Bien connue du monde de l’illustration et des libraires strasbourgeois, Clotilde Perrin l’est peut-être moins pour ceux qui n’ont pas d’enfants. Et pourtant cette jeune maman, née dans les Vosges, et strasbourgeoise d’adoption, a déjà publié 10 albums jeunesses et illustré une trentaine d’autres. Ses deux derniers livres, « À l’intérieur des gentils, pas si gentils », paru en 2017 et « A l’intérieur des méchants », paru en 2016, aux éditions Seuil Jeunesse, se sont déjà vendus à plus de 70 000 exemplaires.
L’engouement et le plébiscite sont tels que le livre sur les méchants sera édité au mois d’août 2018 aux États-Unis, sous le titre « Inside The Vilains », après avoir reçu, en 2017 lors de « La Nuit du livre », le prix de fabrication dans la catégorie livres animés. L’album grand format, illustré à l’encre de chine, permet à l’aide de flaps, de disséquer trois personnages iconiques des contes pour enfants : le loup, l’ogre et la sorcière. Rien de plus plaisant pour les enfants que de sortir les viscères, débobiner les intestins et vider les poches de ces vilaines créatures.
Clotilde Perrin, dans son atelier strasbourgeois du quartier de l’Orangerie, étudie beaucoup avant d’écrire. Elle s’est notamment inspiré du film de Michel Gondry, « Eternal Sunshine of the Spotless Mind », pour entrer dans le cerveau de ses personnages:
« Je voulais disséquer le loup de manière psychologique. Avec une amie, Maya Marconnet, qui est spécialiste, on a étudié tous les pervers pour mieux comprendre leurs névroses, leurs angoisses et leurs peurs. Quand je travaille, je ne me dis pas que je dois faire un album pour les enfants, je lis beaucoup de livres de psycho, notamment des livres très techniques d’universitaires car je veux être juste dans ce que je vais faire. Je fais ensuite lire mes livres à des pros, comme des pédopsychiatres ou des chercheurs. »
C’est notamment le cas pour l’album qu’elle réalise actuellement sur les émotions et qui sortira au mois d’octobre 2018.
Piquante, drôle et décalée, mais surtout travailleuse et très discrète dans sa vie quotidienne, Clotilde Perrin fait pourtant partie du cercle restreint des Strasbourgeois reconnus outre-Atlantique. À 40 ans, elle peut se targuer d’avoir d’avoir fait l’objet d’un article dans le New-York Times et dans la revue littéraire américaine « Kirkus review », pour son livre accordéon, « Au même instant sur la terre », paru en 2011, (Editions Rue du Monde), et traduit en anglais.
Mais ce n’est pas son style, les coupures, elle les garde dans un tiroir de son bureau et les évoque par hasard en riant au détour d’une conversation. Ce qu’elle préfère c’est voyager, profiter de ses filles, les apéros entre amis ou encore flâner sur les terrasses des péniches de Strasbourg. Clotilde Perrin aime avant tout aller à la rencontre des gens :
« Je reçois parfois des e-mails d’étrangers. Un jour, un astronome canadien voulait me rencontrer pour discuter de mon livre parce qu’il parle des 24 fuseaux horaires. J’étais très enthousiaste, mais lorsque je lui ai dit que j’habitais en France, cela ne s’est malheureusement pas fait. »
Publiée en Chine, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Russie, aux Pays-Bas et en Nouvelle-Zélande, Clotilde Perrin a également été invitée en Corée du Sud. Au Japon un article lui a été consacré, mais sur sa page Facebook elle lance avec autodérision: « qui pour traduire? ». En mars, elle était reçue à Bologne, en Italie, pour la grande foire du prix de l’illustration.
« S’il y a transmission alors là c’est magique »
Régulièrement invitée dans les écoles strasbourgeoises par les maîtresses, ravies de pouvoir profiter de son talent et de son expérience, l’artiste s’est aussi rendue dans une classe à Mayotte, à la demande du rectorat. Un moment inoubliable pour Clotilde Perrin :
« Je suis la première auteure-illustratrice à être allée dans une école là-bas. C’était une très belle expérience d’aller dans ces écoles perdues dans la nature. Il n’y avait rien dans les classes, sauf mes livres. L’accueil des enfants était hallucinant, j’étais comme une reine. Les filles se maquillaient spécialement pour ma venue et les garçons portaient des costumes. Ils m’ont remis des colliers de fleurs. Avec mes cheveux roux, je devais être une extra-terrestre pour eux. Leur professeur leur avait même appris une méthode de lecture que j’avais illustrée. C’était complètement dingue. »
L’enthousiasme est identique lorsqu’elle se rend en 2017 à Meknès au Maroc, pour le festival du livre jeunesse, « La cigogne volubile », initié par Tomi Ungerer.
Prédestinée pour le dessin
Après un BTS en communication visuelle, Clotilde Perrin intègre les Arts Décoratifs de Strasbourg en section illustration dans l’atelier très réputé de Claude Lapointe, formateur de toute une génération d’illustrateurs français. De ses années, elle garde un conseil : « une image n’est pas obligée d’être belle, elle doit être intéressante. »
Ses livres, elle les conçoit comme des objets. Qu’il s’agisse de « Tout autour de moi », (2011, Editions Rue du monde), un livre qui se regarde dans tous les sens, inspiré de sa fille, qui bébé tenait son livre à l’envers, ou du livre accordéon « Au même instant sur la terre », (2011, Editions Rue du monde), en passant par le livre, « Les histoires croisées de Victor et Zoé », (2017, Editions Mango jeunesse), qui permet une lecture multiple avec 225 combinaisons possibles.
Clotilde Perrin regrette qu’on apprenne trop souvent aux enfants à préserver les livres :
« Il y a un rapport sacré aux livres alors qu’il faut le rapprocher. Un bouquin ça se tourne, ça se prend dans tous les sens, on peut faire une maison avec. Il faut s’approprier l’objet. »
Des Weepers Circus à la médiathèque Malraux
Compagne de Dimitar Gougov, musicien bulgare des « Violons Barbares », la musique fait partie intégrante de sa vie. Le violoniste a d’ailleurs mis en musique avec sa gadulka (instrument à corde bulgare), l’une des expositions de l’artiste en 2015. Clotilde Perrin a également travaillé avec les musiciens strasbourgeois des Weepers Circus en illustrant deux de leurs livres CD, « Le Grand Bazar du Weeper Circus », en 2013 et « Weepers Circus chantent N’importe Nawak », en 2016.
Clotilde Perrin se souvient de cette rencontre avec les musiciens :
« Ils cherchaient des dessins drôles, percutants et un univers loufoque et décalé… Bref, un peu comme le mien. »
Elle collabore aussi avec d’autres auteurs comme Didier Levy pour « La petite sœur du chaperon rouge », (2015), ou encore Raphaël Frier pour, « Un baiser à la figue », (2009), où elle illustre des odeurs, une expérience complètement onirique. En février, elle a sorti un livre avec l’auteure Claire Ubac, « Ici et là les maisons d’Akira », aux éditions Albin Michel. Dans un autre registre, cette touche-à-tout a habillé une voiture relais petite-enfance en Champagne-Picardie, exposé son « colis rouge » à la médiathèque Malraux, et illustré un spectacle, « Le renne du soleil », soutenu par la Ville de Strasbourg. Volontaire et engagée, elle vend, en 2016, ses dessins au profit des associations qui aident l’accueil des réfugiés à Paris.
Une passion pour Maurice Sendak, de Max et les Maximonstres
Côté illustrateurs, elle voue presque un culte à l’américain Maurice Sendak, auteur de « Max et les Maximonstres », titre emblématique qui a bercé toute une génération dans les années 1980 et dont elle collectionne les marionnettes. « J’admire la poésie dans son dessin». Du suisse Etienne Delessert, elle retient les images de monstres, là encore, qui l’ont beaucoup marquée, et son univers foisonnant et riche en couleur. Son inspiration, elle la trouve aussi du côté des tableaux de Jérôme Bosch, du travail pictural de Georges De La Tour et des clairs obscurs des peintures de Goya. « J’aime attirer la lumière dans mes images ».
« Je rêve d’un lieu comme le Vaisseau à Strasbourg pour l’illustration »
Si l’illustration a déjà une histoire dans l’Est (avec Gutenberg et les images d’Epinal notamment), la Région aurait pour projet de créer un lieu mobile autour de l’illustration jeunesse avec des expositions itinérantes. Clotilde Perrin, a proposé de créer ce lieu sur une péniche mais rêve d’autre chose :
« Le musée Tomi Ungerer est très bien mais c’est très élitiste. Moi je rêve d’avoir un lieu comme le Vaisseau consacré à l’illustration avec des images, des ateliers pour enfants et adultes, des mini expos de plusieurs illustrateurs. J’aimerais que ce soit un lieu vivant. On pourrait venir y dessiner, organiser des conférences et accueillir des artistes. Ce serait une énorme salle, avec de grandes baies vitrées, pleins de peintures et des éviers pour pouvoir se nettoyer après. Une sorte d’atelier géant comme au centre Paul Klee à Berne ou comme au Shadok, où l’on vient avec un projet que l’on peut réaliser. »
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