On n’arrive pas ici par hasard. À la sortie d’Aspach-le-Bas, il faut prendre une petite route à travers les champs et traverser une voie ferrée. Au croisement avec des chemins de randonnée, une longue et épaisse haie de cyprès derrière un grillage longe une route étroite. Face à un pré, une petite plaque indique « entrée cimetière », à hauteur d’une porte en métal.
Dans le pré, six allées de petites tombes sont alignées. On peut lire sur les plaques : « À mes amies les plus chères » ou encore « Repose en paix petit ange ». Seuls la petite taille, les jouets d’animaux et surtout les photos font comprendre qu’il ne s’agit pas de sépultures d’humains, mais bien d’animaux de compagnie. Un mot est signé « à ma mère », avec une photo de chien.
Quelques références religieuses s’invitent aussi. « À la grotte bénie, nous avons prié pour vous », indique une plaque qui mentionne la ville de Lourdes. Le promeneur déambule entre des croix chrétiennes en grès, tandis que la tombe de « Minou » évoque une mosquée. Comme dans un cimetière pour humains, des tombes très fleuries jouxtent d’autres laissées à l’abandon.
Toutes les gammes de prix
En France, on ne rigole pas avec les règles d’enterrement : « Pas plus de 40 kilogrammes, 1,20 mètres de profondeur, mettre de la chaux vive sur le corps et il faut que ce soit à 35 mètres minimum des habitations et des cours d’eau », récite Stéphane Brendlé, le gérant du cimetière et du centre de crémation pour animaux d’Aspach-le-Bas, dans le Haut-Rhin. Ce qui, à très long terme, pourrait limiter l’extension du cimetière. En 25 ans d’existence, le cimetière compte seulement 250 sépultures environ. « La concession coûte 36 euros par an, soit 3 euros par mois, mais avec le temps certaines sont abandonnées », explique le cinquantenaire.
Même si c’est l’originalité de la SARL Brendlé, ce cimetière pour animaux n’est pas l’activité principale de l’entreprise familiale. Les cinq employés, dont les deux sœurs et depuis peu le neveu de Stéphane Brendlé, sont davantage occupés par la crémation, soit individuelle (95 euros pour les animaux de moins d’un kilo et 155 pour ceux de 50 kilos), soit collective (20 à 70 euros selon le poids). « La crémation individuelle a complètement explosé, on en fait 20 à 30 par semaine, contre 3 ou 4 au début ». Les familles ont ensuite le choix : mettre une plaque au colombarium (25 euros la plaque et 46 euros l’emplacement annuel) pour s’y recueillir, ou récupérer les cendres dans une urne (de 8 à 63 euros selon le modèle).
Face à l’entreprise familiale, le principal concurrent n’est pas dans la même catégorie. Fondé par des vétérinaires dans les années 1990, le groupe Esthima travaille avec la majorité des cabinets et affiche un chiffre d’affaires de 33 millions d’euros en 2019. « On a des particuliers en direct, certains viennent même des départements voisins comme les Vosges ou de Haute-Saône, mais heureusement que certains vétérinaires du secteur travaillent avec nous », détaille Stéphane Brendlé.
« Avant, c’était l’équarrissage »
Se soucier de la vie après la mort des animaux de compagnie est un phénomène relativement récent, raconte le chef d’entreprise :
« À notre lancement en 1991, la seule concurrence était l’équarrissage. Tous les animaux étaient broyés et cuits au bain marie pour créer de la farine animale, ou encore extraire les graisses pour des produits cosmétiques. »
La technique a notamment été à l’origine de la crise de la vache folle. D’où la recherche d’une autre solution pour traiter les corps d’animaux dans les années 1990.
Une idée familiale
Le père de Stéphane Brendlé, décédé au printemps, avait déjà pensé au deuil des propriétaires d’animaux de compagnie avant la pandémie bovine. Son fils raconte avec admiration :
« Il est passé à la télévision dans l’émission des jeux de 20 heures avec maître Capello sur FR3. Il fallait deviner son métier. Il faisait la tournée des paysans pour s’occuper des animaux malades, et il tentait de récupérer les parties mangeables. L’éleveur pouvait quand même en retirer 500 ou 600 kilos et donc de la valeur. Sinon c’était l’équarrissage, ce qui avait un coût. »
Mais c’est en voyant « des tas de chats et chiens, des petits morceaux avec leurs pattes ou leurs intestins à l’abattoir de Mulhouse » que la différence entre urbains et citadins le frappe : « À la campagne, on enterre son animal, mais il s’est mis à la place des propriétaires en ville », raconte le fils.
Le père fonde ainsi son entreprise funéraire pour animaux en 1991. La famille se forme toute seule. Obtenir l’agrément est d’ailleurs difficile, car la réglementation française se met en place au même moment. Quant au four de crémation, il doit être à plus de 200 mètres des habitations, ce qui explique l’emplacement actuel.
Chasse au bovin dans la campagne haut-rhinoise
La société tente tous types de services en lien avec les animaux. Les débuts, « beaucoup plus durs, où l’on travaillait 7 jours sur 7 » regorgent d’anecdotes :
« Un exploitant nous avait contacté car sa vache s’était échappée. Il avait tout tenté, mais elle était revenue à l’état sauvage. Elle se cachait la journée en forêt et sortait brouter la nuit. Elle pouvait être agressive, casser les clôtures ou effrayer les enfants. Nous, on avait un fusil hypodermique pour endormir les chiens dangereux, donc on l’a traquée. C’est une histoire qui a duré plus de six mois… »
Ces souvenirs lui font dire que notre rapport aux animaux d’élevage a changé :
« Aujourd’hui, si une vache ne marche pas par elle-même, on ne l’envoie même pas à l’abattoir. C’est à ces petits détails que l’on voit qu’on est désormais dans une période de surproduction et de surconsommation de viande. »
Avec les années, l’entreprise abandonne ces quelques rares activités, pour se concentrer sur les plus courantes : la fourrière, la pension, la crémation et donc le cimetière.
De plus en plus d’exigences
Depuis le centre de crémation, Stéphane Brendlé a été l’observateur privilégié de la hausse des exigences de la société pour les animaux. Celles légales, comme le délai et le mode de conservation des corps, ou la filtration des fumées de l’incinérateur d’une part, et de l’autre celles des propriétaires.
L’entreprise a par exemple changé la formulation de ses services suite à une remarque d’une cliente :
« Sur le devis on mettait « enlèvement » de l’animal à domicile. Mais une dame nous a dit que ça n’allait pas, car ce sont les ordures que l’on enlève. Donc désormais on met « prise en charge » ».
Un exemple qui illustre selon lui les différences entre humains et animaux, et l’amour fou qui peut en découler :
« Un animal ne va pas se vexer envers son maître. Alors que chez les humains, un mot de travers peut provoquer des brouilles éternelles. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a tant d’attachement, notamment chez ceux qui ont peu de compagnie ou pas d’enfants, par choix ou car ils sont dans l’impossibilité d’en avoir. »
Un public populaire
En ce mardi pluvieux de juillet, le chant des oiseaux et quelques aboiements sont les seuls sons perceptibles. Personne ne se recueille sur les tombes. Mais certains « viennent toutes les semaines », assure Stéphane Brendlé. La fréquentation est aussi un peu plus forte autour de la Toussaint. Tandis que des curieux poussent de temps en temps la porte, la majorité des visiteurs sont des promeneurs qui viennent découvrir ce cadre verdoyant près du lac et du barrage de Michelbach.
Le public y est plutôt populaire, poursuit Stéphane Brendlé.
« Mulhouse n’est pas une ville riche. Et les personnes les plus fortunées ont souvent un jardin. Au début, il y avait beaucoup de personnes âgées, mais maintenant, nos clients ont tous les âges. Il y a aussi bien des couples que des familles où se sont les enfants qui sont très attachés à leur animal. »
La société s’occupe de la mise en terre, mais n’organise pas de cérémonie. « Parfois les clients veulent passer un CD en particulier, d’autres veulent des bougies, mais c’est à peu près tout ».
Des demandes de plus en plus précises
Mais certaines demandes le désarçonnent. « Un client voulait un vernis sur le cercueil pour qu’il soit plus brillant. Je lui ai expliqué qu’on a justement évolué vers des bois naturels pour ne pas abîmer les sols. On constate quand même une dégradation de la nature autour de nous ». Il remarque que les tombes sont de plus en plus garnies avec des fleurs ou décorations artificielles.
Parmi les demandes insolites, un client a regretté que son chien « avait l’air triste » dans son cercueil. « Là, je ne sais pas ce qu’on peut faire de plus… Les humains n’ont pas l’air naturel non plus une fois embaumés », raconte le gérant. Stéphane Brendlé reste aussi silencieux et interloqué lorsqu’une dame lui dit : « J’aimerais bien être à sa place », devant son animal est enterré.
Il adopte des animaux maltraités
Si ces situations prêtent surtout à sourire, il doit aussi gérer des situations bien plus difficiles avec la fourrière pour des chiens « de catégories », considérés comme dangereux. Il est parfois mandaté par la justice pour des « saisies » d’animaux chez les propriétaires.
Pour Stéphane Brendlé, il faudrait que la possession d’animaux soit plus encadrée :
« Il faudrait une sorte de permis et des stages. Il n’y a pas de chiens agressifs par nature, mais tout est question d’éducation. Tout le monde ne peut pas s’en occuper, notamment lorsque les animaux ne sont pas sociabilisés et en intérieur. »
La négligence a parfois quelques avantages, pour Stéphane Brendlé qui n’a « jamais acheté de chien ». Son père avait ainsi recueilli un labrador que des propriétaires ne sont jamais venus récupérer à la pension. Le fils a aussi évité l’euthanasie d’un cocker de 7 mois, abandonné par sa famille. « Il avait un collier anti-grognement, qui lui mettait une décharge au moindre mouvement. On a mis 3 jours à le repérer, mais le chien est devenu adorable dans la minute ». Ou quand l’irresponsabilité de certains humains, fait le bonheur d’un chef d’entreprise très rationnel.
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