Première boulette : l’arbre des noctules aurait dû rester debout
Près de 500 chauve-souris rares retrouvées dans l’un des platanes âgés de 140 à 160 ans sur l’actuel parking du Palais de la musique et des congrès, abattus pour les besoins du chantier d’extension de l’équipement : l’affaire a fait grand bruit il y a 15 jours. Et pour cause, il s’agirait de la plus importante colonie de noctules d’Europe observée récemment, l’espèce est protégée.
Depuis, on a appris que ces chauve-souris hibernaient dans un platane qui ne figurait pas dans l’étude d’impact, qui n’en mentionne que six (lire l’article des DNA, « le platane de trop »). Celui-là étant le 7ème. Un cafouillage ou une « divergence de vue », entend-on ici ou là, entre les services de la collectivité chargés des études et des travaux ? Une erreur de la part du prestataire venu abattre les arbres ? En tout cas, une première boulette.
Lettre du préfet figurant dans le dossier d’enquête publique (juin 2012)
Deuxième boulette : ni dérogation, ni « inventaire minutieux »
Pas la plus importante, si l’on en croit les associations de protection de la nature, puisque de toute façon, le cabinet d’études Oréade-Brèche ne s’est pas intéressé aux chauve-souris. Il n’aurait d’ailleurs pas été possible d’en voir sans en rechercher expressément les traces au moment où l’étude a été menée, au printemps dernier, période durant laquelle les noctules n’hibernent plus. Le directeur du Gepma (groupement d’étude et de protection des mammifères d’Alsace), Bruno Ulrich, martèle :
« Le bureau d’études n’a pas fait son boulot ! On savait qu’il y avait des chauve-souris dans le secteur puisque l’association [de défense des intérêts des riverains de la rue] du Tivoli et Alsace nature l’avaient fait savoir pendant l’enquête publique et surtout qu’Odonat (Office des données naturalistes d’Alsace) avait des informations sur le sauvetage d’un mâle et de plusieurs femelles réalisé en 2005 sur le chantier de la Maison de la région. Il suffisait de demander ces données, beaucoup de bureaux d’études le font ! Donc, même si les 7 arbres au lieu de 6 avaient été expertisés, vus qu’ils n’ont pas fait d’écoutes ou rechercher des crottes, ça n’aurait rien changé… »
Le hic, c’est que l’autorité environnementale a demandé des précisions sur ce point en conclusion de l’enquête publique (lire la lettre du préfet ci-dessus), relevant le manque d’un « inventaire minutieux » des chiroptères (chauve-souris) susceptibles de nicher dans « les cavités supérieures des arbres ». Cet inventaire a-t-il été complété ? On ne sait. C’est la deuxième boulette.
De même, la dérogation à la protection des espèces protégées exigée par le préfet dans ce même courrier a-t-elle été demandée au ministère de l’environnement ? Si oui, la CUS a-t-elle attendu la réponse – environ 3 mois de délai – avant d’autoriser l’abattage des arbres ? « Il y a de fortes présomptions que non, juge une élue. Car si la Ville avait eu le feu vert du ministère de l’environnement, elle l’aurait déjà fait savoir ! »
Troisième boulette : la coupe en hiver
Troisième boulette : pourquoi ne pas avoir été sensible aux recommandations du cabinet d’études Oréade-Brèche, qui conseillait assure-t-il, dans sa note complémentaire (que personne n’a vue), de ne pas abattre les arbres en hiver car des noctules (ces fameuses chauve-souris) pouvaient y nicher et changer d’arbre d’une année sur l’autre, d’autant plus que le démarrage du chantier n’est prévu qu’au printemps ? Hypothèse évoquée, à confirmer ou infirmer ce lundi : l’entreprise responsable de l’abattage avait un creux dans son planning à ce moment-là, la collectivité aurait alors validé sa venue sans trop chercher plus loin…
Attaque au pénal et protocole de coupe
La communauté urbaine de Strasbourg pourrait être attaquée au pénal dans cette affaire pour avoir « porté atteinte à la conservation d’une espèce animale non domestique », selon l’article L415-3 du code de l’environnement. L’infraction est déjà constatée par l’Oncfs (Office national de la chasse et de la faune sauvage), la police de l’environnement, et une procédure est en cours. Si France nature environnement (FNE) ou la SFEPM (société française pour l’étude et la protection des mammifères), chez qui cette affaire est remontée, n’excluraient pas de se porter parties civiles, les associations locales ne sont pas dans cette démarche, jugeant les discussions avec la collectivité plutôt fructueuses depuis l’incident. Bruno Ulrich remarque :
« Même si tout le monde ouvre son parapluie, la DREAL et les services vétérinaires notamment, la CUS a annoncé qu’elle prendrait nos frais en charge et notamment le salaire d’une personne qui va s’occuper des chauve-souris pendant deux mois. On parle aussi déjà de mesures compensatoires, avec la réouvertures de combles où pourront s’installer les noctules. »
Par ailleurs, il est possible que cette procédure au pénal tombe si la collectivité a bien obtenu la fameuse dérogation du ministère, ce qu’on ignore toujours. Selon Stéphane Giraud, directeur d’Alsace nature, la fédération d’associations à laquelle appartiennent le Gepma et la LPO, il est très peu probable que Strasbourg ait obtenu cette signature à temps, si tant est qu’elle l’ait bel et bien demandée :
« Il est très rare qu’un travail de bûcheronnage passe devant le CNPN (conseil national de protection de la nature), à part sur de très gros projets comme le TGV. Le conseil ne pourrait pas tout traiter et ça finirait par être signé dans les DREAL qui n’ont pas plus de connaissances que ça en la matière… De toute façon, je ne pense pas que tout faire remonter à Paris soit la bonne piste. Et à part servir de parapluie pour la collectivité, cette dérogation n’aurait d’ailleurs pas changé grand-chose.
L’intérêt des associations aujourd’hui, c’est d’utiliser cette histoire pour montrer l’intérêt de mettre en place un protocole d’études exemplaire des arbres de la CUS et de développer une expertise particulière. Il faudra écrire ce protocole et le mettre en œuvre systématiquement, mais aussi former les équipes de bûcheronnage extérieures. »
Un premier jet de ce protocole tourne actuellement entre la Ville et les associations et pourrait être appliqué rapidement dans le cadre de la coupe de 200 arbres sur le tracé du bus à haut niveau de service (BHNS) entre la gare routière de Strasbourg et l’Espace européen de l’entreprise. Ces coupes auraient d’ailleurs d’ores et déjà été repoussées.
Ce qui aurait pu éviter la casse
Pour éviter qu’un tel incident ne se reproduise, plusieurs précautions sont à prendre : inspecter les arbres avant la coupe et rechercher effectivement des chauve-souris, en plus des oiseaux ou des insectes. Eventuellement boucher les cavités des arbres dans l’intervalle entre inspection et coupe pour que de nouveaux individus ne s’y installent pas, effectuer les coupes au début de l’automne et ne pas laisser tomber une branche à terre, mais l’envelopper et la faire descendre.
Le conseil municipal en direct à partir de 8h30
Flux vidéo fourni par la ville de Strasbourg
Les commentaires sur Twitter
Commentaires de la rédaction en direct
Réponse de François Buffet sur les chauve-souris
Ordre du jour du conseil municipal du 11 février 2013
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : près de 500 chauve-souris rares retrouvées dans des arbres abattus
Chargement des commentaires…