Concert : Jason Moran dans l’esprit de Monk

« Monk at Town Hall » date du 28 février 1959, un concert enregistré qui se distingue d’autres productions live de l’époque par l’originalité de sa formation : Thelonious Monk se retrouve en effet à la tête d’un orchestre de dix musiciens – et non plus du quartette habituel – pour jouer ses propres compositions arrangées dès lors pour l’occasion.

« Monk at Town Hall » : interview du producteur du concert, Orrin Keepnews

La démarche en big band est inédite, d’autant que Monk, à cette époque, est le pape incontesté du clavier. Son piano devient toupie, il emballe tout le monde, auditeurs amateurs, connaisseurs plus éclairés, spécialistes et même ses congénères de la planète de la note bleue. Monk est au sommet de son art, unanimement connu, reconnu et célébré. Les spécialistes du jazzman new-yorkais encensent un jeu anguleux, tout en discontinu, précurseur et inédit puisqu’ils sont, aujourd’hui encore, nombreux à s’en réclamer, tant dans l’approche purement technique que dans le cheminement spirituel via le hip-hop et, notamment, la culture du sampling.

 Blue Monk (concert à Oslo en avril 1966)

Straight, No Chaser

Parmi les héritiers de ces sonorités minérales et hypnotiques issues d’une parfaite maîtrise du piano stride – en clair, l’enjambement des deux mains pour permettre le jeu des basses et des accords de l’une, la ligne mélodique de l’autre – émerge sans conteste le Texan Jason Moran, 37 ans, dont une quinzaine d’années déjà dans la galaxie des étoiles contemporaines du jazz. Et Moran vient présenter un hommage digne de ce nom à l’un de ses mentors, fruit de plusieurs années de travail, de recherches, de création et de répétitions. Il s’y attelle en 2007, à la demande du San Francisco Jazz Festival, dans la perspective du cinquantenaire du « Monk at Town Hall ». En 2009, le dispositif est fin prêt, à la sauce Moran évidemment. C’est-à-dire agrémenté d’une foultitude de documents d’archives sonores, photo et vidéo, bien plus en tout cas qu’un simple tribute to sans (trop de) relief qui reprendrait à l’identique le concert new-yorkais cinq décennies plus tard.

Jason Moran fait donc de cette page majeure de l’histoire du jazz un objet à part entière, dont il s’imprègne et se délecte, qu’il renifle, sent, décortique, cherche à comprendre pour en livrer une relecture toute personnelle, en restituer l’esprit avec distance et respect sans toutefois tomber dans la révérence muséale devant un monument appelé à prendre la poussière. Non, « Melodious » Monk doit vivre et revivre, et c’est pourquoi Moran ajoute au projet un sous-titre plein de sens : « In my mind ».

Jason Moran explique le projet « In my mind »

Moran interprète Monk

A ses côtés, une fidèle flibuste d’anches et de cuivres : The Bandwagon – avec son tandem habituel Tarus Mateen à la basse et Nasheet Waits à la batterie – ainsi que cinq autres musiciens qui viennent compléter le big band. « Monk at Town Hall » version Jason Moran avait déjà été joué en France en 2009 à l’occasion du festival Banlieues Bleues en Seine Saint-Denis. Il revient cette année, avec seulement trois dates françaises, dont une halte sur la scène de Pôle Sud à Strasbourg le 13 mars et, la veille, le 12 mars, une masterclass exceptionnelle au conservatoire à la Cité de la musique et de la danse.