Stacy, 16 ans, monte dans le train à Saint-Blaise-la-Roche (Bas-Rhin). En la voyant chercher le contrôleur, Alex (le prénom a été modifié) connait déjà la suite. Dans sa gare, l’adolescente n’a aucun moyen d’acheter un billet de train : pas de distributeur de billet, pas de guichet. PANG, en langage SNCF, signifie Point d’Accueil Non Géré. « L’application ne fonctionne pas… », s’excuse la jeune fille. Au lieu de payer son billet 3,70 euros, elle doit payer au minimum 10 euros, selon les nouvelles règles de tarification à bord, en vigueur depuis le 20 mars. Stacy n’a pas assez d’argent. Alors l’agent SNCF ferme les yeux et bricole un tarif permettant à la lycéenne d’éviter une amende de 100 euros… « Je ne vais pas pouvoir faire ça longtemps », annonce l’agent de Service Commercial Train (ASCT).
Jeunes et vieux en difficulté
Le train redémarre, direction Strasbourg. Il tangue parfois au milieu des forêts vosgiennes. Alex regarde le paysage défiler :
« Les usagers prennent ça pour du racket. C’est normal. Les personnes âgées n’ont pas internet, les mineurs n’ont pas de carte bancaire… Comment est-ce qu’ils doivent faire pour avoir un billet si même leur gare n’en propose pas ? »
Depuis mars, la SNCF applique une tolérance zéro pour les usagers du TER Grand Est sans billet. La nouvelle a pris les contrôleurs de court. Sans annonce préalable, une nouvelle tarification à bord est entrée en vigueur. Les agents de contrôle étaient en première ligne… « Tout est fait pour dissuader le voyageur de prendre un billet dans le train, explique Alex. Avec notre nouvel outil, il est impossible de faire payer le même tarif qu’au guichet. On peut utiliser un tarif exceptionnel mais on doit le justifier par la suite… »
« Nous rendre inutiles… »
Alex craint la généralisation des trains EAS, pour Equipement Agent Seul. Ces trois lettres symbolisent la fin progressive du métier de contrôleur classique. Car un train EAS peut circuler avec pour seul personnel à son bord le conducteur du train. Depuis 2017, la région Grand Est remplace progressivement les contrôleurs par des brigades sporadiques, la LAF, pour Lutte Anti-Fraude. « Tout ce qui est fait actuellement vise à nous rendre inutiles dans les trains », souffle le contrôleur.
Les portes automatiques se referment après un arrêt en gare d’Urmatt. Au départ du train, Alex doit vérifier que la sécurité des passagers est garantie. Il arpente le long couloir, vérifie la présence d’extincteurs, s’assure que personne n’a fait un malaise aux toilettes ou qu’aucun usager n’importune les autres voyageurs. « Dans les trains, il y a souvent des voyageurs qui s’imposent à des jeunes filles qui n’osent rien dire. C’est aussi mon boulot de les protéger », explique-t-il.
Sécurité au rabais ?
Alex s’inquiète aussi pour la sécurité des usagers. Lorsque tous les trains fonctionneront sans contrôleur, que feront les voyageurs en cas d’accident ou d’agression ? Le contrôleur répond avec un rire jaune, en montrant une affiche fraîchement collée dans le train : « Un danger ou un malaise (…) signalez-le : 3117 » Plus sérieuse, l’agent SNCF continue :
« En cas de retard, nous appelons la gare pour assurer des correspondances. En cas d’accident, nous sommes là pour poser des plots de sécurité, rassurer les voyageurs… Vous voyez un conducteur avec toutes ces responsabilités en plus ? »
Un problème en Alsace aussi
Le 16 octobre 2019, un TER percutait un poids lourd dans les Ardennes. L’accident a fait 11 blessés. Mais le vrai problème, selon le syndicat CGT : le conducteur était le seul agent à bord. Pour Arnaud Feltmann, secrétaire CGT des cheminots en Alsace, le problème touche aussi la région alsacienne :
« Ici aussi, plusieurs accident auraient déjà pu avoir lieu, suite aux trains sans contrôleur et problème d’alerte radio GSMR qui normalement permet d’arrêter tous les trains d’une zone en urgence. En cas d’accident, le contrôleur est formé à la sécurité ferroviaire, pour stopper les circulations, et aussi prendre en charge les voyageurs choqués et ou blessés. »
Anne Corbé, porte-parole de la SNCF, se veut rassurante. Elle évoque tout d’abord les RER en Île-de-France, qui « circule depuis des décennies sans contrôleur à bord. » Puis la responsable communication rappelle la « validation sécuritaire en amont » des trajets. Communication par interphonie du conducteur en cabine aux passagers, voire communication de la gare dans le train directement, pictogrammes invitant à composer le numéro 3117 en cas d’urgence… Selon la communicante, le contrôleur ne garantirait aucun supplémentaire dans le train : « La solution magique n’est pas qu’il y ait un contrôleur en plus dans chaque train. On pourrait très bien imaginer qu’un contrôleur soit touché aussi dans ce genre de situation. »
Mobilisation incertaine
Alex espère qu’une mobilisation reprendra à la rentrée 2019. Mais la dernière grève laisse un souvenir douloureux pour les cheminots. Ils se sont battus pendant des mois contre « des attaques d’une importance sans précédent » sans obtenir gain de cause…
Une autre menace selon le contrôleur : le recours de plus en plus régulier aux intérimaires… « Dans la vente, sur les quais mais aussi pour le contrôle de billets, assure-t-elle, à Nancy, j’ai vu ces jeunes en chasuble violette à la sortie du train. Ils faisaient les premiers contrôles pour rediriger les voyageurs sans billet vers des agents titulaires de la Lutte Anti-Fraude… » Et la femme de conclure : « C’est avec des CDD et des intérims qu’une entreprise rend la grève plus difficile. Les collègues peuvent subir un chantage à l’emploi. »
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