Le Neubau, situé en face de la Cathédrale, place Gutenberg, a été le premier bâtiment tout en pierres de taille à Strasbourg. Construit en 1585, il a abrité les foires strasbourgeoises et a servi de lieu d’échange entre les corporations jusqu’à la Révolution.
En 2022, il ne devrait plus accueillir que des bureaux partagés. La Chambre de commerce et d’industrie (CCI), qui l’occupe depuis le XIXe siècle, s’apprête à s’installer à Schiltigheim, au sein de l’espace européen de l’entreprise.
Qu’est-ce qui a bien pu pousser la CCI à quitter ce magnifique ensemble de 6 500 m² en cœur de ville pour lui préférer les 2 500 m² d’un bâtiment sans âme au milieu d’autres similaires dans l’une des zones les plus tristes de l’agglomération ? « Le Neubau, c’est trop luxueux », répond Jean-Luc Heimburger, président de la CCI Alsace Eurométropole :
« On représente les entreprises et on ne ressemble pas à une entreprise en occupant des locaux aussi spacieux avec 115 personnes. Avec les boiseries, les meubles, les moulures, ça fait trop palais doré. Si on rajoute la poussière, on a l’impression d’être dans un musée. Il en va de notre image auprès des entreprises.
À Schiltigheim, on sera dans des espaces ouverts, tout en verre, avec une kitchenette et un rooftop (une terrasse sur le toit, NDLR). Ce sont des éléments adaptés aux manières de travailler d’aujourd’hui. Nous serons entourés d’entreprises, proches des autres organes consulaires, et nous allons même peut-être mutualiser la restauration avec la Chambre des métiers. »
Gain d’un million d’euros par an
Mais l’opération est surtout financière pour la CCI. Le siège historique coûte 150 à 200 000 euros par an, entre le chauffage, l’isolation et le soin apporté à la façade dans le cadre règlementaire très contraint des Bâtiments de France. Les bureaux à Schiltigheim ne coûteront que 30 à 50 000 euros par an.
En outre, la CCI reste propriétaire du Neubau et prévoit d’en louer 90% des surfaces à un opérateur de bureaux partagés (coworking). La chambre espère en tirer 850 000 euros par an, un accord est sur le point d’être finalisé. Au final, la CCI espère améliorer ses revenus d’un million d’euros par an avec ce déménagement.
Jean-Luc Heimburger détaille pourquoi il était urgent de partir :
« Une baisse des taxes prélevées sur les entreprises en 2020 a considérablement réduit nos recettes : d’un revenu fiscal autour de 20 millions d’euros en 2018, on ne reçoit plus que 8 millions d’euros ! On a réduit nos charges (les effectifs ont fondu de 600 à 115 personnes en dix ans) mais on perd encore 2,5 millions d’euros par an… Je prévois un retour à l’équilibre dans 2 ou 3 ans mais l’État nous encourage à vendre nos actifs, si on ne le fait pas, il se sert dans notre caisse… »
Objectif : plus de réserves
Les CCI ont mal vécu une ponction de l’État dans leurs réserves de 500 millions d’euros en 2015. Pour les trois CCI alsaciennes (Strasbourg, Colmar, Mulhouse ont fusionné en 2016), cette ponction a représenté 10 millions d’euros. Des millions qui ne leur manquent pas, mais les élus de la CCI, en majorité des dirigeants d’entreprises, ne sont pas très enclins à combler le déficit de l’État.
Résultat : Jean-Luc Heimburger ne veut plus garder d’actifs dormants : il a intégralement financé sur les fonds propres de la CCI le nouveau siège à Schiltigheim, soit une somme de 6,5 millions d’euros, et se garde une réserve de « 3 ou 4 millions d’euros ».
Avec ce déménagement qui a valeur d’exemple, Jean-Luc Heimburger amplifie le signal selon lequel aucune entreprise de taille ne peut rester au centre de Strasbourg, suivant le départ de La Poste et précédant celui d’Électricité de Strasbourg. La Ville de Strasbourg refuse de réagir à ce qu’elle considère comme « une affaire privée ».
Commerçants et restaurateurs s’inquiètent mais à mots couverts, la CCI étant leur partenaire. Par exemple, les Vitrines de Strasbourg ont refusé d’exprimer une position publique sur ce déménagement. Conscient de ces critiques, Jean-Luc Heimburger tente de rassurer en rappelant que les personnes qui loueront les futurs bureaux en coworking travailleront et consommeront au centre-ville de Strasbourg.
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