Ça ne commence pas très bien. Visiblement, le lieu est en chantier. À moins qu’il ne soit désaffecté. Quelle entreprise peut bien convoquer un conseil d’administration dans un endroit pareil ? Et qui est cet homme qui le dirige, n’en finit pas de souhaiter la bienvenue tandis qu’il retend les câbles électriques qui traînent dangereusement ? « Ne vous inquiétez pas, la société va tout à fait bien », ne cesse-t-il de répéter, prenant à partie le public, transformé en assemblée d’actionnaires. Dehors souffle une tempête de neige. Les poutres craquent, l’atmosphère devient inquiétante. Tout comme cet homme, pourtant tout miel au départ, dont les yeux semblent maintenant traversés par des éclairs de folie. La menace gronde. C’est clair : ici, tout s’effondre.
Et ce Conseil d’administration n’en finit pas de commencer, parce que cet homme n’en finit pas de raconter le drame qui vient de se dérouler, avançant par à-coups, nous forçant à nous interroger sur ses intentions, le lien qu’il entretient aux événements, notre position de spectateur, d’otage volontaire (ou pas), notre rôle dans la salle et dans le système. Et tout devient métaphore. On tourne en rond et comprend bien qu’on n’ira nulle part. Ni ici ni ailleurs.
Mise en scène sophistiquée, ambiance anxiogène
Étienne Pommeret, ancien responsable de la section jeu de l’école du Théâtre National de Strasbourg, réussit à nous faire ressentir l’absurdité oppressante de la situation. Il signe une mise en scène à la fois simple et sophistiquée, qui s’appuie beaucoup sur une ambiance sonore anxiogène, et surtout sur le jeu de Marc Ernotte, seul en scène et impressionnant de versatilité. Ensemble, ils font parfaitement entendre le fond du texte de Peter Handke, dont certains avaient, à force de polémiques autour de son soutien à la Serbie, oublié qu’il était d’abord un auteur brillant. Un de ces mauvais élèves qui ne respecte aucune règle et joue volontiers la provocation. Interrogé sur son œuvre foisonnante et son rôle d’écrivain, il disait :
« Ecrire pour ouvrir le regard. Parfois, on veut seulement éclaircir un problème : il faut le contourner avec les phrases, comme ça on dessine le problème. »
Ce court texte, écrit en 1964 alors qu’il est encore étudiant en droit, dessine parfaitement le problème et apparaît, en ces temps de crise, comme visionnaire. Ah pardon… « la société va tout à fait bien. Ce ne sont que les poutres qui craquent. »
Prochaines représentations les 23 et 24 février à 20h30 au Taps-Scala, 96 route du Polygone 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu
Les Taps : Théâtre actuel et public de Strasbourg
Depuis leur création en 2002, les Taps sont installés dans deux salles, route du Polygone à Neudorf pour le Taps-Scala et rue du Hohwald (entre le Hall des chars et la Laiterie) pour le Taps-Gare. Gérés en régie municipale directe par la Ville de Strasbourg, ils programment cette saison 28 spectacles, dont la moitié sont des créations de compagnies strasbourgeoises. Des soirées musicales « Mélodies en sous-sol », proposées par un musicien auxquels ils offrent carte blanche, et des lectures-dégustations de textes contemporains (« Les Actuelles ») complètent la programmation. Les Taps pilotent également « Été cour, été jardin », la saison culturelle estivale de la Ville, et la Fabrique de théâtre, lieu de travail pour les compagnies strasbourgeoises.
Vous avez vu la pièce ? Partagez vos impressions en commentaires.
Chargement des commentaires…