Quatre ateliers Percustra se sont tenus sur l’année scolaire 2015-2016 : un à l’École Jacqueline, un au Collège Érasme et deux ateliers « tout public » rassemblant des jeunes, des adultes et des familles.
Menés par quatre musiciens des Percussions de Strasbourg, mais aussi par un compositeur et un ingénieur du son, ces ateliers trouvent leur ancrage dans une méthode créée par les Percussions de Strasbourg avec Pierre Boulez dans les années 70 : la méthode Percustra. Plus accessible que le solfège, plus créative et plus intuitive, cette méthode permet à tout un chacun de libérer le percussionniste qui sommeille en lui. Et de révéler ses talents, à tout âge, du Théâtre de Hautepierre au Festival Musica.
Une méthode à part, made in Strasbourg
Née des mouvements de réflexions des pédagogies actives, post-68, la méthode Percustra mise au point par Pierre Boulez et l’Ensemble des Percussions de Strasbourg est basée sur une écriture simple et graphique. François Papirer, musicien, membre des Percussions de Strasbourg et intervenant pour la classe de 5ème B du Collège Érasme, explique :
« L’écriture Percustra ne demande aucun pré-requis, aucune formation musicale. Lorsque l’on voit un losange, on identifie très vite que ce losange va représenter une action, un coup, un chant – c’est spécifié en dessous. Cela permet à quelqu’un qui n’a aucune notion de solfège de noter des choses, de fixer les enchainements de sons pour pouvoir mieux les retrouver après. Cela permet de penser la musique. À partir du moment où on a compris qu’un temps commence à un point A et termine à un point B, on arrive à placer le son au bon endroit. Cela passe par une compréhension de la notion du temps. La musique, c’est l’art du temps. »
Pour lui l’intérêt des ateliers proposés aujourd’hui réside encore dans les principes fondateurs de la méthode Percustra :
« Très tôt, dans les années 70, les musiciens de l’Ensemble ont voulu partager leur manière de faire. Les gens se demandaient si la musique pour percussions pouvait s’écrire, comment il était possible de jouer ensemble. Les percussions étaient vraiment le parent pauvre des familles instrumentales. Les musiciens des Percussions de Strasbourg ont commencé à écrire, à fixer certaines choses en travaillant avec des compositeurs. L’idée était de pouvoir partager et expliquer tous ces effets sur le son, pour faire en sorte que le public comprenne les enjeux de ce qui est fait sur le plateau. »
Si la méthode est née là, elle n’est en rien figée, et évolue avec le temps et avec les goûts musicaux. Elle a la souplesse nécessaire pour s’adapter sans cesse à de nouvelles manières d’envisager la création musicale, et les instruments. Il est à noter d’ailleurs que les Percussions de Strasbourg possèdent un instrumentarium hors normes, avec plus de 500 instruments, ce qui en soi est déjà une découverte incroyable pour les participants aux ateliers, pointe François Papirer :
« Les préoccupations des compositeurs d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que celles d’il y a 30 ans. L’important pour nous c’est de coller aux préoccupations d’aujourd’hui : ne pas faire ce qui a déjà été fait. Dans le concert de mercredi, on distille des notions d’électro-acoustique, avec des traitements en temps réel. C’est le compositeur, Aurélien Marion-Gallois, qui a pensé la musique. Dans l’atelier tout public chapeauté par Tam [Minh-Tam Nguyen], les musiciens jouent avec un RIM : un réalisateur d’informatique musicale, Olivier Pfeiffer. »
Les collégiens engagés dans un processus créatif
Le but de la méthode Percustra est aussi d’être un outil de créativité pour les utilisateurs : ils sont invités, dans les ateliers, à suggérer des modifications dans la partition et sont engagés dans ce processus créatif. Cela semble efficace, au moins pour certains des élèves du collège Érasme, puisque Aminat déclare :
« J’ai toujours aimé la musique, donc là ça me donne encore plus envie. En ce moment je créée même mes propres musiques. »
Il paraîtrait même qu’elle créée les chorégraphies qui vont avec ! Affaire à suivre.
« Il y a du bruit, c’est bien pour détendre le corps »
Les percussions ont peut-être été considérées comme le parent pauvre des familles musicales pendant un temps, mais il semble que celui soit révolu. Au-delà de la diversité des instruments, il y a quelque chose d’évident et de fonctionnel lorsque l’on commence à considérer les sons qui nous entourent comme des matières musicales. Le fait d’aborder les percussions amène une certaine vision du monde : un reflet des sons du quotidien, mais aussi une organisation du groupe, du collectif – faire ensemble pour faire société. François Papirer explique cette démarche :
« La percussion nous entoure, on en joue au quotidien même sans le savoir. En plus du rythme, nous utilisons beaucoup le bruit. C’est intéressant de parler du bruit à des participants qui ont des complexes du type : «mais moi je ne suis pas musicien». Nous utilisons des objets du quotidien mêlés à des instruments, on joue de ces instruments comme on utiliserait des objets usuels. Il y a quelque chose de très facile d’accès. »
Walid, un autre élève de la classe 5ème B du Collège Érasme, valide ce ressenti. Ce qu’il aime dans la musique qu’il découvre avec les Percussions de Strasbourg, c’est « qu’il y a du bruit. C’est bien pour détendre le corps. »
Cet effet corporel revient régulièrement dans les témoignages des élèves : il semble qu’en plus du bruit qu’il génère, le travail des percussions amène aussi une prise de conscience du corps de chacun, et sans doute une possibilité d’adopter mieux celui-ci, – une problématique essentielle à tout âge, mais particulièrement à l’adolescence. Walid ajoutera d’ailleurs que cet atelier lui a appris à « s’exprimer avec son corps », même si cela lui a causé des efforts un peu douloureux en terme de concentration, qu’il reconnaît volontiers.
Le fait de jouer en groupe fait partie du parcours pédagogique, comme le souligne Christophe Leicht, professeur de la 5ème B du Collège Érasme :
« Ils apprennent aussi le fait d’être en groupe : ne pas juste s’écouter soi mais être attentif au voisin. Cette interaction entre oreille, vue et lecture est forcément formatrice. »
Impossible de jouer sans faire attention aux autres, les participants aux ateliers sont mis en situation de responsabilité les uns par rapport aux autres, particulièrement dans la perspective du concert de vendredi. François Papirer explique le fonctionnement du groupe :
« Chacun a un rôle important, c’est un processus complexe. Je ne suis pas là pour diriger, ils sont autonomes, sur le plateau ils seront livrés à eux-mêmes. Ils sont tous interdépendants. Tant que l’un ou l’une n’aura pas donné son signal, les autres ne pourront pas avancer dans la partition. C’est les responsabiliser, et on se rend compte qu’ils sont très demandeurs de ça. Ça leur donne une solidarité, et le sens des responsabilités. »
Le concert : un moment de fierté
La fierté, c’est le mot qui revient dans toutes les bouches, de Walid à Giveline, à deux jours du concert public du 25 mai au Théâtre de Hautepierre. Tous les acteurs des ateliers, participants, intervenants et professeurs, s’accordent à dire que les choses n’ont pas été faciles : la demande en terme de concentration et de discipline a été exigeante, et la route a été longue. Giveline parle de la « patience » comme étant la principale chose qu’elle aie apprise de ces ateliers, et Aminat détaille le processus d’apprentissage :
« Certains apprennent beaucoup plus vite que d’autres. Moi, par exemple, quand on me parle je comprends tout de suite, ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. Il faut savoir être patient, le temps que tout le monde comprenne et qu’on puisse se synchroniser. Avant c’était chacun pour soi, quand quelqu’un faisait une erreur on lui disait : « débrouille-toi ! ». Maintenant on explique, on s’entraide beaucoup plus. »
Du collège Érasme à Musica
Christophe Leicht et François Papirer se rejoignent autour de l’idée que cet atelier prend vraiment tout son sens au moment du concert public, consécration d’un travail en profondeur, sur la durée. Le fait de faire ce premier concert au Théâtre de Hautepierre et de rejouer ensuite au Festival Musica est une gageure qui, pour l’instant, paraît plus impressionnante à François Papirer qu’aux élèves du collège Érasme, qui ne connaissent pas l’événement.
François Papirer, même s’il est conscient des enjeux, est confiant :
« Cela n’a pas été facile au début. Il y a eut beaucoup de dispersions, un manque d’attention… Mais plus l’échéance arrive, plus les élèves se mettent en condition de donner leur meilleur d’eux-mêmes. C’est très gratifiant ! Cette notion de fierté est essentielle. Je pense qu’ils entendent souvent qu’ils sont bons à rien, qu’à l’école les résultats sont médiocres… Là on sort du champs scolaire et on se rend compte qu’ils ont tous des compétences. J’espère qu’ils seront fiers d’eux parce que moi je le suis ! »
En attendant, le concert est au Théâtre de Hautepierre, mercredi 25 mai à 20h. En plus des élèves du Collège Érasme, il y aura des très jeunes musiciens des classes de CE1 et de CE2 de l’école Jacqueline, mais aussi les groupes tout public rassemblant jeunes, adultes et familles. Le concert est ouvert à tous ceux qui s’intéressent aux percussions, à la musique contemporaine et aux démarches pédagogiques innovantes. Et Aminat de conclure : « Venez nombreux au concert, on vous attend ! »
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