Un après midi d’été, quelque part dans un recoin de Strasbourg, entre l’Ill et le quartier populaire de l’Elsau. L’environnement sonore est étonnamment calme, tout juste quelques sirènes rappellent que même au bord de l’eau, on est en pleine ville. Sur la pelouse, autour d’une table en plastique défraîchie, Eugène, Christiane, Malou, Bernard et d’autres, tous retraités, sirotent leurs Carola tranquillement.
« C’est à 18 heures qu’on passe au pastis », précise Eugène, vite repris par l’assemblée : « tu vas donner une mauvaise image de la pétanque ! »
Mais de pétanque, pour l’instant, il n’en est pas question. La section strasbourgeoise de l’ASPTT compte 23 licenciés… et 35 « membres loisirs », dont une bonne part d’épouses, qui n’ont aucune intention d’aller tutoyer le cochonnet. Malou donne le ton :
« On est là pour surveiller nos maris. »
Après un éclat de rire général et quelques échanges en alsacien, elle précise :
« Et puis on aide lors des concours et des soirées, pour l’entretien, la cuisine, les sandwiches, la caisse, la tenue du bar… Je viens tous les jours ou presque ici, j’y suis bien, on passe de bons moments ensemble. »
Une ambiance de repas familial qui s’éternise
Les bons moments auxquels Malou fait référence, ce sont simplement des discussions détendues autour de la table, des fous rires communicatifs. Tous se connaissent depuis longtemps, certains se sont rencontrés sur leur lieu de travail alors qu’ils étaient encore salariés. C’est ce qui explique cette ambiance de repas familial qui s’éternise.
« C’est notre jardin d’été, il manque juste la piscine », détaille Lily, déclenchant à nouveau l’hilarité générale.
En hiver, la même compagnie se retrouve autour de jeux de cartes ou de dés, à l’intérieur du club-house, un petit bâtiment qui appartient à l’ASPTT de Strasbourg. Fort heureusement, il n’est plus besoin d’avoir été agent des postes et télécommunications pour être membre. Le dernier facteur encore présent, Bernard, fait partie des meubles et des membres fondateurs de la section. Il est d’ailleurs en train d’hésiter entre pointer et tirer, un peu plus loin sur l’un des terrains du club.
Pas de stars, que des bons joueurs
Eugène reprend :
« Ici, c’est un club très familial. On aime pas trop la compétition. Il n’y a pas de stars, il n’y a que des bons joueurs, plaisante-t-il avant de continuer : « ici, il n’y a pas de jaloux. On ne vient pas là pour se prendre la tête et j’espère bien que ça restera ainsi… Il y a d’autres endroits, des clubs à sous, où ils courent après les titres. Mais c’est un autre univers, complètement différent. »
Le club-house est bien équipé : un bar, une machine à glaçons, une tireuse à bière… Tout est là. Oh bien sûr, dans un coin trône des dizaines de coupes remportées par les membres lors de divers tournois et une télé dans un autre coin est censée diffuser les compétitions européennes de pétanque. Mais elle est plutôt squattée par les enfants, qui regardent les aventures des Pokémons, offrant ainsi une paix royale à leurs parents.
La deuxième maison de Manu
Deux adultes sont néanmoins diplômés de Jeunesse et Sports pour encadrer les jeunes, Thérèse, la présidente, et Manu, le vice-président. Ce dernier, « chauffeur-livreur à la retraite dans un an » est l’une des chevilles-ouvrières du club, une bonne partie du matériel utilisé par l’association lui appartient personnellement et c’est lui aussi qui récupère des matériaux pour améliorer l’environnement immédiat du club-house.
Il est venu à la pétanque par hasard et devant l’accueil, il n’a jamais quitté le club. Aujourd’hui, il se plait à organiser les concours et les immenses barbecues, deux fois par an, en mettant en service son four à tartes flambées qu’il a lui-même fabriqué, et quand on passe à la soirée dansante, c’est lui le DJ. Il est là tous les après-midi après ses tournées, en soirée la plupart du temps et une bonne part des week-ends. Et quand il n’est pas là, Manu remplace Thérèse aux réunions de l’ASPTT ou du comité départemental.
Manu fait le tour de son club-house :
« On ne reçoit aucune subvention, et sur nos cotisations, la majorité part à l’ASPTT. Alors on est obligés de se débrouiller. La municipalité nous aide un peu pour les extérieurs. On va rajouter un peu de gravier sur les terrains, ça obligera tout le monde à lever les boules ! »
Chiffon dans une main, fil aimanté de l’autre…
Dans le « cadre d’honneur », on joue détendu, les boules peuvent rouler longtemps… Manu trouve que le niveau général du club s’en ressent. Derrière le club-house, un autre terrain est plus technique. Là, on ne fait pas de détails : une boule approche un peu trop du cochonnet, elle est déquillée direct, avec une maîtrise qui force le respect pour un club amateur « qui n’a pas de champion. »
Parce qu’à bien y regarder, tous jouent quand même très bien à la pétanque. Et ils sont bien équipés : boules dures ou demi-dures, de 600 à 780 grammes, le chiffon dans une main, le fil aimanté dans l’autre pour récupérer les boules sans se baisser… et le mètre dans la poche. Un millimètre est un millimètre et le règlement, c’est le règlement. Manu l’assure : on joue toujours avec toutes les règles.
Eugène a quitté la table et les femmes pour rejoindre une triplette. Et il ne faut pas le chercher : à son tour, voilà que la partie est relancée et que tout est à refaire pour ses adversaires. En arrière-plan, des jeunes du quartier de l’Elsau jouent au basket sur le terrain d’à côté. Un autre monde. Ils viennent pour se désaltérer au club-house, en prenant un peu d’eau fraîche. En revanche, ils ne montrent aucun intérêt pour la pétanque. Peut-être dans quelques années…
Chargement des commentaires…