De lui, vous ne verrez ni son visage, pas plus que vous ne connaîtrez son véritable nom. Chill cultive la discrétion autant qu’il suscite la curiosité. Pourtant très actif sur les réseaux sociaux et sur son site web qu’il alimente régulièrement par ses nouveaux clichés, ce Strasbourgeois d’adoption de 27 ans aime dissocier son rôle de photographe de sa vie de tous les jours, où il travaille dans l’informatique.
Dans la photo depuis 7 ans, il a progressivement évolué vers la photo de nu. Une aventure démarrée un peu au hasard, avec son amie de l’époque dont il faisait des portraits. Peu à peu, la maîtrise de l’appareil photo a évolué, peu à peu, son modèle s’est dénudé. Très vite, Chill aime retranscrire des atmosphères intimistes, avec le naturel pour mot d’ordre :
« J’ai toujours été attiré par les ambiances du “dimanche matin à la maison”, un brin cocooning, sans rien de précis à faire. Ces moments de la vie de tous les jours qui paraissent anodins mais qui ont leurs particularités. Et étant constamment à la recherche des détails d’un certain esthétisme, le nu s’est proposé à moi comme un courant idéal et naturel pour évoluer en photo. Le nu rend la photo intemporelle, comme si le temps était suspendu. »
Pas d’artifices, pas de retouches
Un style qui correspond bien à son surnom, donné par un ami du lycée. En anglais « chill » signifie « traîner », sans trop se prendre la tête et Chill le confie lui-même : il ne se met pas la pression. Ses photos s’en ressentent : pas d’artifices ni de fioritures, peu de mise en scène, encore moins de retouches sur les corps qu’il photographie. Pour Chill, ce sont ce que les autres appellent « défauts » qu’il faut mettre en avant :
« Toutes ces choses qu’on n’aime pas nous rendent uniques. Je ne lisse jamais le grain de peau : je préfère qu’on voit les pores, les poils, les marques. Parfois les filles n’aiment pas le pli de leur ventre ou leurs seins mais je ne retouche pas les corps. Lors d’une séance, un modèle s’était griffé la jambe par mégarde. À la séance d’après, elle en avait les cicatrices. Ça donne un côté naturel. »
Nu, mais pas « à poil »
Le nu, oui, mais pas n’importe lequel. « Nude not naked » (nu, mais pas à poil) est la formule qu’il a trouvé pour définir son style, il a d’ailleurs accroché ses mots au mur de son salon. Aux photos de filles « où l’on montre tout », Chill préfère suggérer le nu. Il fustige les photographes de filles retouchées, à gros seins :
« À cause des photographes de mauvais nu, il y a des clichés bien sûr. Quand tu dis à des mecs que tu fais des photos de nus, 80% d’entre eux vont tout de suite penser que tu te rinces l’œil pendant la séance. Combien de fois on m’a demandé si j’avais eu envie ou non… Une fille nue ou en sous-vêtements attirera toujours plus l’attention qu’un pompier en train de sauver quelqu’un des flammes. Je ne cautionne pas ça. Je n’en suis pas venu au nu pour ça. Je préfère quelque chose de doux, d’intime, de précieux, quelque chose de tous les jours. »
Il puise son inspiration dans le quotidien et avoue que rien qu’en regardant sa copine se maquiller, passer la main dans ses cheveux, il n’est jamais à court d’idées d’angles et de poses. D’ailleurs il consigne tout dans un petit carnet noir qui ne le quitte jamais, tout comme son trépied, « au cas où ».
Si Chill avoue que les grands noms de la photographie française comme Robert Doisneau ou Henri Cartier-Bresson ne l’inspirent pas, il apprécie les photos glam’ chic d’ Helmut Newton et l’ambiance brute et parfois trash de l’américain Roy Stuart, qu’il décrit comme fétichiste du poil. Lui, avoue sa préférence pour les nuques et les mains. C’est vrai que Chill privilégie des cadres resserrés qui découpe le corps en morceaux : une partie du dos, du ventre, un buste, un genou, peu de portraits en entier. Il force le regard à aller là où il veut l’emmener :
« C’est la recherche du détail. Je joue pas mal avec les flous et les nets pour mettre en avant une partie du corps par rapport à une autre. Je prends aussi peu de regards dirigés vers moi : je préfère les regards en biais. Ça attire l’attention ailleurs sur la photo. »
« T’es toujours entouré de filles toi ! »
Un photographe de nu ne serait rien sans ses modèles et en l’occurrence, Chill peut compter sur le réseau qu’il s’est constitué au fil des années. Un réseau essentiellement constitué de filles, ce qui lui vaut parfois des petites remarques :
« T’es toujours entouré de filles toi » est un truc que j’ai entendu plus d’une fois. C’est un cliché gentil et amusant qui revient de temps en temps. »
Ce sont les filles qui l’appellent pour être prises en photo. Trois fois seulement, il a fait appel à des volontaires sur les réseaux sociaux. De fil en aiguille, le bouche à oreille a fonctionné et après Strasbourg, ce sont des filles de Paris, Marseille ou Bordeaux et même une Américaine qui l’ont contacté. Entre elles, les filles se montrent les photos et se refilent son numéro. Pierrine, modèle pour Chill depuis deux ans, raconte :
« Il m’est arrivé de montrer des photos que Chill avait faite de moi à mes copines. Du coup certaines d’entre elles m’ont demandé « tu crois qu’il m’accepterait » ? Et voilà, on donne son contact. »
Des photos de propagande pour Internet
À l’heure des photos faites soi-même, des selfies (d’ailleurs classé mot de l’année 2013 par le dictionnaire Oxford) qui pullulent sur les réseaux sociaux, il peut paraître étonnant que certaines fassent encore la démarche de poser pour un photographe. Pour Pierrine, même si ce n’est pas un selfie, la démarche est évidemment narcissique :
« On le fait pour soi, pour l’estime de soi. Moi j’aimais bien mon corps et j’avais déjà vu son travail. Je voulais garder de jolies photos de moi. Quand par la suite il a posté ces photos sur Facebook et qu’il y a eu des commentaires positifs, ça m’a fait vachement plaisir. C’est comme une fierté, une reconnaissance. »
Car au final, comme les selfies, les photos de Chill se retrouvent sur Internet. Même s’il demande toujours l’accord des modèles avant de les publier, Simone, qui pose pour lui depuis quelques mois, raconte que ça n’est pas forcément évident :
« Je travaille dans le paramédical donc c’est sûr que si quelqu’un tombe sur des photos de moi… bon. Après je suis quand même au clair avec ce que je fais et cette démarche est complètement artistique. Au bout d’un moment, on ne fait même plus attention à son image, on s’efface derrière. Mais quelqu’un qui les voit sur Internet ne connaît pas forcément l’intention du photographe et peut avoir une autre lecture de l’image. »
Et les hommes dans tout ça ? Parce qu’au fond c’est vrai : des filles nues ou demies nues pourraient aussi être un créneau facile. Chill s’en défend :
« Je n’ai jamais été contacté par des mecs, ou très peu. J’ai eu deux demandes de gars très body-buildés mais je crois qu’ils n’avaient pas bien regardé le style de photos que je faisais. »
En 2011 et 2013, Chill a réalisé deux compilations de son travail, très loin des calendriers de camionneurs. Il a été choisi pour exposer au Grand Hôtel de Tours jusqu’au 15 septembre.
Aller plus loin
Sur Tumblr : Mr Chill « nude not naked »
Sur Twitter : @SuperChill
Sur Facebook : Chill & Photographie
Site web : Chillphotographie.com
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