Allan Ros est auteur-compositeur-interprète à Strasbourg. Sa musique aux notes blues et folk séduit de plus en plus d’auditeurs mais comme beaucoup d’artistes, Allan peine à rencontrer son public :
« Jouer dans un bar a quelque chose de frustrant car on est loin des gens qui ne viennent pas spécialement pour nous voir mais pour boire un coup entre amis. La musique n’est pour eux qu’un fond sonore. Il est difficile de savoir si elle leur plaît. »
Pour se rapprocher de ses auditeurs, Allan a testé un nouveau concept : se produire directement chez eux. Il est sollicité aussi bien par des amis que par des inconnus qui ont repéré sa musique sur son site internet. Depuis juillet, l’artiste strasbourgeois est inscrit sur Concert en Appart, une plate-forme en ligne qui permet à des groupes en voie de professionnalisation de rencontrer des hôtes prêts à les accueillir chez eux.
Le Meetic de la musique
C’est en suivant le musicien parisien Charly et sa drôle de dame, sans cesse à l’affût de nouveaux lieux de représentations, que Jérémie Abric a eu l’idée de créer le site :
« La musique de Charly n’est pas faite pour être écoutée sur un CD. Il a besoin du contact direct avec le public. Dans ce cas, internet est un excellent moyen pour faciliter les rencontres. »
Créée en avril 2014, la plate-forme permet aux musiciens de se constituer un profil avec des photos et des extraits de musique afin de pouvoir être contactés par des particuliers. Lorsque le concert a lieu, l’hôte et le groupe laissent un commentaire sur la qualité de l’accueil et de la prestation. Ces avis sont collectionnés comme de précieux sésames car plus ils sont positifs, plus les groupes ont des chances d’être contactés.
148 groupes à Strasbourg
Près de 500 musiciens sont aujourd’hui référencés sur le site. Ils sont répartis dans une trentaine de villes en France et en Belgique. Jérémie Abric aimerait développer le réseau à l’étranger mais pour le moment, il doit gérer seul l’afflux constant de nouvelles demandes. Il avoue avoir déjà refusé des candidats qui manquaient de sérieux ou de professionnalisme, en se référant à leurs profils publiés sur les réseaux sociaux. Chaque jour, il reçoit les formulaires d’adhésion de deux ou trois nouveaux artistes. Certains comme Allan Ros ont dû patienter un mois avant de voir leur demande validée.
Parmi les 148 groupes qui proposent des concerts à Strasbourg, six seulement appartiennent à la scène locale. Les autres viennent parfois de loin et acceptent de se déplacer en échange d’une contrepartie financière. Avec une dizaine de concerts produits au total, la ville ne figure sur le site que depuis six mois environ.
Les voisins, premières personnes à inviter
Jérémie Abric note :
« Les particuliers qui n’ont encore jamais tenté l’expérience se montrent réticents à accueillir un concert dans leur appartement. Ils n’ont pas confiance et redoutent les problèmes ».
Appartement trop petit, plancher craquant, voisins pointilleux, les difficultés abondent et de nombreuses solutions sont mises en place pour les contourner : commencer le concert plus tôt, emprunter le grenier d’un membre de la famille ou le jardin d’un ami, inviter ses voisins de palier. C’est ce qu’a notamment fait Allan Ros, lors d’un concert qu’il a lui-même organisé dans son appartement avec une trentaine d’invités présents :
« Les musiciens avaient peu de matériel. D’autres groupes ont besoin d’espace, d’instruments encombrants, de prises électriques et d’insonorisation, ce qui est plus compliqué à gérer ».
En s’inscrivant sur le site, les artistes indiquent les contraintes liées au volume sonore, au nombre de musiciens ou aux types d’instruments qu’ils utilisent. En fonction de ses critères de recherche, l’internaute obtient une liste de groupes qui correspond à ses choix. Aucun incident n’a encore été signalé mais Jérémie Abric préfère prévenir :
« Le site n’est pas responsable en cas de problème d’alcool ou de bruit. En général, les groupes s’adaptent. Les concerts en appart’, c’est le royaume de la débrouille et du système D ».
Un point de vue partagé par des musiciens comme Allan pour qui la convivialité compense les faibles rémunérations.
Soutenir un projet au prix d’une place de ciné
Jérémie Abric finance le site en facturant la mise en relation entre le particulier et les musiciens. Les quinze euros versés sont remboursés si le concert est annulé. Pour rémunérer le groupe, l’utilisateur dispose de deux modes de paiement. Il peut opter pour un forfait à régler en ligne et dont le montant est défini avec les musiciens qui reçoivent l’argent après la prestation. Il peut aussi choisir le chapeau : sur la base du volontariat, les invités paient l’artiste le jour du concert en fonction de leur satisfaction.
À raison de cinq à dix euros par personne, soit le prix d’une place de cinéma, les artistes peuvent donc espérer gagner en moyenne 300 euros, l’équivalent de deux cachets officiels. Qu’ils soient amateurs, membres d’une association, auto-entrepreneurs ou intermittents, ils doivent ensuite déclarer leurs revenus en fonction de leur statut professionnel.
De musiciens à entrepreneurs
Pour rentabiliser le déplacement, certains cumulent plusieurs concerts en appartement dans la même ville. Allan envisage prochainement de faire une tournée à domicile, avec son sac à dos et sa guitare. Mal à l’aise à l’idée de faire payer les hôtes qui le reçoivent, il préfère emporter quelques CD pour les vendre. Pour Jérémie Abric, les musiciens d’aujourd’hui doivent agir comme des entrepreneurs. Ils ont à leur disposition une palette d’outils dont le site fait partie :
« Accueillir des musiciens chez soi, ce n’est pas comme acheter une place de concert. C’est soutenir le projet artistique qu’il y a derrière. A terme, il faudrait que les musiciens puissent en vivre. »
Selon Allan, l’inscription sur la plate-forme permet de se faire connaître auprès d’un nouveau public. Mais les gens préfèrent le contacter directement, plutôt que de verser les quinze euros de mise en relation. Pour le moment, Allan n’a reçu aucune demande via le site :
« Quand un groupe marche bien, il est sollicité et cela crée un cercle vertueux qui fait de l’ombre aux autres. Le scénario des programmations de salles de concerts se reproduit à échelle réduite et ce sont souvent les mêmes qui reviennent sur le devant de la scène. «
Loin de la scène et plus proches des gens
Également inscrit sur le site, William Matter a testé ses premiers concerts en appartement cet été. L’artiste alsacien, qui avait participé à l’émission Rising Star l’année dernière, est plus habitué aux grandes scènes et aux plateaux télé :
« Dans un appartement, tu as l’impression de jouer devant des amis, alors que ce sont des gens que tu ne connais pas mais tu croises leur regard et tu partages ta musique avec eux. »
Pour les invités aussi, la scène disparaît et les détails apparaissent. Présent au concert, Hervé a apprécié l’ambiance différente des représentations classiques où le spectateur attend un résultat en échange du prix qu’il a payé.
« On capte les émotions sur le visage, la façon de tenir la guitare. Derrière le musicien, c’est l’homme que l’on voit travailler et cela change la manière de ressentir la musique ».
Pour Allan Ros, jouer chez quelqu’un rend le concert plus intimiste. Face à des individus et non à une foule, il remarque tout de suite si sa musique plaît et utilise les concerts en appartement pour essayer de nouveaux morceaux. Cela lui permet de tester l’impact sur les auditeurs et de corriger certaines erreurs. Les chansons qu’il a composées pour son nouvel album sont ainsi plus rythmées pour permettre au public de participer. Selon lui, une nouvelle façon de consommer la musique est en voie d’émerger :
« Aujourd’hui, les gens ne veulent plus dépenser pour voir un concert dans les bars. Ils paient pour admirer la performance de professionnels dans de grandes salles mais les petits groupes n’ont pas accès à ces endroits. L’appartement offre un autre circuit, un autre rapport à la musique. »
Aller plus loin
D’autres sites organisent des concerts en appartement. Privés, VIP, classiques, locaux ou ouverts à tous, à chacun son style, selon son budget : Chipili, Concerts à domicile, Concerts privés et Sofarsounds.
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