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Les discrets forages du nouveau consulat de Turquie inquiètent

Alors que les murs du futur consulat de Turquie à Strasbourg sont sortis de terre, une enquête publique doit évaluer les impacts sur l’environnement de son système de climatisation. La Turquie a choisi de puiser de l’eau dans la nappe phréatique et de la rejeter dans le canal, ce qui inquiète les défenseurs de l’environnement.

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Le consulat de Turquie en travaux (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

En face du Parc de l’Orangerie, sur le bord du canal de la Marne au Rhin, les bâtiments du futur superconsulat de Turquie s’élèvent. Le complexe va abriter les missions consulaires de la Turquie à Strasbourg, la représentation permanente de l’Etat auprès du Conseil de l’Europe, la résidence du consul et un accueil des ressortissants turcs à partir de l’automne 2017. Mais un pan du chantier reste en suspens : la Turquie attend l’autorisation par le préfet d’effectuer des forages dans le sous-sol, afin d’alimenter cinq pompes à chaleur pour la climatisation des bâtiments. Ce projet de géothermie est soumis à enquête publique jusqu’au 30 septembre.

Préfecture, Parlement européen, Cour européenne des droits de l’Homme, Palais de la Musique et des Congrès… Avant le consulat de Turquie, bon nombre d’institutions de Strasbourg ont déjà installé des systèmes similaires. La géologie locale est idéale pour ça.

Le rejet de l’eau utilisée en question

Cette option de géothermie de surface est très différente de la géothermie profonde que pratique par exemple Fonroche. L’idée consiste à puiser de l’eau à quelques dizaines de mètres de profondeur dans la nappe alluviale du Rhin, pour en prendre un peu de chaleur et la multiplier grâce à un échangeur thermique électrique.

Toute la question est de savoir que devient l’eau une fois pompée. La plupart des institutions qui puisent de l’eau pour leur chauffage à Strasbourg la rejettent ensuite dans le cours d’eau le plus proche. D’autres la réinjectent à l’aide d’un deuxième forage directement dans la nappe. Le consulat avait initialement opté pour la première solution, la moins coûteuse. Il avait donc déposé en 2013 une demande d’autorisation pour un seul forage de captage et un système de rejet dans le canal de la Marne au Rhin.

La commission locale de l’eau croule sous les dossiers

Mais après consultation de la Commission locale de l’eau (CLE) en juin 2014, la préfecture a officiellement demandé au consulat de revoir sa copie il y a un an. La CLE rassemble des représentants du monde politique, administratif et de la société civile et veille au respect du Schéma d’aménagement et de gestion des eaux de la nappe Ill-Rhin. La préfecture la consulte avant toutes ses décisions qui impactent la nappe locale, soit en moyenne 12 fois par an pour des projets de géothermie.

Devant l’explosion de ces projets de prélèvements d’eau, la CLE a décidé en 2015 de ne plus soutenir ceux qui rejettent dans les cours d’eau. Ses membres se sont accordés sur un principe : ce qui est pris à la nappe doit être restitué à la nappe. Et pour eux, hors de question de rejeter des eaux pompées dans un canal. Le débit y est trop lent. Une arrivée d’eau à une température différente modifierait trop l’écosystème.

La Turquie a donc dû modifier son projet en conséquence et se replier sur un forage de réinjection de l’eau pompée dans son sous-sol en aval du forage de captage. La CLE a concédé en septembre 2015 qu’elle pouvait cependant maintenir un système exceptionnel de rejet des eaux dans le canal pour les périodes de crue. Il doit fonctionner en appoint pour éviter le débordement du puits de forage et les inondations aux moments de l’année où la nappe est la plus haute.

Le consulat de Turquie en travaux (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)
Le consulat de Turquie en travaux (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

C’est donc la solution de rejet dans la nappe qui fait l’objet de l’enquête publique aujourd’hui, dernière étape avant la décision du préfet. Et elle ne fait pas l’unanimité autour d’elle.

Pollution thermique

La nappe alluviale du Rhin est à une température constante toute l’année d’environ 13°C. Les pompes à chaleur du consulat de Turquie modifieraient la température des eaux utilisées de 5°C, en plus ou en moins selon les saisons, avant de les réinjecter dans la nappe à un débit de 140 mètres-cubes par heure en période de pointe. La nappe se déplace à une vitesse de 1 km par an. Elle charrierait donc une sorte de bulle d’eau chaude ou d’eau froide, une sorte de pollution thermique pour les voisins qui souhaitent exploiter l’eau aussi.

Le cabinet Antéa assure avoir fait toutes les études d’impact nécessaires et pouvoir assurer que cela n’aurait pas de conséquences majeures sur l’environnement du consulat, et notamment sur l’exploitation des pompes à chaleur des institutions voisines comme la Pharmacopée ou la Cour européenne des droits de l’Homme.

Fuite en avant, selon Alsace Nature

Pour Jean Wencker, membre d’Alsace Nature et secrétaire de la CLE, la multiplication de ces systèmes de géothermie avec toutes les conséquences sur la nappe phréatique s’apparente à une fuite en avant :

« Ces pompes à chaleur prolifèrent depuis quelques années. Il est urgent qu’une réglementation soit élaborée pour mettre fin à cette débauche de projets géothermiques. D’autres moyens de chauffage existent. Un projet comme celui du consulat de Turquie provoque une pollution thermique jusqu’à 1 km. L’augmentation de la température de l’eau a des effets sur le prélèvement des eaux potables en aval : une eau potable à 18°C est beaucoup plus sensible aux pollutions du sous-sol et aux bactéries qu’une eau potable à 5°C degrés de moins. Plus l’eau est chaude et plus la pollution s’y diffuse. »

Des impacts sur la faune

Pour Jean Wencker, le compromis trouvé pour le consulat de tolérer un rejet d’eau chaude dans le canal de la Marne au Rhin lors de périodes exceptionnelles pose aussi problème.

« Dans un canal, les eaux sont théoriquement immobiles. Un rejet thermique dedans aurait un gros impact sur la faune. Or c’est cette faune qui digère les pollutions et garantit la qualité de l’eau. La préfecture devra faire des prescriptions pour que les rejets du consulat aient le moins d’impact possible sur le canal de la Marne au Rhin. Il ne faudrait pas dépasser plus d’un mois ou deux de rejets dans les eaux superficielles par an. »

Il regrette que les conséquences n’aient pas été plus étudiées :

« Les études d’impact ne sont pas faites. Un inventaire de la faune des lieux aurait dû être établi. Pour moi, au nom du principe de précaution, il serait préférable de s’abstenir de mener un tel projet. »

L’enquêteur public recueille les observations des citoyens sur le projet de forages du consulat de Turquie jusqu’au 30 septembre. Après son avis, le préfet devrait prendre un arrêté d’ici trois mois. Ce n’est qu’alors que les travaux de forage pourraient commencer. Un projet d’ampleur comparable est en cours d’étude pour l’ancien hôtel de police de la rue de la Nuée bleue, qui doit être transformé en hôtel de luxe.


#consulat de Turquie

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