Rue Watteau. Samedi 20 juin, aux alentours de midi. Amina vient de quitter son stand de vêtements pour entrer dans le restaurant Le Calcio. Commerçante au marché de l’Elsau depuis 23 ans, la femme se félicite de l’ouverture de cet établissement : « Avant, ici, on avait tout, un distributeur, une boulangerie, un café, deux banques. Puis tout a fermé… Maintenant, je peux à nouveau prendre un petit-déjeuner. » Derrière le comptoir, Shayna, 27 ans, prend les commandes. L’habitante du quartier de Cronenbourg s’étonne de travailler dans une « petite boîte » à l’Elsau après avoir été agent de vente à la CTS.
Un bar sportif, un restaurant, un coiffeur
En deux ans, Ali El Jadeyaoui et son frère Alharbi ont ouvert trois commerces dans la rue Watteau. Dès juillet 2018, Ali a loué un local et l’a transformé en bar sportif, avec Playstation et chichas. Les jeunes du quartier s’y retrouvent les soirs de Champion’s league, pour les grands combats de boxe ou pour un match PSG / OM. Mais les abonnements aux chaînes RMC, Bein’ ou Canal coûtent cher, « près de 100 euros par mois rien que pour la télé… Au bout d’un an, l’association a eu du mal au niveau financier », se souvient Ali. Avec son frère, il décide donc de lancer deux établissements pour soutenir l’activité associative.
En décembre 2019, les frères El Jadeyaoui ouvrent un salon de coiffure pour hommes, « Les beaux garçons ». Dilaver, le coiffeur, prend les réservations sur Facebook et coupe les tifs pour 12 euros avec shampoing. Près de six mois plus tard, ils lancent un restaurant dans un local voisin. L’établissement propose des petits-déjeuners entre sept et dix euros, ainsi que des plats de pâtes à six euros le soir.
Football pro et retour au quartier
Ali et Alharbi El Jadeyaoui viennent du quartier de Cronenbourg. Les frères ont passé la plus grande partie de leur enfance à l’Elsau. Lorsqu’Alharbi est devenu footballeur professionnel, Ali l’a suivi, à Brest, à Guingamp, et même en Azerbaïdjan et en Thaïlande. En Bretagne, le petit frère servait aussi de « garde du corps, surtout quand on perdait un match », rit l’ancien footballeur professionnel. Ali a ouvert un salon de thé à Saint-Brieuc. L’association s’appelait « Les amis des Bretons ». À l’Elsau, l’association porte le nom « Les amis des Alsaciens »
À l’arrière du restaurant Le Calcio, Aziz rejoint ses deux frères pendant l’interview. Le chauffeur de taxi et secrétaire de l’association « Les amis des Alsaciens » se souvient de l’état du local il y a deux ans : « L’électricité n’était pas aux normes, il n’y avait pas d’arrivée d’eau chaude, les fenêtres étaient cassées… » Selon Alharbi, les réparations ont coûté entre 50 et 60 000 euros : « On a mis seulement nos propres billes », assure l’ancien joueur de foot, dont le salaire mensuel a pu dépasser les 15 000 euros. Ce dernier regrette le manque de soutien des pouvoirs publics. « On n’a même jamais vu l’adjoint de quartier, je ne sais même pas qui c’est », ajoute Ali.
« Les policiers sont de suite agressifs »
Au-delà des élus absents, le gérant du Calcio dénonce aussi les interventions policières régulières dans ses locaux. En deux ans à peine, Ali dénombre une vingtaine de contrôles d’identités ou de fouilles dans le bar sportif :
« Il doit y avoir deux fois à peine où ça s’est passé sans tension. Sinon, les policiers sont tout de suite agressifs. Ça fait deux ans qu’on est là, ils savent que ça se passe bien et qu’il vaut mieux que les jeunes soient ici que dans la rue. Mais non, ils continuent de venir comme s’ils ne nous connaissaient pas. »
Un projet social pour l’Elsau
Au-delà des coiffures stylées, des brunchs et des thés à la menthe, les frères El Jadeyaoui s’investissent dans un projet social qui fait du bien au quartier. Grâce au Calcio, les personnes âgées ont un endroit pour se retrouver dans la rue Watteau. Le soir, l’allée et ses lampadaires défectueux retrouvent un peu de lumière grâce aux éclairages du restaurant. Le local sportif offre un lieu complémentaire au centre socioculturel, comme l’explique Alharbi : « Le CSC s’occupe des jeunes la journée, et plutôt des ados jusqu’à 17 ans. Nous, on est ouvert après le CSC et pour des jeunes plus âgés. »
Les frères El Jadeyaoui citent en exemples les sportifs professionnels strasbourgeois comme Mehdi Baala et Fouad Chouki. En ouvrant ce local, Ali espère aussi inspirer les jeunes du quartier :
« Nous, on a réussi à faire quelque chose de nos vies parce que des gens nous ont inspirés quand on était jeunes. On avait des exemples à suivre au CSC, au quartier, des gens à qui on pouvait s’identifier. Ici, c’est pareil, je veux que les jeunes apprennent d’eux-mêmes, je veux qu’ils changent. »
« Donner de la force au quartier »
Avant de profiter d’un brunch en terrasse, Alharbi El Jadeyaoui se félicite de l’impact de ces projets sur le quartier. Ce samedi 20 juin, un ami ambulancier est passé boire un thé après avoir déposé un patient : « Avant l’ouverture du restaurant, je ne serais jamais resté », affirme Malik.
L’ancien joueur de foot rêve aussi d’ouvrir le quartier au reste de Strasbourg : « Ces gens qui viennent d’autres quartiers, ça crée des connexions. Je sais que c’est le réseau qui permet d’avancer, de trouver un job… » Aujourd’hui habitant d’Ostwald, le père de famille tenait à s’investir pour le quartier de son enfance :
« Pendant quinze ans, avant chaque match, je recevais plus d’une centaine de messages d’encouragement chaque semaine. L’Elsau m’a toujours soutenu, maintenant c’est à moi de donner de la force au quartier. »
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