Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Lors d’une « consultation citoyenne » au Neuhof, la démonstration du fossé entre l’Union européenne et ses habitants

Partout dans l’Union européenne des réunions publiques ont lieu depuis le mois d’avril pour que les citoyens donnent leur avis sur l’avenir de l’Europe. Une cinquantaine de consultations se sont déroulées dans l’Eurométropole, la dernière mercredi 24 octobre au centre socio-culturel du Neuhof. Si la démarche permet à chacun de s’exprimer, elle révèle aussi le gouffre existant entre l’Europe et ses citoyens.

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Lors d’une « consultation citoyenne » au Neuhof, la démonstration du fossé entre l’Union européenne et ses habitants

Dans le fond de la salle, une jeune femme se lève et prend la parole timidement :

« Excusez-moi mais, depuis le début, je ne comprends rien à ce que vous dites. »

Tout est dit. Cela fait déjà plus de deux heures que la consultation sur l’avenir de l’Europe a commencé au centre socio-culturel du Neuhof. Mais une partie de l’auditoire est comme exclue des débats. Pourtant les organisateurs essayent d’y mettre du leur. En témoignent les mots d’Annick Sittler en direction du public. Elle est présidente du Mouvement Européen Alsace :

« Avant de se construire par les politiques, l’Europe se construit par les gens. Donc c’est important de nous dire ce que vous en pensez. »

S’en suit un instant de flottement dans la salle puis Henri, un participant, ose se lancer :

« L’Europe n’est pas assez démocratique. »

« Il faudrait que les gens sachent ce qu’est l’Europe »

L’affirmation est simple, convenue diront certains, mais elle décontenance un peu les représentants du Mouvement Européen, de la Ville de Strasbourg et de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau qui animent le débat. Chacun d’entre eux tente de répondre à travers de longs plaidoyers en rappelant tout ce l’Europe a fait pour ses citoyens en général. Dans le public un jeune homme prend la parole :

« Mais aujourd’hui l’Europe est bloquée parce que chaque pays n’en fait qu’à sa tête, c’est ça ? »

La discussion se transforme vite en leçon sur l’Union européenne plutôt qu’en vrai débat. Ce qui fait sourire Kalifa, un habitant du quartier :

« Avant d’en discuter, il faudrait déjà que les gens sachent ce qu’est l’Europe. »

« Ces consultations sont l’entre-soi de l’Europe »

Malgré les efforts de pédagogie, la parole se retrouve rapidement monopolisée par les quelques personnes déjà sensibilisées aux questions européennes. On parle alors de fiscalité transfrontalière, de droit communautaire, de traité de l’Élysée, etc. 90% de la salle est perdue, ce que regrette Farid qui travaille au centre socio-culturel :

« Il y a un vrai décalage. Au début j’ai essayé de rendre la discussion concrète en demandant ce que l’Europe fait pour le Neuhof. J’aurais voulu que ça fasse le lien avec les jeunes mais ça n’a pas trop pris, il y a une certaine opacité et un vocabulaire technique qui rend tout ça inaccessible pour les jeunes. »

Le problème n’est pas propre aux jeunes, et encore moins au Neuhof. Marie-Estelle a assisté à une dizaine de consultations à Strasbourg. Elle est étudiante en master de politique européenne et réalise justement son mémoire sur ces débats citoyens :

« Quelle est l’utilité d’un débat auquel ne participent presque que des personnes déjà convaincues par le projet européen ? C’est un peu « l’entre-soi de l’Europe. » Il ne faut pas s’étonner qu’il n’y ait pas beaucoup de jeunes. Certaines consultations ont lieu en semaine, en plein après-midi. »

Les institutions face à cette fracture

Contrairement à beaucoup de consultations, celle du Neuhof a rassemblé un public assez hétéroclite avec un certain nombre de jeunes. Du coup, Annick Sittler du Mouvement Européen Alsace préfère voir le verre à moitié plein :

« C’est une bonne surprise de voir des gens “normaux”, qui n’ont pas une éducation particulière à l’Europe. Même si c’est pour nous dire qu’ils ne comprennent pas, au moins on leur a donné la parole. À nous de revenir pour relever le challenge d’expliquer les choses le plus simplement possible. Parce que ce qui ressort c’est un net sentiment d’incompréhension et de manque d’information. »

Cette réalité a éclaté aux yeux de tous les organisateurs. La secrétaire générale de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau, Anika Klaffke, reconnait que :

« Ça a été une prise de conscience pour beaucoup de monde. »

À l’échelle des 27 États de l’Union européenne, ces consultations voulues par le président français Emmanuel Macron se sont terminées, avec plus ou moins d’enthousiasme. Elles auront au moins permis de soulever un point : avant même de parler de démocratie directe, il faut que les citoyens puissent comprendre de quoi il est question. Pour poursuivre ce travail de sensibilisation, la Ville de Strasbourg compte organiser d’autres rencontres publiques l’année prochaine.

En attendant, tous les gouvernements européens vont récupérer les comptes-rendus des milliers de consultations, organisées depuis le mois d’avril, pour essayer d’en tirer des orientations politiques concrètes. Une grande restitution sera achevée le 19 novembre, avant d’être débattue par les chefs d’État au sommet européen du 14 décembre.

Pour les personnes n’ayant pas pu aller aux réunions publiques, la Commission européenne a lancé une consultation en ligne sur son site.


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