C’est le Dr George-Henri Melenotte qui décrit le mieux Bertrand Rambaux : « c’est un survivant ». Le psychiatre strasbourgeois spécialiste des addictions a tenu ces mots à la barre du tribunal correctionnel de Strasbourg lundi matin, alors que Bertrand Rambaux, 53 ans, était jugé pour « détention et usage de produits stupéfiants ». Cité comme témoin, le Dr Melenotte poursuit :
« Il vient d’une époque où le Sida était une maladie honteuse, mal connue et où les morts parmi les malades étaient très fréquentes. Les trithérapies n’en étaient qu’à leurs débuts et leurs effets secondaires étaient dévastateurs. Et lui, alors qu’il aurait parfaitement pu ne se soucier que de sa survie, il s’est impliqué dans nos programmes d’aide et d’assistance aux malades pour les rendre plus efficaces, plus proches des besoins des toxicomanes. »
Le substitut du procureur, Sébastien Hauger, le coupe : « a-t-on vraiment besoin d’entendre l’historique du Sida pour juger M. Rambaud ? » Car pour le Parquet, l’affaire est claire. Bertrand Rambaud a été arrêté en possession de cannabis le 1er avril et les policiers ont trouvé chez lui des plants et de la résine. Il est coupable d’une infraction à la législation sur les stupéfiants « qui interdit la consommation et la production du cannabis sous toutes ses formes » a-t-il rappelé. Que Bertrand Rambaud soit malade du VIH et qu’il ait choisi de se soigner au cannabis n’y change rien.
15 années de trithérapies
Mais ça change tout pour Bertrand Rambaud. Lui qui a tout essayé en quinze ans de soins, toutes les tri-thérapies et tous les cachets disponibles dans la pharmacopée française, comme l’a expliqué son avocat, Me Joseph Breham :
« Des attestations de son médecin traitant prouvent que s’il n’avait pas cherché de lui-même à se soulager par des traitements au cannabis, il serait mort aujourd’hui. »
Le mot est lâché dans la salle d’audience préfabriquée du tribunal de Strasbourg. Pour une première utilisation, voici que s’envolent les problèmes de climatisation ou de micros alors que l’assistance prend conscience que cet homme chétif qui tient péniblement debout à la barre est un mort en sursis.
Bertrand Rambaud était parvenu jusque là à n’être jamais inquiété par la police pour ses consommations ou pour ses cultures. Un exploit étant donné qu’il porte toujours sur lui quelques grammes d’herbe, notamment lorsqu’il se rend aux réunions de l’association qu’il préside, l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine (UFCM I Care). Mais ce jour d’avril, il a commis l’erreur de mettre le t-shirt de son association, avec une grosse feuille de cannabis dessus, bien en évidence.
L’état de nécessité, une brèche pour les malades ?
Des CRS l’interpellent, le fouillent et c’est la garde à vue. Dans les deux heures suivant la privation de son traitement, Bertrand Rambaud sera pris de nausées, de vomissements et de « troubles abdominaux » comme l’indique pudiquement le procès-verbal du médecin de garde à l’hôtel de police. Après 22 heures de ce régime, le Parquet a demandé que la garde à vue de Bertrand Rambaud soit prolongée, ce qui indigne Me Joseph Breham :
« J’aimerais bien savoir pourquoi il était pertinent de garder mon client alors qu’il n’y avait pas d’indice à détruire, pas de complices à prévenir, ni de témoins à impressionner… Le Parquet a indiqué comme raison “connaître l’origine de la contamination au VIH” ! C’est intolérable et c’est un abus caractérisé. »
Me Breham a demandé, et obtenu, l’annulation de la prolongation de la garde à vue, ce qui fait une belle jambe à Bertrand Rambaud. Mais surtout, Me Breham a plaidé « l’état de nécessité », une disposition du Code pénal (art 122-7) qui permet au tribunal de relaxer un prévenu s’étant rendu coupable d’un délit s’il n’avait d’autre choix. Pour Me Joseph Breham, c’est le cas de Bertrand Rambaud :
« Mon client fait face à un danger grave, imminent et réel sur sa vie. Et pour se prémunir, il cultive du cannabis et va chercher un produit qui est autorisé aux Pays-Bas, sur l’ordonnance de son médecin traitant, ce qui n’a aucun impact sur d’autres personnes que lui-même. Donc pour résumer, Bertrand Rambaud a le choix de se conformer à la loi et de mourir, ou de vivre mais en risquant 10 années de prison. »
C’est en se basant sur ce constat que Me Breham a plaidé la relaxe simple de son client :
« Dire le droit, ce n’est pas arrondir les angles. Cette loi sur la détention et l’usage de stupéfiants est bafouée par tous les tribunaux de France en permanence. Il faut donner du sens. Oui, Bertrand Rambaud a commis une infraction et il va le refaire. La seule voie qui s’impose à ce tribunal, c’est la relaxe. »
Mais le tribunal, présidé par Mme Sophie Thomann, n’est pas entré dans ce débat. Il a reconnu Bertrand Rambaud coupable d’usage et de détention de stupéfiants, tout en le dispensant de peine. Un jugement qui ne convient pas à Bertrand Rambaud, qui a annoncé à l’issue de l’audience qu’il ferait appel. Il s’explique dans la vidéo ci-dessous.
Bertrand Rambaud : « pourquoi je fais appel »
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Bertrand Rambaud condamné sans peine (compte-rendu de l’audience réalisé en direct)
Sur Rue89 Strasbourg : Bertrand Rambaud, victime du VIH, de l’hépatite C et d’une loi injuste (interview)
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