Giacomo Casanova, né à la fin du 18ième siècle, fut tour à tour violoniste, écrivain, ecclésiaste, docteur en chimie, magicien, espion, diplomate, tout en revendiquant toujours sa particularité de Vénitien. Il reste surtout célèbre comme l’homme qui incarne le symbole de la séduction effrénée.
Il usait aussi bien de charme que de ses talents de manipulateur pour faire tomber ses conquêtes : 142 femmes avec lesquelles il aurait eu des relations, dont des filles à peine pubères et sa propre fille, alors mariée à un franc-maçon.
C’est toute cette épopée que le film met en scène, mais de façon rétrospective, dans la lumière des souvenirs, le parfum des regrets, et à travers la nostalgie de cet hédonisme à tout va que Casanova arborait comme une fierté.
Alors qu’il s’est attelé à l’écriture de ses mémoires, il reçoit la visite d’Elisa von der Recke. Elle devient aussitôt la cause d’un dernier regain de vitalité du séducteur insatiable. À l’heure où les forces du vénitien déclinent, elle s’intéresse de près au manuscrit de ses exploits, de ses frasques et de sa philosophie aussi insolente que politiquement incorrecte. Casanova ne reconnaît pas dans les traits de cette femme belle et mystérieuse, une jeune fille qu’il avait séduite jadis.
Une mise en abyme, dans l’espace et dans le temps
La grande originalité de ce film tient à son mélange des genres artistiques, des époques et des niveaux de discours. On est tantôt au XVIIIe siècle au moment où les événements ont lieu, tantôt à la fin de la vie de Casanova alors qu’il retrouve Elisa, ou encore en plein vingt et unième siècle au coeur de cet opéra qui raconte l’histoire du séducteur. Les personnages naviguent avec leurs costumes dans les différentes dimensions de cet espace-temps complètement décloisonné, qui donne beaucoup d’humour à leurs répliques qui se décalent de la réalité qui les porte ou les transporte ailleurs.
La bande-annonce
Dans ces va-et-vient incessants se conjuguent aussi de manière inédite toutes les formes artistiques : l’opéra, le théâtre et le cinéma. On a le sentiment d’être dans une pièce de Molière alors que Casanova évite de justesse de se marier avec sa fille, et lorsque l’opéra de Mozart résonne, c’est Malkovitch lui-même qui se fait ténor, comme pour imiter son propre rôle.
Mais se moque-t-il, de Casanova ou de celui qui donna sa peau au film de Spike Jonze ?! L’ambigüité est sans cesse maintenue et invite le spectateur à de multiples niveaux d’interprétation sur la portée du spectacle, la valeur de mise en scène, et bien entendu sur le jeu de l’amour…
Désordre et des arts en liberté
Casanova rencontra entre autres, Voltaire, Goethe, Jean-Jacques Rousseau, le pape Clément XIII, et même Mozart. Les Noces de Figaro, Cosi fan Tutte, et Don Giovanni sont donc comme naturellement désignés pour donner les couleurs de la toile de fond à ce biopic pas comme les autres. Mais raconter la fin de vie de Casanova à l’aide de fragments de ces opéras très symboliques, obligeait le projet d’être à la hauteur d’une telle ambition.
Malgré un léger souci de rythme, c’est en définitive ce qui donne l’essentiel du ton et toute l’intensité de ce scénario à étages multiples où John Malkovitch semble évoluer avec beaucoup de plaisir.
Si les arts interfèrent sans transition, tout ne s’amalgame pas dans une confusion désordonnée, car ils s’affirment en même temps dans leur spécificité à dire ce personnage aussi riche qu’ambigu. L’opéra devient le cadre du lyrisme et de la tragédie, le théâtre sert à exprimer le comique et souligne la légèreté du personnage et enfin le cinéma s’érige comme art d’observation et de synthèse. Le dialogue de ces trois formes de représentation, devient le meilleur moyen de convoquer les différentes facettes de ce personnage à la fois charmant, manipulateur, cynique, profiteur, et largement paranoïaque sur la fin.
Que reste-il de Casanova ?
De ce film très costumé, éclatant de couleurs et de musique, Casanova ressort finalement grandi, voire sympathique alors que son déclin accuse de plein fouet toute la vanité de sa vie fantasque. Ce serait un bien bel homme s’il n’était pas si laid de perfidie. Quand à son regard si vif sur la société, il brillerait de toute sa pertinence s’il ne trahissait pas en permanence sa susceptibilité, son inquiétude ou sa rancune.
Tenant à la fois du philosophe incompris, et du clown triste, il fait rire, mais il sourit à peine. Son manque de joie de vivre accuse cruellement le vide d’une existence pourtant incroyablement remplie. Il est sensible et attentionné aux moindres détails de la réalité qui l’entoure; mais pour peu qu’on lui déplaise, il devient agressif, cruel et détestable. Il désire l’interdit et convoite l’impossible, et après avoir tout obtenu, il sait se passer de tout.
Un film aux mille facettes
Si longue et quelque peu maniérée que soit parfois la mise en scène de Sturminger, elle est sans cesse construite sur le mode de l’intrigue jusqu’à en devenir fascinante; à l’image du personnage très complexe dont elle tente de saisir l’essence. Le film reste malicieux et souvent drôle. Il joue des faux semblants et des trompe-l’œil, oscillant sans cesse entre l’historique et la fiction. Dans un mouvement dont l’amplitude est maximale, il balaye en même temps la scène, les coulisses et la réalité.
Dans l’esprit d’un art très contemporain qui dévoile l’envers du décor pour impliquer le spectateur, l’image de ce film se fait et se défait comme dans un kaléidoscope qui serait placé du côté de la salle, diffractant à l’infini les variations du séducteur vénitien. Dans la peau de Casanova, l’interprétation magistrale de John Malkovitch est aussi un spectacle total. Cette prouesse conjuguée du réalisateur et de l’acteur très inspiré par son rôle, repousse encore les limites de la liberté d’expression dans le mélange des arts, en valorisant l’excès, la subversion, mais surtout la jouissance.
Actuellement au Cinéma Star, à Strasbourg.
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