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Un constat d’huissier en défense de la prison : « du jamais vu »

Dans la foulée de la visite de l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la direction de la maison d’arrêt de Strasbourg avait commandé un constat d’huissier pour minimiser les recommandations en urgence sur les conditions de détention. La tentative de réaction d’une administration pénitentiaire bloquée par le devoir de réserve.

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Après la visite du Contrôleur des lieux de privation de liberté, la maison d'arrêt de Strasbourg a fait venir un huissier. (Photo : Philippe Sautier/SIPA)

Après la visite du Contrôleur des lieux de privation de liberté, la maison d'arrêt de Strasbourg a fait venir un huissier. (Photo : Philippe Sautier/SIPA)
Après la visite du Contrôleur des lieux de privation de liberté, la maison d’arrêt de Strasbourg a fait venir un huissier. (Photo : Philippe Sautier/SIPA)

« Ici, c’est l’ordre qui doit régner, pas la vérité ». Lâchés par un ancien membre du personnel pénitentiaire de la maison d’arrêt de Strasbourg, ces mots tombent comme un couperet. Ils résument la difficulté d’évoquer ce qui ne va pas en prison. Aux voix qui s’élèvent, aux propos discordants, on montre la porte de sortie. Dans le milieu carcéral règne une règle absolue, celle de se taire. Outre le devoir de réserve auquel sont soumis les personnels pénitentiaires, s’ajoute la crainte d’être reconnu et, surtout, des conséquences.

Un état de tension amplifié depuis la publication au Journal Officiel le 13 mai des recommandations en urgence d’Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui pointe de nombreux dysfonctionnements à la maison d’arrêt. C’est la cinquième fois en sept années d’existence du contrôle qu’une telle mesure est enclenchée, une mesure « rare », « jamais prise à la légère », précise t-on au CGLPL.

Les syndicats de surveillants, UFAP-UNSA et FO avaient alors dénoncé un rapport « à charge » contre le personnel pénitentiaire. Christiane Taubira, ministre (PS) de la Justice et Marisol Touraine, ministre (PS) de la Santé avaient également réagi de manière contradictoire. Le climat tendu, apparu après la publication des recommandations en urgence était même allé jusqu’à susciter une passe d’armes entre la Garde des Sceaux et la contrôleur par médias interposés s’accusant mutuellement de fausses déclarations.

2 heures et 10 minutes pour un constat matériel

Du 9 au 13 mars, une mission de cinq personnes, dirigée par Cyrille Canetti a visité l’intérieur de la maison d’arrêt. Pendant cinq jours, ils y ont relevé plusieurs problèmes d’hygiène, de conditions de vie, et surtout, l’absence de mesures prises pour protéger une personne violentée par son codétenu, ainsi que la présence de caméras installées dans le service psychiatrique violant le secret médical.

Avertie que le rapport allait être négatif, la direction de la maison d’arrêt a fait venir, le 16 avril, un huissier de justice pour constater « de toute urgence l’état de certains lieux et matériels à l’intérieur de l’établissement ». Pendant deux heures et dix minutes, l’huissier a constaté l’état des douches, des cellules et des cours. De cette visite résulte un procès-verbal de onze pages, agrémenté d’une soixantaine de photos.

C’est la première fois, après une visite des contrôleurs, qu’un établissement pénitentiaire réagit de cette manière. Au contrôle, on estime que ce procès-verbal n’a qu’un intérêt très limité :

« Ce n’est pas normal d’agir de la sorte. Ils constatent, ils constatent… Qu’on décide de nous suivre ou pas dans nos recommandations, c’est une chose. Mais qu’on remette en cause notre manière de travailler, c’en est une autre. Espérons que ça soit quelque chose de ponctuel. »

La direction interrégionale des services pénitentiaires du Grand Est n’a pas donné suite à nos questions. Pour Fadila Doukhi, déléguée régionale FO-Pénitentiaire, le constat d’huissiers est une manière indirecte pour le directeur de la maison d’arrêt, Alain Reymond, de s’exprimer :

« Ça a été une manière pour lui de se couvrir, pour montrer que c’est {les recommandations en urgence, ndlr) faux. Il n’aurait jamais fait venir un huissier si les recommandations du contrôleur étaient vraies. Le rapport parle de cellules crades, de douches pas refaites, alors que rien n’est vérifié dans les informations qui sont avancées. »

Très remontée contres les accusations du rapport mettant en cause l’implication de certains agents dans des trafics illicites, elle espère une plainte du ministère de la Justice pour diffamation et n’exclut pas de porter plainte, à titre syndical, contre Adeline Hazan.

« On lui montre ce qu’on veut à l’huissier »

Une personne qui travaille à la maison d’arrêt depuis une dizaine d’années raconte sa version et décrit l’ambiance qui régnait au sein du personnel pénitentiaire le jour de la visite de l’huissier :

« On se regardait tous en chiens de faïence. Faire un procès-verbal, c’est du jamais vu, ça montre à quel point la direction est aux abois. On briefe tout le monde, on promène l’huissier où on veut, on lui montre ce qu’on veut bien lui montrer. On lui présente des personnes qui savent se taire, qui présentent bien. Il répond à la commande d’un client. La veille de sa venue, on a demandé aux détenus auxiliaires du domaine (en charge des espaces verts et de l’entretien, nldr) de nettoyer la « mare aux canards », la cour intérieure. La direction savait qu’un rapport était sur le feu et qu’il n’allait pas être en leur faveur. »

Le rapport d’urgence n’est pas une surprise pour les avocats strasbourgeois, depuis longtemps en état d’alerte. Pascal Créhange, avocat et dauphin du bâtonnier de Strasbourg, explique :

« C’est une situation que les avocats connaissent depuis longtemps. On sait qu’il y a des endroits qui sont totalement indécents dans  cette maison d’arrêt. On sait qu’il y a des dysfonctionnements, des endroits extrêmement dangereux. Nous avons alerté les parlementaires alsaciens sur la situation, puisqu’ils peuvent faire des visites à tout moment. Les visites institutionnelles ne nous suffisent pas. Nous faisons remonter les informations que nous avons et qui nous viennent des détenus, et elles nous laissent penser que le rapport est juste. »

Adeline Hazan n’avait pas souhaité commenter la publication du procès-verbal, et préfère s’abstenir de tout nouveau commentaire sur la maison d’arrêt de Strasbourg. Au contrôle, on assure que Strasbourg n’est « pas oublié » et que le rapport définitif sur la maison d’arrêt sera publié d’ici six à huit mois. L’occasion de réouvrir le débat sur la gestion des prisons et peut-être libérer parole.


#CGLPL

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