« La Coop agit pour votre avenir. » Comme pour narguer un peu plus les salariés en grève, le slogan du groupe est affiché partout sur les semi-remorques qui encerclent le site de stockage de Reichstett. Leur avenir, justement, les salariés de Coop Alsace aimeraient bien le connaître. Hier jeudi, le PDG du groupe Christian Duvillet a annoncé par un simple communiqué de presse être parvenu à un accord avec Leclerc. Pour 60 millions d’euros, ce dernier entre à hauteur de 34% au capital de Hypercoop (la structure qui, au sein de Coop Alsace, regroupe 28 hyper et supermarchés) et devient majoritaire à 60% au sein de la foncière (société immobilière qui possède les murs des magasins). Désormais, Leclerc devient exploitant et propriétaire.
Cet accord, visant à éponger une partie des 120 millions d’euros de dette du groupe, ne devait normalement pas intervenir avant le 30 juin… « On l’a appris par la presse, la direction n’a même pas pris la peine de nous informer officiellement. Mais rien n’est fini, on peut toujours se rétracter », assure Laurent Hobel, représentant FO. Reichstett, la plateforme de stockage où transitent les produits vendus en magasins, pourrait être fortement impactée par ces accords. Et le syndicaliste d’expliquer : « 70% de notre activité est liée aux hypermarchés et aux Leclerc express. Dans un an, tout l’approvisionnement sera assuré par la centrale régionale de Leclerc ScapAlsace. Il ne nous restera que l’activité liée aux magasins de proximité, où nous vendrons désormais des produits Casino. » « L’outil va rapidement devenir trop gros. D’ici 2014, les 350 emplois à Reichstett, c’est fini », prédit Emmanuel, délégué CGT.
Qu’espèrent-ils aujourd’hui ? « On veut que le direction arrête de nous liquider, qu’on mettent tout à plat et qu’on réfléchisse ensemble à une vraie solution pour sauver la Coop », martèle Laurent Hobel. Jospeh Noga (CFTC), espère que les politiques « ayant voté des motions de soutien à la direction du groupe prendront enfin le temps de s’intéresser sérieusement à l’avenir du groupe et de ses 3000 emplois maintenant que les élections sont passées ».
« Où va-t-on aller ? »
André, un thermos de café sous le bras, semble sous le choc. Bientôt 40 ans qu’il est à la Coop, et il aimerait bien savoir où il sera demain :
«Il paraît qu’il (ndlr : le PDG) a signé hier, derrière notre dos, sans rien nous dire. On ne sait rien. Où va-t-on aller ? Et s’ils décident de m’envoyer dans un supermarché, loin… Je suis travailleur handicapé, je n’ai pas de permis. Il risque aussi de nous faire signer de nouveaux contrats, on va perdre notre ancienneté, nos primes. Qu’est ce qu’il nous restera ? C’est triste d’en arriver là. »
A ses côté, Serge, un drapeau FO roulé entre les mains se souvient du « discours de M. Zehr (ndlr : ex-PDG) à la cantine, quand les hypermarchés sont passés sous enseigne Leclerc. Il nous disait « ne vous en faites pas pour vos emplois », personne n’a lu les petites lignes, mais la direction savait ce qu’elle faisait ». Lui a commencé sa carrière en 1979, au siège à Port-du-Rhin. « Là-bas j’ai bien vu qu’ils ne travaillaient pas pour nous, pour redresser les finances de la Coop, mais pour eux. »
« Parler de nous une dernière fois »
Sur un bout de trottoir, un groupe de femmes discute, se souvient de l’accent de la standardiste qui, décrochant le téléphone, lançait un long : « La-Coopé-bonjour ». Ce sont « les administratifs », elles travaillent dans les bureaux attenant à la plateforme de stockage. « On est en train de se faire avoir. » L’heure n’est pas vraiment à la lutte.
« On aimerait que la direction prenne conscience que nous ne sommes pas qu’un matricule, arrête de ne penser qu’aux profits et se penche un peu sur l’aspect social du problème. La Coop vit à l’heure de sa naissance, elle est vieux jeu, sa mentalité n’a pas évolué depuis 100 ans. La grève ne donnera peut-être pas grand-chose mais au moins on parlera de nous une dernière fois… Bientôt la Coop n’existera plus. »
Elles racontent leur amertume, leur frustration : « Depuis un an, on ne figure plus sur l’organigramme, on est sur la sellette sans savoir ce qui nous attend ».
Pour Jacky, il faut « laisser la Coop aux Alsaciens ». Avec son collègue Gaëtan, ils vantent encore la qualité des produits vendus, presque nostalgiques, taclant au passage « la charcuterie Leclerc, immangeable ». La signature surprise de l’accord avec Leclerc, pour Jacky, « c’est dégueulasse de la part d’un directeur. C’est notre travail, notre dernier souffle. Aujourd’hui on n’a plus envie de se lever le matin ».
« Cela sent la fin, ils sont plus forts que nous »
Quatre employées affectées à la production disent n’avoir « plus d’espoir ». Leur histoire avec la Coop se compte pour elles aussi en décennies. « Il y a eu le plan de départs volontaires, mais on nous a dit d’attendre encore… On est restés et on s’est fait avoir. On se lève pour aller bosser mais jusqu’à quand ? Cela sent la fin, ils sont plus forts que nous », s’étranglent-elles.
Appuyés à la barrière Eric veut « conserver son emploi ». « Comment pourrait-on retrouver un emploi ? On n’a pas de diplôme et on n’est plus tout jeune, sur le marché du travail on ne veut pas de nous. La grève, on aurait dû la faire il y a deux ou trois ans. Mais à l’époque déjà on était mal informé, la direction ne communique pas. »
« Il faudrait que le mouvement prenne de l’ampleur, que les petits magasins suivent, les fournisseurs, insiste Olivier, délégué FO. On ne va pas attendre la mort sans se battre. » Aujourd’hui, il ne croit plus aux « promesses » de la direction, mais entend « montrer son attachement à la Coop et ses emplois ».
A la mi-journée, les représentants syndicaux sortent du bureau du DRH, Chritian Kuttler. « Rien de nouveau», lâchent-ils à l’assemblée. A l’unanimité, les grévistes votent la poursuite du blocage. La grève pourrait être reconduite, les salariés des hypermarchés rejoignent le mouvement mercredi.
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