En accédant à l’exposition à l’Aubette, on a l’impression de pénétrer dans un lieu privilégié, presque secret, tant le calme qui s’impose dès la montée des escaliers contraste avec la place Kléber. Puis on découvre les trois pièces investies par l’artiste, où flottent des bandes-sons énigmatiques.
Je commence par la Salle des Fêtes, à gauche, où règne une semi-obscurité. Une pièce intitulée Vidéodrones y est présentée : les quatre murs sont entièrement colonisés par des projections vidéo, des sons variables et abstraits remplissent l’air, et un volume non identifié est posé au sol. Les images résultent de la retransmission en direct de l’activité de la rue – en effet, en levant les yeux sur la façade du bâtiment, on distingue six caméras braquées sur les passants. Il est étrange de les épier ainsi, projetés en grand format sans qu’ils en aient conscience, observés par des spectateurs isolés et invisibles.
Remous extérieurs en bande-son
La bande-son est elle aussi directement liée aux remous extérieurs : elle est modulée en fonction de la taille et de la quantité des éléments en déplacement, ainsi que des variations lumineuses. La masse grise au sol est en fait un canapé réalisé par la designer Sophie Marin, le choix du matériau (un feutre épais) et les formes topographiques rappelant un studio d’enregistrement, ou le graphique d’une onde sonore. Après hésitation, je m’y installe – c’est très confortable – pour me perdre dans des rêveries en regardant passer tous ces individus, à la fois si proches et si inaccessibles.
Céleste Boursier-Mougenot (CBM) explique sa manière de travailler :
« Je suis resté trois semaines pour installer cette exposition. Le réglage des caméras a été minutieux, il ne fallait pas qu’elles soient occultées par les occasionnelles manifestations sur la place. J’ai passé du temps à regarder vivre les environs et à m’imprégner de l’Aubette par une sorte d’écoute somnambulique. Il fallait aussi respecter son identité forte, certains visiteurs viennent pour son intérêt historique. Pour Vidéodrones par exemple, les cases multicolores du décor mural de Theo Van Doesburg constituent une partition sur laquelle évoluent les silhouettes filmées. »
La musique à la base de chaque œuvre
Formé au Conservatoire, CBM donne une importance prédominante à la musique. Dans la pièce du ciné-dancing, rien à voir, mais des sonorités suaves proviennent de tous les côtés. Deux compositions sont diffusées, décrites ainsi par l’artiste :
« L’une a été enregistrée sur les toits de Dijon, avec les sons de la ville qui arrivaient à 360 degrés. Elle a été initialement créée pour le théâtre, où j’ai commencé avec une compagnie qui me laissait carte blanche. Au début, je mixais en direct, sans enregistrer. L’autre a été réalisée sur quatre jours avec une seule chanteuse, qui interprétait le même morceau, à la même heure, puis les voix ont été dédoublées et superposées. Ce sont donc huit voix qu’on entend simultanément. »
Je me suis laissée charmer par ces sons qui semblent effectivement étendre l’espace et rappellent, comme l’évoque l’artiste, la légende d’Ulysse appelé par le chant des sirènes venu des quatre points cardinaux.
Cette œuvre uniquement sonore a une prolongation matérielle dans la pièce centrale, où trône un euphonium (une sorte de trombone) sur un socle en « crépi de pizzeria » (dixit CBM). Cette texture peu flatteuse a pour avantage de retenir l’écoulement de la mousse blanche sécrétée inexorablement par l’instrument. Là encore, le visuel et le sonore sont reliés : la production de mousse est contrôlée par les morceaux diffusées dans la pièce d’à côté.
Selon que le visiteur arrive en début ou en fin d’après-midi, il ne verra pas la même chose ! La lente progression de cette matière blanche, qui l’air organique, a quelque chose de fascinant. L’euphonium brille et s’impose comme une statue, tandis que la musique et le temps qui passe sont matérialisés par cette substance légère, comme un escargot qui laisse sa trace.
CBM se définit comme une artiste « hors-circuit », c’est-à-dire qui ne fait pas partie du gotha de l’art contemporain français. Cela ne l’a pas empêché, comme il l’a appris récemment, d’être sélectionné pour représenter la France à la Biennale de Venise en 2015, succédant ainsi à des plasticiens de renommée mondiale. Evidemment, son projet est top-secret… mais il porte déjà le titre prometteur de Révolution.
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Aller plus loin
Sur le site de la galerie Xippas : la page de Céleste Boursier-Mougenot
Sur France Culture : Émission consacrée à Céleste Boursier-Mougenot, 7 juillet 2014
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