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Cobalt : une exposition entre (a)pesanteur et gravité au Faubourg 12

Du 23 novembre au 1er décembre, l’exposition Cobalt organisée par l’association Le Tube joue avec le vide au Faubourg 12 : de la chute à l’élévation, sept installations d’art contemporain quittent le sol pour graviter dans l’espace.

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Cobalt : une exposition entre (a)pesanteur et gravité au Faubourg 12

« Soutenir la jeune création contemporaine », voilà le mot d’ordre de l’association Le Tube qui œuvre à Strasbourg et ses environs depuis 2016. Du 23 novembre au 1er décembre, les commissaires d’exposition abandonne les murs pour s’emparer du vide et proposer des œuvres en lévitation.

Vu de l’extérieur, le Faubourg 12 est un espace privé à l’aspect peu attrayant. C’est pourtant un lieu doux et apaisant que l’on découvre en y entrant. La toiture vitrée en dents de scie diffuse une lumière naturelle dans la salle. Des jeux d’ombre mouvants se déploient autour des œuvres réalisées pour l’occasion par les jeunes artistes Hélène Bleys, Jonathan Cyprès & Cécile Gallo, Jacques Herrmann & Vincent Lo Brutto, Emilie Philippon et Jamila Wallentin.

Vue de l’exposition Cobalt au Faubourg 12 (photographie : Yasmine Belhadi)

Suspension : une histoire aérienne

Il y a un an, l’exposition de l’historien de l’art Matthieu Poirier Suspension : une histoire aérienne de la sculpture abstraite, 1918-2018 était présentée au Palais d’Iéna à Paris et à la galerie d’art Olivier Malingue à Londres. Un large éventail d’œuvres suspendues jouait avec les limites de la spatialité. L’exposition clôturait un siècle de création durant lequel les artistes d’avant-garde s’étaient évadés du tableau et des murs de la galerie pour investir l’espace dans sa totalité. L’exposition du Tube fait écho à cette évolution contemporaine de l’oeuvre d’art, qui devient installation et environnement. Comment ces pratiques sont-elles revisitées par l’exposition ?

L’association ne pose, bien sûr, pas un regard historique sur la suspension, mais propose d’en examiner les développements actuels : les commissaires d’exposition Violette Doire et Margot Rieder ont pour volonté d’exposer un motif esthétique plutôt qu’un concept. Il s’agit de faire preuve de légèreté, à l’image de la notion de lévitation.

Mais que vient faire le cobalt dans tout cela ? Les commissaires soignent l’effet de surprise : « Nous nous sommes inspirées du monolithe, lien entre ciel et terre, présent dans 2001, l’odyssée de l’espace. C’est cette forme rectangulaire que la graphiste Juliette Riegel a d’ailleurs exploité dans le visuel d’exposition. » En faisant des recherches plus poussées sur les atomes, le cobalt a curieusement retenu leur attention. Ce métal gris permettait en effet de former des alliages résistants entre deux matériaux, une métaphore de la transition entre ciel et terre.

Des œuvres en mouvement

L’installation Inertie de Jamila Wallentin prend place au centre de l’espace. La pratique sculpturale de cette jeune artiste de culture franco-allemande joue de la matière et questionne le rapport aux corps. Des fils de coton blanc sont enroulés autour de fuseaux en bois de hêtre. Les fils sont suspendus au plafond et retiennent les bobines à quelques centimètres du sol. L’artiste réalise ces pièces à l’aide d’une bobineuse dont la vitesse de rotation est de 1 300 tours par minute. Ce geste d’une vitesse phénoménale semble s’arrêter momentanément. On ne distingue que la lente vibration des fils produite par le visiteur au fil de ses déplacements. Le mouvement est alors imprévisible.

Comment ne pas songer à la notion d’inattendu, évocatrice du courant d’art cinétique, apparu dans les années 1960. Des œuvres se meuvent aléatoirement grâce à des éléments naturels (le vent, le soleil, etc.), à un moteur ou à la déambulation des spectateurs. Les sens et la perception sont mobilisés, dans la continuité des « structures cinétiques » de l’artiste plasticien vénézuélien Jesús-Rafael Soto (1923-2005), dont les cascades de lignes composées de fils de nylon recréent la pulsation du mouvement vibratoire.

Jamila Wallentin, Inertie, diamètre au sol 1m et hauteur adaptée à l’espace, fil de coton DMC mercerisé blanc, bois hêtre, 2019 (Photographie : Yasmine Belhadi)

Juste derrière cette installation, Tout ce que l’on construit brûle présente de grands tissus suspendus qui se balancent au souffle de ventilateurs. Des ombres portées de végétaux sont imprimées sur le textile. On pense au linge étendu sur un fil, sur lequel se refléterait la végétation alentours. Cette danse des voiles reposante et méditative propose une pause pastorale dans l’agitation de la ville. L’oeuvre est signée par le duo d’artistes des artistes Jonathan Cyprès & Cécile Gallo , de leurs vrais noms Clément Davout et Léo Fourdrinier, qui œuvrent entre la France et la Belgique, en créant des installations et des sculptures in situ qui allient matières inertes et vivantes. 

Jonathan Cyprès & Cécile Gallo, Tout ce que l’on construit brûle, dimensions variables, acier, impressions sur tissus, ventilateurs, 2019 (Photographie : Yasmine Belhadi)

De suspension et de gravité

L’impesanteur de ces œuvres entre en tension avec la production d’Hélène Bleys, Le poids de la légèreté. Cette jeune artiste originaire de Nancy, membre du collectif d’artistes Ergastule depuis 2015, mêle humour et foisonnement à ses dessins et sculptures. Pour le Faubourg 12, elle produit des faïences colorées aux formes géométriques, fragilement suspendues au plafond par d’épaisses cordes rouges. En se rapprochant un peu, la richesse plastique des céramiques révèle un amoncellement d’ailes de papillon. Ce symbole de légèreté s’oppose aux lois de la gravité qui régissent cette œuvre. Chute ou élévation ? L’instant semble figé, en un bouleversement des perceptions.

Hélène Bleys, Le poids de la légèreté, dimensions variables, faïences, cordes polypropylène colorées, 2019 (Photographie : Yasmine Belhadi)

Plus loin, Intangible, d’Emilie Philippon propose un immense isoloir cylindrique en tissus noirs. Le spectateur est invité, s’il en a les capacités physiques, à se coucher sur le ventre pour passer la tête sous le rideau et découvrir ce qu’il dissimule. Pour conserver la magie de l’œuvre, je me résous à laisser planer le mystère : c’est à vous spectateur d’en faire l’expérience ! Des masques de protection respiratoires placés à côté des rideaux sont plus inquiétants qu’utiles au vu du temps passé sous l’oeuvre…

Emilie Philippon, Intangible, dimensions variables, pigments libres, ventilateur, minuteur impulsion, ampoule LED, bois, tissu, 2019

« Less is more »

Près de l’entrée, Horizon, témoin et corbeaux du duo Jacques Herrmann & Vincent Lo Brutto est plutôt déconcertante. Les deux artistes sont très différents : Jacques Herrmann travaille l’illusion d’optique en peinture. Vincent Lo Brutto réalise des sculptures qui troublent les sens.

Pour la première fois associés, ils ont réalisé une oeuvre conceptuelle : ils ont retiré un morceau du mur, comme en témoignent les poussières ocres sur le sol. La partie extraite est présentée dans une structure en verre positionné dans l’angle de la salle, comme flottant dans l’espace. Quelle parodie des vestiges architecturaux ! Les artistes jouent les archéologues en détruisant volontairement le mur.

Jacques Herrmann & Vincent Lo Brutto, Horizon, Témoin et corbeaux, 180 x 24 x 14 cm, MDF peint, verre extra-blanc, glycérine, verre borosilicate, fragment du Faubourg 12, peinture, 2019 (Photographie : Yasmine Belhadi)

Cette poussière au sol est-elle fortuite ou intentionnelle, s’agit-il d’une œuvre ou d’un accident ? Cette action in situ fait penser à L’exposition du vide d’Yves Klein, organisée en 1958 à la galerie parisienne Iris Clert : l’artiste avait présenté une galerie d’exposition vide. Au Faubourg 12 aussi  le public, dubitatif, en vient à interroger l’ensemble du lieu d’exposition : où est l’oeuvre ? Est-ce ces rideaux ? Ce simple radiateur ? Autant de questions qui traversent l’esprit en voyant le cartel malicieusement déposé près des débris de mur.

Dépouillement formel et réductionnisme : Horizon, témoin et corbeaux se place dans la lignée des mouvements minimalistes et conceptuels des années 1960 et 1970. Il s’agit d’aller à l’essentiel : c’était déjà la fameuse devise de l’architecte moderniste Mies Van der Rohe, « Less is more » (moins c’est plus).

« Un moyen pour le spectateur de s’approprier l’exposition »

Point non négligeable, les commissaires d’exposition ont apporté une touche personnelle à la médiation et à la communication de l’évènement. À l’entrée, une notice d’utilisation de Polaroïd invite le public à explorer l’espace à la recherche d’un détail, d’une image à saisir. Une fois la photographie imprimée, un message peut y être déposé. L’objectif est de constituer un panneau d’images, le temps de la semaine d’exposition, que le visiteur pourra retrouver en ligne, sur le site de l’association du Tube.

La microédition est l’un des médiums artistiques exploités par Le Tube : les multiples créations éditoriales liées à des projets précédents sont disponibles à l’achat. Des vinyles au contenu surprises de l’exposition Timelight jusqu’au contenu hybride et graphique de l’actuelle exposition Cobalt, l’intérêt est d’instaurer un rapport singulier avec le spectateur, pour que celui-ci puisse emporter avec lui une partie des créations des artistes.

Ensemble des microéditions proposées par l’association Le Tube lors de l’exposition Cobalt au Faubourg 12 (Photographie : Yasmine Belhadi)

#Art contemporain

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