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Caisse d’Épargne : mise à pied, une directrice d’agence alsacienne se suicide

Début avril, quatre enquêteurs de la Caisse d’Épargne débarquent sans prévenir dans une petite agence en Alsace. Ils soupçonnent la directrice de malversations. L’entretien terminé, la quadragénaire est mise à pied. Quelques heures après, elle se suicide. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la banque a réclamé une enquête sur les circonstances de cet entretien, alors que certains dénoncent les « méthodes musclées » de la Caisse d’Épargne.

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Caisse d’Épargne : mise à pied, une directrice d’agence alsacienne se suicide

Le siège de la Caisse d'épargne Alsace est situé à Rivétoile. (Photo NR)

« Il y a eu des manquements très graves, des fraudes, qui auraient de toute façon conduit à une séparation », explique-t-on au siège de la Caisse d’Épargne Alsace. Les « fraudes » dont se serait rendue coupable la directrice d’agence atteindraient un préjudice pour la banque de 70 000€. Découvrant ces irrégularités il y a quelques mois, la banque dépêche sur place quatre agents de son service interne d’enquête. En avril, ils procèdent à une petite perquisition sur les lieux et interrogent la suspecte avant de lui signifier sa mise à pied.

Quelle a été la teneur de cet entretien ? Au siège de la Caisse d’Epargne, on assure que « tout s’est bien passé, elle a reconnu les faits qui lui étaient reprochés, puis on lui a donné les coordonnées d’une structure d’accompagnement psychologique ». L’UNSA, syndicat majoritaire, qui n’était pas présent, se range à la position de la direction : « L’entretien s’est bien passé, elle a reconnu spontanément les faits ».

Retrouvée le soir-même pendue dans les bois

Sauf qu’elle ne rentre pas chez elle. En chemin, elle s’arrête dans un magasin de bricolage pour acheter une corde. Cette mère d’un adolescent, décrite comme une  « salariée appréciée » et « bien évaluée », est retrouvée le soir même, pendue dans les bois.

Le fait qu’elle ait été seule face à quatre personnes, sans être convoquée par courrier mais prise par surprise, et sans avoir non plus la possibilité d’être soutenue par un délégué du personnel ou un psychologue, est pointé du doigt par son entourage*. En effet, Le droit du travail est clair : même un salarié en faute a le droit d’être défendu. Il est stipulé que lors d’un entretien préalable à une sanction, le salarié visé peut se faire assister par la personne de son choix et ce droit lui est signifié dans sa lettre de convocation, envoyée en recommandé. Ce courrier doit détailler par ailleurs la nature des faits reprochés. Dans le cas présent, la sanction a été immédiate : la directrice a été relevée de ses fonctions. Et à la Caisse d’épargne, on explique qu’elle aurait dû recevoir le lendemain sa convocation à un nouvel entretien, un préalable au licenciement, lui offrant cette fois toutes les garanties qui y sont attachées. Sauf qu’il était trop tard.

« Le climat est favorable à ces gestes désespérés »

La Caisse d’épargne a demandé à l’Assurance maladie un classement en accident du travail mais refuse de faire un lien entre ce suicide et les conditions de travail et les méthodes de management. Pourtant, selon Jean-Michel Edon, secrétaire national adjoint de la CGT Caisse d’épargne :

« Ce n’est pas un hasard et ce n’est pas le premier suicide à la Caisse d’épargne. Nous ne savons pas tout, il y a sans doute de nombreux cas qu’on ignore encore. Nous avons découvert récemment plusieurs suicides et tentatives grâce à un rapport écrit par un médecin du travail juste avant de partir à la retraite. Il y a une chape de plomb : les salariés ont pour consigne de ne rien dire, malheur à qui osera parler ! Quant aux familles, il arrive que leur silence soit acheté. »

Pour lui, ces « drames insupportables » sont la conséquence des réorganisations successives et des nouvelles techniques de management. Il décrit une situation où « il faut vendre à tout prix des produits aux clients ». Les primes sont désormais indexées sur les performances individuelles et non plus sur l’ancienneté. « Le climat est favorable à ces gestes désespérés. La pression est telle que beaucoup tournent aux anxiolytiques. » Il décrit une « gestion inhumaine des collègues », une ambiance délétère où les salariés « à bout », sont mis en compétition par une direction « qui dénie systématiquement les risques psychosociaux. Nous sommes des dégâts collatéraux ».

« On ne saura jamais ce qui s’est passé durant cet entretien »

En 32 ans de carrière, le syndicaliste a connu « une vingtaine de cas où des salariés ont tapé dans la caisse ». Et de relativiser : « Cela fait partie de l’environnement dans le milieu bancaire… Et ils ne sont pas suicidés pour autant ! »

« Là, ils lui sont tombés à quatre dessus pour la cuisiner ! On ne saura jamais ce qui s’est passé durant cet entretien mais on peut aisément l’imaginer. Un de mes anciens collègues, chef d’agence lui aussi, avait été accusé à tort de détournement de fonds. Comme des policiers dans une série télé, les membres de la direction usaient de méthodes musclées, se relayaient pour le faire parler. Il les a attaqués en justice, a gagné, et finalement il est reparti avec trois millions de francs d’indemnités. Moi, j’ai une plainte contre moi au pénal pour avoir fait grève il y a deux ans. On voit jusqu’où les directions peuvent aller ! Si on avait donné la possibilité à la directrice d’agence d’être avec un élu du personnel, les choses auraient peut-être pu être différentes… On serait resté avec elle à la sortie, elle n’aurait pas été toute seule. »

A la demande du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), une enquête interne est en cours sur cette affaire. Le comité souhaite également que soient revues les procédures de sanction, l’accompagnement et la prévention au sein de la banque.

* La famille, que nous avons contactée, souhaite conserver l’anonymat et ne pas s’exprimer publiquement. C’est pourquoi nous ne livrons ni le nom de la ville où les faits se sont déroulés, ni celui de la directrice d’agence. Par ailleurs, les collègues de la directrice, qui sont sous le choc, ont d’abord souhaité communiquer, mais n’ont pas été autorisés à le faire par leur direction.


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