« C’est du jamais vu. » Devant le collège Lezay Marnésia, quartier Meinau, Octave, assistant d’éducation, vient de faire le compte des grévistes mardi 12 novembre. 80% des personnels enseignant et de vie scolaire sont mobilisés pour obtenir l’hébergement de huit élèves de leur établissement. Après trois jours d’occupation d’un bâtiment, ils sont une trentaine devant le portail et attendent toujours une réaction de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), responsable des collèges d’Alsace et propriétaire d’une centaine de logements de fonction vides.
Le soir même, la mobilisation montera encore d’un cran. Sans solution proposée par la CeA, ils décideront d’abriter quatre familles dans le CDI du collège, « jusqu’à ce qu’un hébergement leur soit proposé ». Céline, enseignante en histoire, résume la situation :
« Nous avons conscience que notre place est en classe, devant nos élèves. Nous avons également conscience que la place de nos élèves n’est pas dans la rue. Nous allons remplacer aujourd’hui nos cours de français, de musique et de maths, par une leçon de solidarité. Nous espérons qu’ainsi leur génération sera moins égoïste que la nôtre. Nous informons la CeA que nous nous lançons dans une mobilisation qui prendra fin avec la mise à l’abri de ces enfants. »
« Quand viendront-ils nous abriter car nous avons très froid »
SMS d’une collégienne de 11 ans, sans-abri
Au matin du mardi 12 novembre, l’enseignante a entamé la lecture d’un message envoyé par une enfant de 10 ans au cours du week-end. Le SMS, adressé à la présidente de l’association Les Petites Roues Sabine Carriou, a aussi été imprimé sur des pancartes tenues par nombre de grévistes ce matin : « Bonjour Sabine, quand viendront-ils nous abriter car nous avons très froid et il pleut, la pluie est entrée, s’il te plaît dis moi quand ils viendront nous abriter. »
« Hier, on a rencontré un élève de 11 ans qui n’allait plus en cours parce qu’il ne voulait pas venir avec ses vêtements boueux. Il nous a dit que le collège lui manquait », raconte Loïc, professeur de maths au collège Lezay Marnésia. Président de l’association Un toit pour nos élèves, il relate une mobilisation croissante de l’établissement depuis près de dix ans. Une première cagnotte pour des enfants à la rue en 2019, des nuits passées sous tente en solidarité avec les familles. « On voit de plus en plus d’élèves sans-abri. On se demande jusqu’où ça va aller… », souffle l’enseignant mobilisé.
Des logements de la CeA vides
À ses côtés, Émilie, professeure d’histoire-géographie, se dit « déterminée » face à la guerre d’usure lancée par la Collectivité d’Alsace. Elle regrette aussi la passivité du président de la CeA, Frédéric Bierry (Les Républicains) : « Pour nous, la dignité humaine et la mise à l’abri d’enfants devraient être des valeurs partagées par tous les bords politiques. » Au total, selon une présentation interne à la CeA datée de juin 2024, 162 logements de fonction sont vides dans les collèges alsaciens, dont 40 à 50 sur le territoire de l’Eurométropole.
Sans réponse de la CeA depuis le vendredi 9 novembre, une dizaine de grévistes ont interpellé son vice-président en charge « de la jeunesse et de la réussite éducative », Nicolas Matt. L’élu Renaissance avait annoncé sa présence au marché du boulevard de la Marne. Pendant plus de 20 minutes, deux enseignantes ont sommé le responsable politique de répondre à leur revendication :
« Nous avons deux logements vides au collège. Depuis le mois de juin, on demande à les utiliser. Le rectorat est d’accord. Le chef d’établissement et son conseil d’administration ne s’y opposent pas. Vous nous avez dit que cette solution est envisageable. Donc tout le monde nous dit oui, et un mois plus tard, il n’y a toujours pas de réponse… »
Nicolas Matt : « Que fait l’État ? »
« Je veux bien qu’on accuse la Collectivité européenne d’Alsace de tous les maux, a répondu Nicolas Matt, mais que fait l’État ? » L’échange s’est ensuite éternisé. Le vice-président, membre du parti présidentiel Renaissance, a d’abord mis en avant les obstacles à l’utilisation de ces appartements vides : vote d’une décision en ce sens par le conseil d’administration, respect des normes de sécurité de l’appartement… Ces logements de fonction avaient pourtant été utilisés sans problème pour accueillir les réfugiés Ukrainiens par exemple.
Nicolas Matt a ensuite souligné d’autres contraintes qui pèsent d’après lui sur la CeA :
« On a de très grandes difficultés pour tenir nos missions sur la protection de l’enfance. On manque de travailleurs sociaux. On a un millier de mineurs non-accompagnés qui arrivent chaque année en Alsace. On doit les placer, c’est notre mission. Il faut trouver des logements pour eux. Face à ce chiffre absolument incroyable, multiplié par dix en dix ans, nous avons décidé d’explorer toutes les possibilités, y compris les logements de fonction. »
Les manifestants et manifestantes sont sortis de cette entrevue sans engagement de la part de Nicolas Matt. Tout juste ont-ils obtenu une promesse d’être informés des suites d’une réunion de la CeA en fin de matinée au sujet de ces logements de fonction.
Les militants abritent quatre familles dans le collège
Le service communication de la Collectivité d’Alsace avait assuré qu’un communiqué serait publié dans l’après-midi pour répondre à la mobilisation des enseignants. Mais quelques heures plus tard, aucune nouvelle du Département. C’est finalement le collectif qui a communiqué : « Sans résultats ni réponse de la CeA, le collectif de personnels décide de mettre à l’abri quatre familles dans le collège » à partir de 19h. La grève devrait être suspendue dès mercredi 13 novembre, mais l’occupation perdurera pour héberger ces élèves jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée selon les enseignants et enseignantes. Elles affirment que 17 enfants et cinq de leurs parents ont ainsi été mis à l’abri, dans le CDI du collège. Les autres adultes étant restés au campement pour surveiller leurs affaires.
Contactée, la préfecture du Bas-Rhin, en responsabilité concernant l’hébergement d’urgence, n’a pas donné suite à notre sollicitation.
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