« Franchement, ça devient long. Très long ». Pour Nathalie, la suspension des parloirs et la mise en place du confinement à la maison d’arrêt de Strasbourg depuis le 16 mars, ont signé la fin des contacts avec son fils de 25 ans, incarcéré depuis janvier. Les seules nouvelles qu’elle a pu obtenir de l’intérieur de la prison proviennent d’autres mères de détenus qui ont conservé un téléphone portable dans leurs cellules.
Une absence de nouvelles d’autant plus frustrante, que Nathalie vit elle-même confinée avec son époux dans le quartier de l’Elsau, en face de la maison d’arrêt. Le couple n’a pas de ligne de téléphone fixe et n’a donc pas pu fournir la facture nécessaire à une demande d’appel depuis la cabine téléphonique de la prison. « Je le vis mal, on ne peut rien y faire, mais il est temps que ça se termine », lâche la maman, d’une voix fatiguée.
Plus de parloirs, plus de sport, plus d’école et des formations professionnelles ont été stoppées. Derrière les barreaux de la maison d’arrêt, le confinement a interrompu les contacts déjà ténus avec l’extérieur. Les détenus ont reçu un crédit de 20 euros par mois pour pouvoir téléphoner à leurs proches depuis les cabines téléphoniques. « Avec la mise en place du confinement, les demandes d’enregistrements de numéros vers l’extérieur ont explosé », observe Philippe Steiner, surveillant et secrétaire Ufap-Unsa. Une fois les 20 euros dépensés, les détenus peuvent recréditer leur compte avec leur argent. Sinon, il faut attendre le mois d’après ou miser sur les téléphones portables qui circulent.
« C’est le jeu du “tu me fais pas chier, je brûle pas ta prison” »
« Ceux qui n’ont pas accès à un portable ou à la cabine téléphonique sont fichus psychologiquement », raconte Julien (tous les prénoms des détenus ont été changés). En détention provisoire depuis six mois, il espérait pouvoir bénéficier des mesures d’aménagement de peine liées au Covid-19. Sa demande de libération anticipée a été refusée.
Pour rester en contact avec sa femme et ses enfants, Julien s’est procuré un téléphone portable. Il explique que dans le contexte du confinement, certains surveillants ferment les yeux : « C’est le jeu du “tu me fais pas chier, je brûle pas ta prison”. »
Le détenu de 33 ans affirme que pour le moment, la situation est « plutôt calme » à Strasbourg, même si la tension est palpable :
« Avec la suspension des parloirs, il y a moins de shit qui rentre. Habituellement, ça permet de ne pas voir le temps passer, de calmer les nerfs, ça rend moins agressif, moins pensif. Les détenus qui n’en n’ont plus et qui n’ont pas de téléphones portables se mettent à cogiter et les infos à la télé ne les aident pas. »
« On a remarqué une forte tension et une forte irritabilité chez certains détenus », confirme Philippe Steiner. « Ça, on ne l’avait pas anticipé », ajoute-t-il. En manque de gel hydroalcoolique et de masques dès le début du confinement, le personnel pénitentiaire reçoit désormais tous les jours des masques à chaque prise de service.
Pas de quoi rassurer Julien :
« De base, les détenus sont déjà dans une forme de confinement. Le risque ne vient pas de nous mais des surveillants [qui entrent et qui sortent] et ne portent pas tous des masques. On sent qu’ils sont inquiets pour leur propre situation : ils ne sont pas à l’écoute et ont hâte de refermer la porte de la cellule lorsqu’ils viennent nous voir. »
La maison d’arrêt a mis en ligne un formulaire permettant aux familles de communiquer avec les détenus. Les mails sont imprimés puis transmis aux détenus. Le service du courrier traditionnel se poursuit mais fonctionne au ralenti, la Poste ayant également réduit ses jours de distribution. Menace potentielle provenant de l’extérieur, le courrier n’est distribué aux détenus que 24h après son arrivée à la prison.
« Il nous faudrait du linge au plus vite »
Pour Cédric, l’urgence c’est le linge. À 19 ans, le jeune homme est en détention provisoire depuis quatre mois. Lui aussi s’est vu refuser sa demande de remise en liberté anticipée. Depuis le 16 mars, il dit n’avoir qu’une seule tenue, quelques caleçons et chaussettes. « Il nous faudrait du linge au plus vite », insiste Cédric. « Personne n’a été prévenu de l’arrêt des parloirs, donc comme d’habitude, tout le monde a donné son linge aux familles en début de semaine, avant la mise en place du confinement, » complète Julien.
Depuis plus de 30 jours, sa garde-robe se résume à quatre t-shirts et trois pantalons de jogging. « On a reçu de quoi faire trois ou quatre lessives dans le lavabo de la cellule, mais c’est tout », détaille-t-il. Il a donné quelques vêtements à la buanderie de la prison : « ils me sont revenus en taille enfant. »
Une promiscuité permanente, malgré les libérations
La crise du Covid-19 met aussi à l’épreuve le surpeuplement chronique de la maison d’arrêt. Calibrée pour 447 personnes, l’établissement strasbourgeois compte environ 540 détenus. Une surpopulation un peu plus faible qu’à l’ordinaire puisqu’une centaine ont bénéficié d’une sortie anticipée. Mais la promiscuité reste permanente et le risque de contamination constant. Dans ces conditions, difficile d’appliquer les gestes barrières et la distanciation sociale dans des cellules de neuf mètres-carrés où les détenus sont enfermés par deux, quatre ou six.
« Certains se confinent dans leurs cellules », raconte Marc Schaal, surveillant et responsable syndical Ufap-Unsa. « Ils ont peur d’être contaminés par les surveillants et refusent d’aller en promenade. » À raison d’une heure le matin, une heure l’après-midi, les promenades ont été maintenues mais réaménagées pour éviter un maximum de contacts entre détenus. Les fouilles et palpations sont aussi moins nombreuses, sauf en cas de grosse suspicion, affirme Philippe Steiner. « Mais les surveillants ne portent pas tous des gants », relève Slavek, un détenu condamné pour une longue peine.
Il pointe l’absence d’informations donnée aux détenus et dit avoir « entendu qu’il y avait eu huit cas de contaminations à son étage. » Et dans les couloirs de la maison d’arrêt, d’autres rumeurs se diffusent : des surveillants auraient été contaminés, des détenus aussi… « On ne nous explique rien », regrette Slavek.
Trois détenus testés positifs
« Trois personnes ont été testées positives au coronavirus et ont été traitées au sein de la prison », assure Philippe Steiner. « Elles présentaient les symptômes du Covid, un peu de fièvre et une perte d’odorat, mais sans avoir développé les formes les plus sévères de la maladie. » Dès le début de la crise sanitaire, la direction a fait libérer un étage où sont placés les détenus suspectés d’être contaminés. Philippe Steiner explique :
« C’est un étage qui était destiné à la préparation à la sortie. À cause du Covid, l’endroit a été réaménagé en étage sanitaire. Les détenus y sont testés par le service médical. Ils y restent 24 heures et s’ils sont négatifs, ils retournent en cellule. S’ils sont positifs, il y restent. »
Quant aux nouveaux arrivants, ils sont placés en quarantaine.
Des détenus aussi coupés de leurs avocats
Coupés de leurs familles, les détenus le sont aussi de leurs avocats et beaucoup ignorent la situation de leurs dossiers. Coralie Maignan, avocate pénaliste, exerce principalement à Mulhouse mais l’un de ses clients est détenu à Strasbourg. Elle n’a pas de contact avec lui et a le sentiment de ne plus pouvoir exercer son métier dans de bonnes conditions :
« Les parloirs pour les avocats ne sont pas officiellement fermés mais comme il n’est pas mis à notre disposition de salle permettant de respecter les mesures barrières, la plupart des avocats ne franchissent plus la porte des prisons. Nous ne sommes plus en mesure de préparer la défense des clients. La plupart du temps, on se retrouve le jour de l’audience, en visio-conférence, sans avoir pu s’entretenir avec eux. »
Le 20 avril, le Conseil d’État a rejeté le recours des barreaux de Marseille et de Paris qui demandaient à l’État de fournir aux avocats du matériel de protection contre le coronavirus lors des gardes à vues et des audiences en comparution immédiate. Coralie Maignan indique que dans les maisons d’arrêt, le risque sanitaire est particulièrement élevé : « avec la surpopulation carcérale, l’administration manque nécessairement à l’obligation de protéger la vie des personnes détenues et sa responsabilité peut être engagée. »
« Pour nous, ça ne sera pas la deuxième vague, mais la première »
De son côté, Philippe Steiner s’interroge sur la manière dont les parloirs vont rouvrir :
« On est presque sûrs que les familles ne vont pas respecter les mesures de distances, il y aura des embrassades, c’est normal. Mais ça voudrait dire qu’il faudrait qu’on installe des plaques de plexiglas pour éviter les contacts. Ça risque de ne pas être compris. »
Le surveillant ajoute :
« Une bonne partie des détenus est déjà fragilisée et a de gros soucis de santé. Si les contacts aux parloirs se multiplient, ce sera l’effet domino à l’intérieur de la prison. Et si dehors on parle du risque d’une deuxième vague de contamination, pour nous, ça sera la première… »
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