Marguerite Schwartz habite depuis 42 ans dans la cité des Écrivains, un quartier populaire de Schiltigheim. Elle et Christine Douvier, autre habitante du quartier, sont à l’initiative de 226 courriers de protestation adressés au bailleur social Opus 67 (Office public d’urbanisation sociale du Bas-Rhin), propriétaire de la majorité des logements de cette cité. Au cœur de leurs revendications, le froid et l’humidité des appartements du quartier :
« Tout le monde a froid dans l’immeuble. Opus nous dit de mettre le chauffage sur 5, mais quand on le met il siffle dans tout l’immeuble. Du coup, on est obligé de le baisser à 3. Et à ce moment là, il est froid. On n’a jamais 20 degrés dans l’appartement en journée. C’est pour cela, que tout le monde s’est équipé d’un chauffage électrique d’appoint. Je paie 75€ tous les mois d’électricité avec 150€ de régularisation de charges en fin d’année à cause du chauffage. »
Mais Opus 67 dit attendre la réponse de l’État, dans le cadre d’une rénovation du quartier pilotée par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Du coup, le 6 mars, Marguerite Schwartz et Christine Douvier ont écrit… au président de la République, Emmanuel Macron. Ce courrier a reçu comme réponse la visite en mars du préfet du Bas-Rhin, Jean-Luc Marx. Lequel a renvoyé le dossier… au bailleur social.
Opus 67 : « Rien ne sera fait avant la rénovation »
Pour les habitants, le quartier des Écrivains est comme un « village » où existe une solidarité entre les habitants, comme l’explique Christine Douvier :
« Ce que nous voulons c’est garder les logements, car les habitants y mettent beaucoup d’argent. Ici c’est un quartier familial, c’est très rare d’avoir cette ambiance à Schiltigheim. Entre voisins, on s’entraide, on a tous nos repères. Pour vous dire, on peut même laisser les portes ouvertes, personne ne vole. »
Une habitante du même immeuble détaille la chambre de ses enfants, dans le logement qu’elle occupe depuis 2010 :
« C’est la chambre de mes deux filles. Le mur est complètement imbibé d’eau. Il y a énormément d’humidité. En hiver, le papier peint fait des bulles. J’ai fait venir un expert par mon assurance. J’ai remis l’expertise à Opus, qui a ensuite envoyé l’un de ses agents. Il m’a dit qu’Opus ne pouvait rien faire avant la rénovation… Mais le problème c’est que l’on n’a pas de date pour cette rénovation. »
Dans la salle de bain, des problèmes de moisissures qui subsistent depuis 8 ans :
« On vit toujours avec un pot de peinture, c’est devenu une habitude. Je ne fais que repeindre le mur pour enlever ces moisissures. Et pourtant, j’ai une fenêtre et une ventilation. Quand il pleut, l’eau s’infiltre ici. On a déjà changé le revêtement de sol trois fois. J’ai demandé à Opus de régler ce problème. Ils m’ont répondu que rien ne sera fait avant la rénovation… »
Pour Christine Douvier, trop c’est trop. Le sentiment de ne pas être entendu devient insupportable :
« Les habitants sont comme une famille. On a le droit de vivre correctement ici. On a l’impression de n’être qu’une poubelle, on nous prend les loyers et on nous prend pour des imbéciles. On ne peut plus attendre. Stop, ça suffit ! »
Mais un peu plus loin, de l’autre côté de la rue de Verlaine, c’est Bischheim. Et là, la réhabilitation d’un bâtiment a démarré par une vaste opération de désamiantage et d’isolation. Une décision prise par le maire de Bischheim, qui se trouve être également être… le président d’Opus 67, Jean-Louis Hoerlé (LR) :
« C’est une opération que j’ai exigé comme maire de Bischheim, j’ai convaincu le président d’Opus 67 de le faire, ce n’était pas trop difficile, puisque c’est moi ! Et je n’ai pas pris un centime de l’Anru. C’est le style de rénovation que l’on va faire sur l’ensemble des bâtiments du quartier. Le coût des rénovations est de 65 000€ par appartement, sachant que le prix de ces logements se situe autour de 150 000€. Ce projet concerne 336 logements situés à Schiltigheim et Bischheim. Ce sont donc des rénovations lourdes. Opus est dans les « starting-blocks » pour réaliser une rénovation lourde. »
Selon le président d’Opus 67, c’est précisément ce dispositif qui empêche tout projet de rénovation sur le quartier des Écrivains :
« On est obligé de s’inscrire dans le dispositif Anru, sinon on n’a pas de sous. Il y a 336 logements qui seront détruits sur l’ensemble de la durée du programme, soit environ 8 à 10 ans après le début des travaux. Il y a des bâtiments où il y a des infiltrations d’eau, de l’humidité, mais aujourd’hui je n’ai pas juridiquement pas le droit de faire quoi que ce soit dans ces appartements, sauf réparer une fenêtre cassée. C’est pour cela que l’Eurométropole doit déposer très rapidement le dossier Anru (il doit être examiné en décembre 2018, ndlr). Opus 67 mettra les 65 000€ par appartement, mais pour faire encore mieux, pour donner une image encore plus dynamique, c’est l’Anru qui apportera l’argent nécessaire. Les réserves financières d’Opus 67 sont bloquées par la stratégie Anru. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. »
Une question de chauffage en trompe l’oeil
Le 9 mai 2018, Christine Douvier et Marguerite Schwartz ont rencontré la nouvelle maire de Schiltigheim, Danielle Dambach (écologiste) pour lui exprimer leur exaspération et espérer des retours concrets. Elle donne rendez-vous à l’hiver :
« Aujourd’hui je suis consciente que ce sont des immeubles qui ne fonctionnent pas de manière optimale, qui datent des années 60. Je me suis mis en contact avec le président d’Opus 67. Le bailleur va regarder le problème de chauffage en espérant qu’il fonctionne avant cet hiver. Il faut régler ce problème, entre maires on se dit les choses. Il n’est pas normal qu’un habitant ait froid en hiver. Si ce n’était pas fait je réitérerai ma demande, je compte sur les habitants dès fin octobre pour me signaler les dysfonctionnements. »
Mais pour André Untersinger, directeur du projet de renouvellement urbain à l’Eurométropole, également en charge du projet Anru, le problème du chauffage n’est pas le vrai problème :
« Le problème ce n’est pas le chauffage. En 2013/2014, Opus a fait une étude avec l’Eurométropole qui a révélé que la chaufferie était hors normes européennes. Conscient de cela, Opus a fait les travaux nécessaires en 2015, et maintenant on a une chaufferie vertueuse. Elle fonctionne pour 55% en nappe phréatique et 45% en gaz. Sur le plan économique, elle livre une chaleur peu chère pour les habitants en bénéficiant d’une TVA réduite. Par contre, au bout des tuyaux, on a des immeubles dans un état lamentable. Pas de double vitrage aux fenêtres, une isolation qui a 20 ou 30 ans, et des toitures à refaire… »
Toujours selon André Untersinger, « il n’y a pas d’intérêt à se lancer dans des travaux de réhabilitation de ces bâtiments car le programme Anru prévoit une « requalification » complète du quartier, c’est à dire la démolition de 336 logements, 2 barres d’immeubles et 8 « avions » sur 16, le petit nom des bâtiments en forme de T. Après la rénovation de la barre de la rue Verlaine (en cours, achèvement début 2019), ce sera le tour de deux autres ensembles à Bischheim, l’un au 17 rue Mistral et l’autre au 11 rue Lamartine.
André Untersinger poursuit :
« Ce qui a valeur de date de démarrage, c’est la date de tenue du comité d’engagement, qui se tiendra fin 2018 ou début 2019. Comme Opus a les fonds nécessaires, les travaux démarreront de suite. Avant chaque démolition, Opus procédera à une enquête sociale avec chacune des 336 familles concernées, pour connaître leurs besoins ainsi que leurs capacités financières. »
Au-delà de toutes ces requalifications, les habitants de la cité des écrivains n’attendent pour le moment qu’une seule chose : enfin avoir chaud pour l’hiver prochain. Et ce n’est pas gagné.
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