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Comment les Strasbourgeois s’entraident, via un groupe Facebook

Plus de 7 000 Strasbourgeois ont déjà rejoint Sharing is Caring, un groupe Facebook supposé faciliter l’entraide entre les citadins. Le rôle de cette communauté tend cependant à dépasser le simple échange de matériel ou de services.

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Comment les Strasbourgeois s’entraident, via un groupe Facebook

De nombreuses villes du monde et de France sont dotées de ces groupes Facebook, dont l’objectif est de permettre aux internautes de s’échanger des objets, des bons plans ou encore des coups de main. La page Wanted de Paris rassemble plus de 300 000 utilisateurs, celle de Bordeaux en compte 70 000.

À Strasbourg, le groupe Sharing is Caring propose également d’employer le réseau social à organiser la solidarité entre les habitants de la ville, le tout dans la gratuité la plus totale. On compte aujourd’hui plus de 7 000 « shareurs ».

« J’échange ces vêtements contre de la nourriture »

On trouve tout type de choses à échanger ou à récupérer sur Sharing is Caring. Qu’il s’agisse de denrées alimentaires, de vêtements, de livres, ou de vaisselle, des dizaines d’annonces sont postées chaque semaine et trouvent (presque) toujours preneurs. Pour Célia, 36 ans, le geste s’explique facilement :

« Plutôt que de jeter, on donne. »

Le type d’échanges qui ont cours sur Sharing is Caring.

Si des contreparties sont parfois demandées, elles sont le plus souvent dérisoires. L’objectif n’est pas d’opérer une transaction fructueuse mais, d’éviter le gaspillage, la surconsommation, ou simplement d’aider son prochain.

Les annonces concernant le don ou l’échange d’objets sont nombreuses et parfois redondantes, elles ne sont du reste pas la vocation première de Sharing is Caring. Le groupe se considère d’abord comme un réseau d’entraide et de solidarité. À ce titre, Célia, une utilisatrice se montre amère vis-à-vis de certains comportements auxquels elle a pu avoir affaire :

« Des gens sonnent chez vous à l’heure convenue, récupèrent l’objet proposé dans l’annonce, disent à peine merci et repartent tout de suite. »

De la même manière, Nicolas, le seul des trois fondateurs qui habite toujours Strasbourg, s’agace :

« Il y en a quand même qui viennent simplement pour ne pas avoir à dépenser d’argent. Sharing is Caring, ce n’est pas que ça, on n’est pas là pour dénigrer la rémunération ou faire la révolution. »

Si ce genre d’attitude déçoit, c’est bien parce que le groupe Facebook entend remplir des fonctions sociales que certains vont jusqu’à revendiquer. Cette dimension humaine, indispensable selon la plupart des usagers, est présente depuis la création de Sharing is Caring.

Un concept importé de Maastricht

Le tandem, emblème de Sharing is Caring. Dessin : Svetlana Bourmaud

Sharing is Caring a vu le jour en 2013, sous l’impulsion de Nicolas, Timothée et Max, tous les trois étudiants. Nicolas accueille alors un couchsurfeur espagnol, directement arrivé de Maastricht : Max.

« Je devais l’héberger deux jours, il est resté chez moi deux semaines. Je l’ai aidé à remplir des formulaires administratifs, on a passé du temps ensemble, on est devenus amis.« 

Nicolas, un piano et une scie, tous deux dégotés sur Sharing is Caring. Photo : Tanguy Cadi/ Rue89 Strasbourg

Max s’étonne de ne pas trouver à Strasbourg de groupe dédié à l’entraide comme il en existe à Maastricht. Il explique le concept à Nicolas et Timothée. L’idée séduit les jeunes hommes qui retiennent surtout le côté convivial et social d’une telle plateforme. C’est ainsi que tous les trois décident d’importer l’idée dans la capitale européenne.

« On ne savait pas trop comment rassembler les gens sur Facebook alors on ajoutait nos amis au groupe sans vraiment leur laisser le choix (rire), puis ces gens ont eux-mêmes ajouté leurs amis. Bref, ça s’est auto-organisé et maintenant on est près de 7 000. »

D’abord essentiellement constituée d’étudiants, la communauté s’élargit bientôt aux jeunes actifs, puis aux trentenaires. Désormais, toutes les classes d’âge sont représentées. Les utilisateurs échangent quotidiennement dans la bienveillance et le respect mutuel. Une seule règle, cependant : la gratuité. Toute forme d’achat ou de vente est rigoureusement proscrite. Les contrevenants sont exclus du groupe par les administrateurs.

L’une des tâches principales des administrateurs consiste à modérer les annonces de ventes publiées sur le groupe.

Le groupe compte actuellement deux administrateurs. Leur tâche consiste à modérer les échanges s’il y a lieu, à traquer les tentatives de ventes ou de publicités et à congédier les faux comptes ou les « trolls », même si ceux-ci sont finalement assez rares en comparaison à d’autres groupes Facebook strasbourgeois.

« Comme un groupe de potes, en mieux. »

Béatrice, 27 ans, se considère comme une utilisatrice active du groupe :

« J’ai beaucoup donné sur le groupe et pas uniquement du matériel. »

Elle est par exemple parvenue à organiser des ateliers d’initiation à l’écriture inclusive. Émily, 23 ans, est entrée en contact avec une troupe de théâtre d’improvisation qui s’est depuis produite au Molodoï dans le cadre du quatrième « Prison Blues ». Justine, après avoir constaté la passion entraînée par une controverse dans les commentaires d’une publication, a l’intention d’organiser un atelier-débat en septembre sur le thème de l’appropriation culturelle.

Les aides apportées par les « shareurs » à de parfaits inconnus peuvent aller du simple coup à de pouce à des prestations que certains, comme Allovoisin ou Blablacar, n’hésiteraient pas à monnayer.

« Il y a un vrai esprit de communauté. On ne connaît pas les gens et pourtant on rend service. C’est comme un groupe de potes, en mieux. »

Comme dans un groupe de potes, on se conseille des magasins, des tatoueurs, on s’aide pour les déménagements…

Alex, 21 ans et étudiant en musicologie, a ainsi confié pendant plusieurs jours son matériel d’enregistrement sonore à une fille qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam.

“C’est le principe du groupe. On fait confiance à ceux qui sont dessus, je pars du principe qu’ils sont comme moi : prêts à donner sans forcément demander quelque chose en échange et inversement.”

Célia, quant à elle, souhaitait aménager sa terrasse mais les dalles nécessaires aux travaux étaient encombrantes. Son époux et elle en sont venus à la conclusion qu’une paire de bras supplémentaire ne serait pas de trop.

« Sans trop y croire, j’ai demandé de l’aide sur Sharing is Caring. Quatre personnes ont répondu, seul un jeune homme est venu mais son aide nous a été précieuse ! C’était un dimanche, il fêtait son anniversaire ce jour-là, et pourtant il a porté des dalles en béton toute la matinée. On lui a promis qu’une fois la terrasse finie, il viendrait y boire un verre. »

Des coups de main et plus si affinités

Au départ, l’essentiel des membres de Sharing is Caring ne se connaissent pas « dans la vraie vie ». Pourtant, en quelques occasions, des amitiés on pu naître. Béatrice et Stéphanie se sont rencontrées via Sharing is Caring.

« Elle m’a donné de la rhubarbe et plus tard je l’ai aidée à soigner son chien. Maintenant, on se voit souvent, on fait même des soirées karaoké ensemble. », raconte Béatrice.

Mieux encore, le témoignage de Nicolas, fondateur du groupe qui évoque sa rencontre avec Loïc :

« J’avais besoin d’une camionnette pour transporter des palettes. Loïc a répondu à mon post, il n’avait pas de véhicule mais s’est proposé de m’aider à les porter. Ça a duré toute la nuit, on a déplacé une quinzaine de palettes en tout. Plus tard, il m’a aidé à monter un piano dans mon appartement, cette fois-ci je ne l’ai même pas contacté par Facebook, je lui ai directement envoyé un message. »

Ce que Nicolas retient de ces escapades, c’est avant tout le moment partagé avec celui qui, au début, n’était qu’un nom sur Facebook accompagné d’une photo de profil.

« On a vécu des choses ensemble. Loïc est très actif sur le groupe, il le consulte quotidiennement. Je pense que pour lui, comme pour d’autres, c’est aussi un moyen de voir du monde et de vivre des aventures. Je garde un super souvenir de ces escapades, même si c’était vraiment galère (rire) »

Pourrait-on dire pour autant que Sharing is Caring constitue une communauté ? Alex ne voit pas les choses de cette manière :

« Je n’ai pas cette utilisation de Sharing is Caring. Mais c’est sans doute le cas pour d’autres. Des pique-niques ont par exemple été organisés. »

En mai dernier, un pique-nique a été organisé. Tous les membres de Sharing is Caring étaient conviés.

Un noyau dur de 40 personnes

Il en va de même pour Nicolas qui, malgré son enthousiasme, trouve le terme de communauté un peu excessif :

« Je comprends cette impression : tu donnes, tu reçois… Mais ça dépend quand même de l’investissement de chacun. Tout le monde n’est pas actif sur ce groupe même si tous les utilisateurs s’en laissent la possibilité. »

Sur 7 000 membres, seuls une quarantaine d’entre eux sont réellement actifs au quotidien. L’expérience du groupe varie donc d’un utilisateur à l’autre, ce qui est important c’est d’abord que chacun soit libre de s’y investir comme il l’entend.

Pour la plupart, les « shareurs » n’ont d’ailleurs pas rejoint le groupe pour se faire des amis, lorsque ça arrive il s’agit d’abord d’un effet collatéral. En outre, la ville est déjà dotée en termes de site de rencontres amicales.

« Facebook, ça reste limité. »

À l’instar de Wanted Paris qui a pour projet de s’organiser sous la forme d’une application, l’idée de changer de support avait été envisagée dès le début par Nicolas et Timothée :

« On avait imaginé une application qui utiliserait la géolocalisation pour faciliter l’entraide entre personnes d’une même ville. Les annonces et les demandes seraient classées par catégories, mieux organisées que sur Facebook où elles sont jetées en vrac. »

Mais son avis n’est pas partagé par tous les utilisateurs. Célia, par exemple, est frileuse à l’idée de voir Sharing is Caring se délocaliser sur smartphone.

« Une appli, c’est tendance mais c’est restrictif. Il manquerait l’échange verbal (virtuel, NDLR) ce ne serait pas forcément très convivial. »

Des quartiers peu représentés

Si le créateur comprend ces réticences, il insiste néanmoins, convaincu qu’une application pourrait mettre fin à l’homogénéité sociale du groupe.

« C’est vrai que l’échange est important mais il n’est pas propre à Facebook. Une application peut aussi remplir les fonctions d’un réseau social. Il y a des quartiers qui sont totalement absents de Sharing is Caring. Il est très rare que des gars du Neuhof viennent poster des annonces par exemple. Ceux-là se rendraient plus facilement sur une application que sur un réseau social, où la différence de quartier, donc de mode de vie, est beaucoup plus visible. Le but ultime, ce serait que des gens venus de toute la ville utilisent Sharing is Caring. La ville ce n’est pas uniquement le centre ou le Neudorf. »

« Je suis convaincue que ça va se développer. »

Le nombre d’adhérents est en constante augmentation. Cette affluence en effraie quelques uns, qui s’interrogent sur la façon dont sera gérée cette densification de l’effectif. Cependant, Célia se dit confiante :

« Le groupe va se développer. Oui, il y aura de plus en plus de monde, il faudra s’organiser mais c’est jouable. Il faudra sans doute établir plus de règles ou augmenter le nombre d’administrateurs. »

Béatrice est aussi optimiste, mais reconnait l’importance du travail des administrateurs.

« La plupart du temps on se régule tout seul, il m’est arrivé, ponctuellement, d’aider les modérateurs à faire le boulot. Mais je n’ai pas le temps de devenir moi-même modératrice. »

Actuellement, les deux administrateurs sont en recherche d’un troisième bénévole, prêt à les aider dans le travail de modération qu’exige la bonne tenue du groupe.


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