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Au CEAAC, l’exposition « Dirty Rains » interroge nos usages de la rue

Le Centre européen d’actions artistiques contemporaines présente les travaux de la photographe alsacienne Marianne Marić et de l’artiste conceptuel hongrois Endre Tôt au sein de l’exposition Dirty Rains. Associés, leurs différents univers plastiques suggèrent des formes d’appropriation de l’espace public par le corps et le langage.

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Au CEAAC, l’exposition « Dirty Rains » interroge nos usages de la rue

Sur les murs de la première salle d’exposition du Centre européen d’actions artistiques contemporaines (CEAAC) à la Krutenau, des photographies en noir et blanc montrent Endre Tót dans la rue, muni d’affiches aux inscriptions surprenantes : « I’m glad if… » (je suis heureux si…). Alors que dans l’espace public, les pancartes expriment bien souvent le mécontentement ou la colère, l’artiste décide de rendre manifeste sa joie.

Né en Hongrie, citoyen du bloc de l’Est, Endre Tót fait l’expérience des limites imposées par un régime totalitaire et connaît des complications quant à la diffusion de ses travaux (qui s’éloignent des productions artistiques officielles acceptées par l’État). Puisqu’il n’est pas possible pour lui d’exprimer une critique à l’égard de son pays, il détourne le sentiment de joie afin d’accuser les restrictions et ironise autour du peu de liberté d’expression accordée par le régime.

À l’heure où, en France et partout dans le monde, le droit de manifester et les libertés individuelles sont menacées, les préoccupations de l’artiste quant à la liberté de revendiquer résonnent.

Une discrète réappropriation

Dans sa pratique, Endre Tót détourne et subvertit l’usage d’outils typographiques tels que le zéro (pour ne rien revendiquer), le slash (pour barrer, empêcher). Le nom de l’exposition, Dirty Rains, fait d’ailleurs référence aux slashs (Rains en anglais) qui servent à interdire et rappellent des formes de censure. Subissant une forme de négation individuelle, l’action artistique permet à Endre Tót de (re)prendre sa place, de recouvrer une identité qui lui est déniée.  

Détail du travail d’Endre Tót dans l’exposition Dirty Rains. Photo : Julie VezardPhoto : Julie Vézard

Deux générations aux préoccupations communes

Endre Tót est né en 1937, Marianne Marić en 1982 : 40 années séparent leurs naissances et leurs origines sont différentes. Pourtant, les deux artistes explorent des thématiques communes.

Travaillant avec le mobilier urbain, les deux artistes occupent la rue afin de créer. Marianne Marić conçoit par exemple les statuaires publiques comme des objets d’expérimentation. Elle s’amuse et capture des images de ses modèles escaladant les socles des statues ou imitant des poses. Avec des interventions éphémères et spontanées, la rue devient un espace d’expression dans lequel elle interroge nos usages des lieux publics.

Une esthétique toute particulière se dégage de l’union des œuvres de Marianne Marić à celles d’Endre Tót. Dans la première salle, trônant sur le mur, une inscription attire notre attention : « Which is the direction ? » Tout autour, de nombreuses flèches sont dessinées au fusain. Elles suggèrent des directions pointant vers la droite, vers la gauche, vers le haut, vers le bas. Les murs parlent mais ils soufflent des informations contradictoires : on perd rapidement tous nos repères dans cette cacophonie visuelle. Brouillant volontairement notre perception dans l’espace d’exposition, Endre Tót réalise ses ébauches à même le mur et se joue ainsi de notre perception. 

La scénographie est pleine de superpositions, de surprises, de « bazar ». Elle est empreinte d’ironie et d’humour, à l’image des deux artistes exposés.

Le corps comme espace de subversion

Tandis qu’Endre Tót engage déjà, dans des travaux préalables, une réflexion sur les interactions entre le corps et l’architecture, Marianne Marić actualise cette recherche en intégrant à son travail la question du genre, interrogeant la visibilité et l’invisibilité des femmes dans ces espaces. Contrairement à Endre Tót (qui se sert du support photographique comme un moyen de documenter ses productions), Marianne Marić développe une recherche sensible lorsqu’elle capture des clichés de corps. Ses photographies ne se contentent pas de documenter l’instant, elles sont le terrain d’une réflexion esthétique et politique sur la place des femmes dans l’espace public. Par l’ironie et la mise en scène, la rue devient un lieu dans lequel Marianne Marić tente de bousculer les représentations traditionnelles.

Capturés de nuit sur la voie publique mulhousienne, les clichés de la série Femmes Fontaines montrent les amies de la photographe enjambant des arrivées d’eau. Bien souvent, les personnes photographiées adoptent volontairement des poses explicites : elles font de la rue un espace dans lequel subvertir les usages habituels, se jouant des comportements autorisés ou proscrits en public.


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