjeu de survie »
Le Conseil départemental du Bas-Rhin explore plusieurs pistes pour pallier les contaminations du personnel soignant. Frédéric Bierry (LR), président du Département, assure que « face à cet enjeu de survie, je ne compte pas les investissements. Nous avons fait appel à une agence intérimaire spécialisée dans les personnels de santé. De plus, 18 pompiers se sont déclarés volontaires pour aider dans les Ehpad. Concernant les médecins traitants touchés par le virus, nous allons développer la télémédecine pour qu’ils puissent continuer d’assurer des consultations. »
Psychologue dans deux Ehpad alsaciens, Carine (le prénom a été modifié) a vu des aides-soignantes fondre en larmes ces derniers jours. Le personnel des Ehpad et de l’aide à domicile subit actuellement une charge émotionnelle et mentale lourde. Aide médico-sociale dans une maison de retraite strasbourgeoise, Julie (le prénom a été modifié) décrit « ce stress, cette crainte de passer à côté des symptômes »… et ainsi de mettre en danger tous les résidents de la structure.
La question de la fin de vie
Face à des personnes âgées contaminées, le personnel soignant des Ehpad sera contraint d’estimer les chances de survie du résident positif au Covid-19. Dans un rapport daté du 14 mars, la Haute autorité de la santé publique recommande aux maisons de retraite de préparer « une fiche LATA (limitation et arrêt de thérapeutiques actives) pour chaque résident afin d’établir le niveau de soins en fonction de la gravité. »
Selon plusieurs professionnels de santé contactés, cette fiche s’apparente aux directives anticipées concernant la fin de vie. En clair, les résidents de maison de retraite doivent avoir signé une déclaration concernant leur prise en charge par les urgences. En période de crise sanitaire, les autorités de santé cherchent à éviter un acharnement thérapeutique qui pourrait occuper des places de réanimation au détriment de cas plus légers.
Seules au front : les auxiliaires à domicile
Plus isolées encore, épuisées depuis des années, les auxiliaires ou les assistantes de vie assurent à domicile la survie des personnes les plus dépendantes. Ces femmes nettoient les aînés, elles leur donnent à manger, les habillent. Dans le Bas-Rhin, les visites de ménage ont été annulées pour limiter les risques de propagation du virus. Mais certaines interventions fondamentales doivent se poursuivre.
Pour des salaires autour du Smic, souvent en dessous à cause d’un temps partiel, Simone (le prénom a été modifié) continue de travailler malgré le manque de gel hydroalcoolique et le peu de masques distribués. « Nous, les aides à domicile, on est toujours un peu les oubliées… », souffle-t-elle avant d’exprimer sa principale inquiétude : contaminer la personne aidée…
En raison de la pénurie de masques, Lisa travaille aux domiciles de ses clients avec un foulard sur le bas du visage. Elle se déplace à pieds, du fait des transports publics perturbés. Mais l’auxiliaire de vie se pose déjà la question de l’après : « Si on doit intervenir chez des malades sortis de l’hôpital et en quarantaine chez eux, je n’ai pas forcément envie d’être en première ligne sans protection… »
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