En voyant les spectaculaires images de la Cathédrale Notre-Dame de Paris en flammes, beaucoup de personnes travaillant autour de la Cathédrale de Strasbourg ont eu le même réflexe : comment réagir si la même chose se produisait ici ? « J’ai écrit la liste des contrôles. J’avais besoin de coucher sur le papier tout ce qui doit être fait », raconte Romuald Schnell, technicien en charge de la sécurité et l’entretien de la Cathédrale de Strasbourg. À l’Œuvre Notre-Dame, qui participe à la rénovation et l’entretien de l’édifice, une petite ronde a aussi été improvisée.
Un diagnostic des mesures de sécurité
Le maire Roland Ries (PS), qui dirige par extension cette fondation, a « demandé un diagnostic précis des mesures de sécurité incendie ». Ainsi, à son initiative, une visite des combles a été organisée dès ce mardi 16 avril dans la matinée. L’État, par l’intermédiaire de ses agents de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), a subtilement rappelé qu’il était propriétaire des lieux. Par conséquence, les travaux et leur mise en sécurité se déroulent sous ses ordres.
Cinq chantiers sont en cours sur l’édifice. Les rénovations actuelles concernent le transept sud, la façade ouest, la voûte, la tourelle sud-est ainsi que le réaménagement de la plateforme et sa « maison des gardiens ». Des travaux se déroulent en continu, pour un budget de deux millions d’euros par an. Ils attirent un surplus de vigilance, car les départs de feu y trouvent souvent leur origine (comme par deux fois à Nantes ou potentiellement à Paris).
Des combles cloisonnés
Première différence notable avec l’édifice parisien, les combles sont séparés en trois espaces avec des murs de « recoupement de feu » tous les 25 mètres environ. « Cela n’arrêterait pas le feu, mais limiterait la vitesse de propagation », ajoute Romuald Schnell, le « Monsieur sécurité » de la Cathédrale. D’ici là, les pompiers pourraient affluer et utiliser les « colonnes sèches« , pour faire remonter leur eau dans les étages et éteindre le feu par le haut. « Nous faisons des exercices avec les pompiers pour leur apprendre à mieux connaitre les accès et les travaux », ajoute l’agent de l’État. Les escaliers en colimaçon proposent en effet quelques accès étroits et limités.
Des espaces propices aux flammes
Ces trois espaces au-dessus de la voûte en pierre sont reliés par des portes coupe-feux. Sur le bois, des têtes de détection de fumées sont espacées tous les trois mètres. Comme à Paris, la charpente est en chêne, mais il ne reste presque rien d’origine. La plupart des planches et des chevrons ont disparu lors des incendies, notamment celui de 1870 lors de l’offensive prussienne en France. Les combles attirent l’attention car leur bois ancien, couplé à des poussières ou encore des particules de cire des cierges (qui remontent via la voûte qui laisse passer l’air) sont particulièrement inflammables.
Romuald Schnell liste plusieurs mesures spécifiques à cet espace :
« Les fumées des bougies sont moins chargées par les fabricants. On ne voit plus les traces de suie noir comme par le passé. L’électricité est coupée à partir de 19h et il n’y a pas de tableaux électriques dans les combles. Nous n’avons pas l’équivalent de « la forêt » de Paris, mais un accident pourrait arriver ».
La dernière visite de l’Inspection générale du patrimoine date de novembre 2018 et a délivré un avis favorable.
Des chantiers contrôlés
Les entreprises missionnées par l’État disposent parfois de « permis de feu » encadrés, quand elles ont besoin d’ustensiles qui produisent des étincelles ou de la chaleur, tels des outils de soudage.
Carole Pezzoli, conservatrice régionale aux Monuments historiques, rappelle les règles, qui s’appliquent partout en France :
« Les entreprises doivent rester une heure sur site après les travaux quand ils utilisent des ustensiles calorifiques, pour vérifier qu’il n’y ait pas une étincelle, qui avec les poussières et le bois pourraient propager le feu. Un agent de la Drac vient vérifier les chantiers chaque matin. Les normes sont faites pour ce qui relève des choses courantes, mais un accident peut toujours arriver. »
À Paris, la société Europe Échafaudage a précisé qu’il n’y avait aucun de ses salariés lors du départ du feu et qu’elle participe à l’enquête « sans réserve ».
Les œuvres enlevées lors des travaux
À cela s’ajoute un « Plan de sauvegarde des œuvres », pour les mettre à l’abri lors des travaux. C’était le cas à Paris où 16 statues ont été enlevées de la flèche 5 jours avant l’incendie, avant de partir pour une restauration en Dordogne. Retrouveront-elles un jour leur emplacement d’origine ?
Autre principe qui guide les travaux : mettre peu d’ouvriers en même temps sur un chantier. « On évite la co-activité. Les travaux d’un charpentier peuvent gêner celui d’un couvreur », explique par exemple Grégory Schott, Architecte des Bâtiments de France du Bas-Rhin, et qui supervise chaque chantier. Ce qui explique en partie que ces grandes opérations prennent du temps.
Dernière petite différence avec Paris, le toit est couvert de cuivre daté de la reconstruction à la fin du XIXè siècle, là où la flèche de Notre-Dame avait gardé du plomb d’origine, plus lourd. « Cela correspond aux matériaux de construction utilisés à ces époques », complète Grégory Schott, sans que cela ait d’incidence sur l’inflammabilité.
Pour simplifier, l’État gère ou délègue à des sociétés spécialisées les travaux qui concernent les vitraux, les décors peints, les ferronneries ou la charpente. L’Œuvre Notre-Dame s’occupe en particulier des taillage des pierres, même si elle intègre d’autres métiers.
L’Œuvre Notre-Dame, bien partie pour l’Unesco ?
L’Œuvre Notre-Dame compte 32 salariés, dont 23 techniciens (des sculpteurs, mais aussi menuisiers, forgerons, conservateurs, bureaux d’études). Ses équipes travaillent actuellement sur la rénovation de la plateforme. Roland Ries a indiqué qu’il a demandé à la fondation d’apporter son aide et son « savoir-faire » à Paris. Elle s’emploie à utiliser et transmettre les méthodes traditionnelles de la taille de pierre.
« Pour l’instant, ce serait ce serait une aide en conseil technique, suite aux diagnostics sur l’état du bâtiment », précise son directeur Éric Fischer. Le reste, comme un détachement des techniciens est très hypothétique à ce stade et n’interviendrait que dans quelques années. « On peut tout imaginer, mais il faut aussi que nous puissions continuer les chantiers ici ». La priorité à Paris est de s’assurer qu’aucun autre endroit, y compris les pierres, soient fragilisées par l’incendie.
La fondation qui compte un siège et ses ateliers place du Château, ainsi qu’un entrepôt à la Meinau, a candidaté pour être classé au patrimoine mondial immatériel de l’humanité, attribué par l’Unesco. Le dossier a été déposé en mars 2019.
La catastrophe parisienne et les besoins qui en découlent pourraient-il aider la candidature strasbourgeoise ? « C’est évident », s’avance Éric Fischer. « Quand on voit les réactions dans la presse, les demandes depuis hier, il y a quelque chose de particulier à Strasbourg. La capacité à intervenir, la transmission des savoirs et des connaissances sont un modèle à reproduire ». Réponse en novembre 2020.
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