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Camp de Krimmeri : après l’expulsion, la crainte de l’éternel recommencement

Pour la deuxième fois en quatre mois, le camp de Krimmeri a été évacué à la Meinau. Entre soulagement et inquiétude, les exilés décrivent le cercle infernal de leurs déplacements.

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Camp de Krimmeri : après l’expulsion, la crainte de l’éternel recommencement
Une fois un logement attribué, pour les personnes au bracelet vert, c’est le trajet final vers l’hôtel, sans direction ni tickets de tram distribué.

5h40 à Strasbourg. Le jour commence à peine à se lever. Le camp de Krimmeri est déjà réveillé. Ses habitants ont fait leurs valises. L’évacuation leur a été annoncée la veille pour le jeudi 1er août au petit matin. En quatre mois, c’est la deuxième opération de police pour déloger les sans-abris de leur tente dans ce square de la Meinau. Des enfants jouent silencieusement pendant que leurs parents démontent leurs tentes et préparent leurs affaires, parfois plusieurs gros sacs qui débordent. Des associations locales sont venues les aider et les accompagner, les rassurer surtout, dès 6h.

Cette deuxième procédure d’expulsion, initiée par la Ville de Strasbourg, propriétaire du terrain occupé, a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif le 16 juillet. Dans son ordonnance, il a affirmé que le campement présentait un « caractère très précaire, insalubre et dangereux ».

L’errance continue

Autour de 200 personnes attendaient de quitter le campement qu’elles occupaient et espéraient avoir accès à un toit, appartement ou hôtel, un logement. « Vous êtes sûrs que la police va venir ? », demande une enfant. « Les sans-abris sont plongés dans l’incompréhension depuis 6h ce matin. Ils sont impatients de trouver un logement mais ont peur de quitter Strasbourg », explique Christina, bénévole de l’association des Petites Roues.

Pour la plupart des sans-abris, l’errance continue. Leurs itinéraires se comptent souvent en milliers de kilomètres. Fatima a 17 ans. Elle vit avec sa maman Malika et sa petite sœur. Toutes les trois ont fui la Tchétchénie. Elles se sont rendues à Rouen où la procédure de demande d’asile de Malika a été refusée. Ces femmes ont ensuite été expulsées de leur logement. Elles sont à Strasbourg depuis le 9 mars. « Nous étions chez des amis au début mais là n’avons pas d’autres solutions que d’être ici », explique l’adolescente. À ses pieds, seule reste la trace de leur tente installée fin avril. La sœur de Fatima s’est assoupie. Elle vient de passer quelques jours l’hôpital après une infection au pied.

Avant l’arrivée des policiers, Malika ne se sent pas très bien. Elle n’a pas dormi cette nuit. Depuis fin avril, la mère de famille cherche à mettre ses filles au sec. « On nous dit qu’il n’y a pas de place pour nous héberger et qu’il faut appeler le 115 (numéro d’urgence sociale, NDLR) ». Sans succès à chaque fois : « Au 115, ils disent que nos appels sont trop nombreux et que nous ne sommes pas les seules dans ce cas. »

Des vies déjà installées ici

Un peu plus loin, Abdoul, 36 ans et sa famille sont prêts à partir. Le père a rendez-vous début août à la mairie de Strasbourg pour finaliser l’inscription d’une de ses filles à l’école élémentaire. Un peu plus loin, un jeune adolescent afghan montre fièrement sa nouvelle inscription au club de foot de la Meinau. Les entraînements commencent le 18 août et il craint que les policiers lui disent de partir de Strasbourg.

Lucian, 53 ans, est roumain. L’homme vit seul. Il a voyagé à travers le Royaume-Uni ou encore l’Irlande et est arrivé début mai sur le camp de Krimmeri : « J’ai des amis ici. Je souhaite continuer de vivre en communauté. C’est triste d’être séparés. » Lucian s’inquiète des suites de cette expulsion car il assure avoir une formation de soudure à Reichshoffen prévue pour septembre.

À quelques pas, Saïd est venu soutenir son collègue Ibrahim. Le garagiste témoigne de son incompréhension : « Ibrahim a de superbes compétences dans ce métier. Il est doué et sérieux. Il ne boit pas et ne fume pas. Je pensais qu’il aurait le niveau d’un stagiaire mais c’est un vrai professionnel. ». Après avoir proposé de chercher du café pour tout le monde, Saïd insiste, il restera avec Ibrahim jusqu’à ce qu’il ait la certitude qu’il soit bien traité et logé dans un endroit qui lui permette de garder son emploi.

Saïd est venu soutenir son collègue Ibrahim.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg

Fakou est venu car lui aussi a des amis sur le camp. « Je viens soutenir une famille que je connais », explique-t-il en surveillant un bébé dans une poussette. Lui loge actuellement au Centre d’aide pour le retour à Bouxwiller. Là-bas, on l’a incité à rentrer dans son pays d’origine. Fakou a vécu dans de nombreux camps à Strasbourg et n’attend plus d’être régularisé.

Fakou est venu de Bouxwiller pour soutenir ses amis, dont il garde le bébé pendant qu’ils font leurs affaires.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg

Cas par cas

Les services de la Ville de Strasbourg ont aussi fait le déplacement. Ils sont arrivés avant la police dont l’intervention a commencé vers 8h. Dès les premiers hommes en uniforme sur les lieux, les familles se lèvent et s’activent. Elles traînent leurs sacs et en moins de dix minutes, toutes et tous sont prêts à être transportés dans le grand bus floqué d’un logo Blablacar. Ils laissent derrière eux des tentes, des matelas et du mobilier. La société en charge de nettoyer les lieux est déjà sur place. « Ça va nous prendre la journée », soupire un homme avant d’enfiler sa tenue de sécurité.

Puis le calme revient sur le camp. Les familles attendent leur tour pour monter dans l’autocar. En tout, il fera trois allers retours jusqu’au gymnase du Heyritz, où l’État et la Ville orienteront les sans-abris vers des logements, temporaires ou pérennes, au cas par cas. Environ 200 personnes restaient, jeudi 1er août, sur le camp.

Bracelets verts ou rouges

Peu après 10h, une première famille sort du gymnase, tout sourire. « On a eu une chambre en hôtel à Schiltigheim », s’enthousiasme Natia, dont les enfants sont scolarisés à Strasbourg. Même soulagement sur les visages de plusieurs familles, orientées vers des hôtels dans l’Eurométropole de Strasbourg, où selon les discours tenus aux exilés, ils pourront rester aussi longtemps que besoin.

« Qui vient nous chercher? », demande un homme tout juste sorti du gymnase. Dans sa main, un petit papier blanc indique l’adresse de l’hôtel où il sera hébergé. Mais il ne sait pas comment se rendre à Lampertheim. À ses côtés, un policer ne sait que répondre : « C’est la première fois que je fais ce genre d’opération. J’imagine que la préfecture n’a pas les moyens de payer le taxi pour tout le monde », tente-t-il, les yeux cachés derrières des lunettes opaques.

Chargés d’enfants et de valises, Abdoul et sa femme demandent l’itinéraire pour le tram. Ils se délestent d’un sachet qui contient des couvertures, faute de force pour faire les 20 minutes à pieds jusqu’au fameux arrêt de la place de l’Étoile. À leurs poignets comme à ceux des familles qui ont des papiers, un bracelet vert.

Aux poignets d’autres sans-abris, les bracelets rouges indiquent un autre destin. Leurs porteurs sont embarqués dans une petite camionnette blanche qui prendra la direction du Centre d’aide pour le retour de Bouxwiller. Sans papier ou en procédure de demande d’asile, une quinzaine de personnes ne pourront pas rester à Strasbourg.

Pour les hommes seuls, comme Lucian, ça sera sept jours en hôtel. « Je ne sais pas comment je vais faire après. J’ai ma formation de soudure en septembre, il me faudra un toit à ce moment-là », écrit-il, par texto, en fin de journée.


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