En septembre, le conseil municipal a pris des allures d’univers parallèle. L’opposition Renaissance a par exemple tenté une comparaison hasardeuse entre la victoire de l’extrême-droite en Italie et la fermeture des musées un deuxième jour par semaine à Strasbourg. Un peu plus tard, le mandat écologiste a été qualifié de « chapitre parmi les plus sombres de notre histoire », une expression d’habitude réservée à la période nazie… C’est le problème quand les séances durent une dizaine d’heures, on finit par raconter n’importe quoi.
En face, les écologistes peinent parfois à répondre clairement à des questions simples, se perdant dans de longues déclarations fourre-tout. Sur les nerfs face aux attaques, leurs élus ne contribuent pas à apaiser les tensions. Lorsqu’ils ont vu « un relent d’islamophobie » chez leurs opposants lors du débat sur le financement des lieux de culte, ce type de propos a eu le don d’outrer l’opposition et de tendre un peu plus les échanges.
C’est donc dans ce contexte de franche camaraderie, et d’une polémique sur le marché de Noël qui a fait les choux gras des oppositions, que les élus strasbourgeois se retrouvent lundi au Palais des Fêtes pour célébrer un nouveau moment de démocratie locale.
La question sociale se politise
La séance du 7 novembre va traiter d’un univers bien réel pour plus d’un quart des Strasbourgeois, à savoir la précarité. En 2018, 26% de la population vivait sous le seuil de pauvreté, soit moins de 1 083 euros par mois. La moyenne française est de 22%.
La question sociale est symptomatique des sujets devenus plus clivants depuis ce mandat, ressuscitant le clivage gauche-droite. Sous l’ancien maire Roland Ries (PS, passé chez Renaissance), l’ouverture de 100 places pour sans-abris avait été saluée. L’ancienne majorité avait aussi adhéré à l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), malgré les abstentions de la droite locale.
Lorsqu’en début de mandat, les écologistes ont poursuivi avec l’ouverture de 100 nouvelles places d’hébergement d’urgence, tous les groupes avaient voté favorablement. Mais au fil du temps, les critiques ont émergé sur la politique sociale. Suite à plusieurs gestes (retrait de l’arrêté anti-mendicité, poursuite de l’ouverture de places, absence d’évacuation de squats), Jeanne Barseghian est accusée d’être responsable du retour de campements de sans-abris dans la ville depuis la fin de la crise sanitaire. La situation dramatique du camp de l’Étoile fait l’objet d’une interpellation de l’élue PS Céline Geissmann.
Désormais, le « principal reproche » de l’ancien maire envers Jeanne Barseghian (EE-LV) et son équipe est d’avoir « ouvert largement les vannes », a déclaré Roland Ries sur BFM Alsace. Au niveau national également, le gouvernement a renoncé à son projet de suppression de places d’hébergement sous pression de maires de villes de gauche et écologistes.
Un diagnostic sur l’augmentation des difficultés
La séance du conseil municipal va débuter (point 2) avec la présentation d’une « analyse des besoins sociaux » à Strasbourg, conduite par les services du Centre communal d’action sociale (CCAS).
Parmi les constats :
- Strasbourg compte 21% de population immigrée en 2017, la moitié résidant dans les quartiers aisés, ce qui s’explique probablement par la présence des institution européennes.
- Le taux de pauvreté estimé en 2017 est compris entre 8 % (Orangerie-Conseil des XV) et 51% (Neuhof-Cités) selon les quartiers.
- En 2019, 15 786 ménages strasbourgeois (12%) sont totalement dépendants des prestations sociales, en hausse de 27% par rapport à 2013.
- Fin 2021, plus de 2 600 personnes étaient hébergées à l’hôtel au titre de l’hébergement d’urgence, dont une majorité de familles avec enfants (47%).
- De 2016 à 2020, le nombre de demandeurs d’emploi à Strasbourg oscille autour de 30 700 et le taux d’emplois précaires est de 22,4%. Selon les quartiers, cette part varie de 13,4% (Neuhof-Village) à 34,1% (Port du Rhin).
- La mortalité prématurée, avant 65 ans, est de 204 décès pour 100 000 habitants, une moyenne supérieure au reste du Bas-Rhin, du Grand-Est et de la France. Elle est trois fois plus élevée dans les quartiers populaires, qui présentent un déficit d’offre de soins.
- Entre 2013 et 2019, le nombre d’allocations adulte handicapé (5 592 allocataires) et d’allocations d’éducation de l’enfant handicapé (903 allocataires) ont augmenté respectivement de 35 et 26%, résultant d’une meilleure prise en compte des situations.
« La T-Rêve »: nouveau lieu d’accueil jusqu’en 2024
Comme souvent, les écologistes compilent des statistiques et des chiffres. Pour quelles suites ? La municipalité tente de formuler une réponse avec l’ouverture d’un nouveau lieu d’accueil, qui sera créé dans l’ancien foyer Saint-Joseph à Koenigshoffen (point 28). Ce bâtiment a été acquis à l’origine par la Ville pour créer une cantine et une salle de gym, à côté de l’école Camille Claus, mais le chantier ne débutera qu’en 2024. Entre temps, la municipalité utilise ce délai pour mettre en œuvre de « l’urbanisme transitoire ».
Dès le 29 novembre 2022 et jusqu’au début des travaux, un nouveau lieu d’accueil baptisé « La T-Rêve » sera donc ouvert en journée dans le foyer et permettra aux personnes exilées d’avoir un endroit pour passer du temps et être orientées vers les différents dispositifs. L’adjointe en charge des solidarités, Floriane Varieras, détaille les premiers contours de ce lieu qui sera « évolutif » :
« Son nom fait référence à un lieu de pause. Et au rêve de faire une société moins abîmée. En plus des associations spécialisées dans l’accueil, le lieu sera ouvert aux voisins ou à toute personne pour que chacun puisse participer à l’accueil de personnes en exil. »
Avec ce projet estimé à 400 000 euros, la Ville compte en quelque sorte répliquer au centre d’accueil place de la Bourse pour les Ukrainiens, mais ouvert à tous les exilés quel que soit leur pays d’origine. « Nous ne trierons pas entre les gentils et les méchants », ajoute Jeanne Barseghian.
Ce bâtiment avait été proposé à l’État pour ouvrir des places d’hébergement d’urgence, mais la préfecture a écarté la proposition. Il faut dire qu’entre la hauteur sous plafond, de grands espaces sans cloison et le manque de sanitaires, le lieu n’est pas vraiment adapté à du logement temporaire.
La Poste, le vélo et le stationnement en fin de séance
Parmi les autres points à l’ordre du jour, il sera question de la mise à disposition gratuite de la boutique rue Mercière (point 22). Ce lieu accueillera la future « conciergerie », avec notamment les services de La Poste, qui va fermer son bureau de l’autre côté de la place de la Cathédrale (voir notre article).
En fin de cette séance à l’ordre du jour restreint (29 points), ce sera la moment des interpellations, résolutions et autres motions avec une douzaine de débats supplémentaires. Pour le groupe « Renaissance » et ses alliés, l’omniprésent Pierre Jakubowicz (Horizons) est à l’origine de six des huit textes déposés. Au programme notamment, « des choix d’investissements contestables dans le cadre du plan vélo », les amendes de stationnement, un soutien à l’Arménie ou encore l’installation de poubelles de tri dans l’espace public.
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