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À l’Université, un budget reporté et des opposants qui veulent faire des émules

Soumis au conseil d’administration mardi, le vote sur le budget de l’Université de Strasbourg a été reporté à ce jeudi 18 décembre pour un dernier examen avant une hypothétique mise sous tutelle. Parmi la frange mobilisée, étudiants comme personnels se sont demandés quelle position adopter.

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À l’Université, un budget reporté et des opposants qui veulent faire des émules

Des étudiants en marche vers le Conseil d'administration pour y faire une déclaration avant sa tenue (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Des étudiants en marche vers le Conseil d’administration pour y faire une déclaration avant sa tenue. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Environ 90 étudiants et enseignants-chercheurs étaient rassemblés dans l’amphithéâtre 5 de l’Institut Lebel pour une Assemblée générale (une « AG » dans le jargon universitaire) mardi 16 décembre vers midi, soit deux heures avant le dernier conseil d’administration (CA) de l’Université de Strasbourg (Unistra) de l’année.

Des étudiants volontaires pour assurer la bonne tenue de l'Assemblée générale. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Des étudiants volontaires pour assurer la bonne tenue de l’Assemblée générale. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Le moment n’est pas idéal : examens partiels pour certains, ultimes révisions pour d’autres, voire vacances anticipées pour les plus chanceux. À l’assemblée générale du jeudi 11 décembre, ils étaient près du triple, lorsque l’alliance des mouvements étudiants et du personnel avait été actée.

Opposition au budget pour des raisons nationales comme locales

En cause, le budget primitif pour l’année 2015 de l’Unistra, soumis au vote lors du CA du jour. Personne ici présent n’en est satisfait. La dotation de fonctionnement versée par l’État aux universités françaises demeure fixe, après un changement d’avis de dernière minute de François Hollande lors d’une journée de mobilisation nationale, alors que les besoins augmentent.

Inflation, facture, progression des carrières du personnel, nombre d’étudiants en hausse de 2% à Strasbourg… Autant de dépenses en plus qui ne sont pas compensées. Sur les bancs de l’amphi, on craint que l’Université française devienne trop « libérale » et proche du modèle anglo-saxon.

Devant l'amphithéâtre 5 de l'Institut Lebel (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Devant l’amphithéâtre 5 de l’Institut Lebel (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

L’opposition est aussi locale, plus technique, mais aussi plus concrète. Les critiques portent sur l’augmentation du fonds de roulement de 3 millions d’euros, jugé trop élevé et privant les composantes de cette somme, des prévisions de recettes trop optimistes, un bénéfice prévu de 45 000€ (sur un budget total de 512 millions d’euros) qui ne laisse pas assez de marge de manœuvre ou encore sur une trentaine de gel de postes.

Pendant 1h30, les participants se sont demandés s’il fallait empêcher la tenue de ce CA ou non. Pour certains, le blocage est nécessaire, plus fort et pose la première pierre d’une mobilisation qui doit devenir nationale, car toutes les universités françaises font face à aux mêmes difficultés.

Un étudiant tente de galvaniser les rangs pour un blocage. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Un étudiant tente de galvaniser les rangs pour un blocage. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Les administrateurs raisonnent les étudiants

Plusieurs enseignants-chercheurs présents à cette AG, et des étudiants de l’AFGES (le principal syndicat étudiant à Strasbourg, qui dispose de 4 des 5 élus étudiants au CA) préféreraient un report, qui permet de sensibiliser et de démarrer une mobilisation contre ce budget. Un blocage à ce stade pourrait être « contre-productif » insistent-ils, « il y a un risque de braquer le conseil d’administration et qu’il soit bunkerisé », c’est à dire qu’il se tienne ailleurs. Les opposants comptent les huit voix nécessaires pour demander un report.

C’est finalement cette solution qui l’emporte de quelques voix et les participants se mettent en route vers la fac de Droit où se tient le fameux conseil dans le but de prononcer quelques déclarations d’opposition avant sa tenue.

Alain Beretz laisse les opposants s’exprimer

Le président de l’Université, Alain Beretz, laisse la demi-douzaine de personnes qui souhaitent s’exprimer, à titre personnel ou pour l’une des 14 organisations actuellement membre du mouvement, prendre la parole avant le début des délibérations.

Interventions d'étudiants et de personnels écoutés par les membres du CA avant sa tenue (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Interventions d’étudiants et de personnels écoutés par les membres du CA avant sa tenue (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Deux heures plus tard, comme le promettait des administrateurs lors de l’AG, le report du budget est annoncé via un communiqué :

« Les votes sur le budget 2015 et la campagne d’emploi de l’université viennent d’être reportés. Cette décision est intervenue après plus de 2 heures d’échanges entre administrateurs, échanges sereins et argumentés. Deux stratégies ont été discutées : l’une ciblait un signal d’alerte à donner aux tutelles, l’autre privilégiait l’intérêt de l’établissement tout en préconisant l’adoption d’une motion sur la nécessité de donner à l’enseignement supérieur les moyens de déployer ses missions. »

Alain Beretz a aussi ajouté que le solennel « appel de Strasbourg« , voté mercredi dernier à l’unanimité des doyens, directeurs de facultés, écoles, instituts et de laboratoire, qui exigeait un engagement fort pour la Recherche et l’Enseignement supérieur a également été voté à l’unanimité lors de ce CA.

Huit des 31 membres du conseil d’administration ont demandé le report du vote du budget. Une minorité supérieure à 25% qui permet le report du budget. D’abord annoncé « vraisemblablement vendredi », le vote sur les 112 pages de comptes prévisionnels si tient finalement ce jeudi 18 décembre à 14h

L’ombre de la tutelle

L’examen de la fin de semaine sera celui de la dernière chance, car le budget doit être adopté avant le 1er janvier. Passé vendredi, les vacances administratives auront débuté. Sans budget, l’Unistra, comme tout université serait alors mise sous tutelle de l’Académie, c’est à dire une gestion par l’État… alors qu’il a justement laissé aux universités le soin de gérer elles-mêmes leur budget depuis la loi LRU de 2009.

En cas de tutelle, l’administration attribue 80% du budget initial, et se contente d’assurer les affaires courantes, le temps qu’un nouveau budget soit adopté. Un scénario encore hypothétique. Les 16 voix nécessaires pour voter contre, malgré l’opposition des cinq représentants étudiants, ainsi que d’enseignants-chercheurs, ne sont pas encore réunies. Le délai de deux jours laisse un tout petit peu de temps pour modifier quelques lignes du budget, mais la direction en a-t-elle envie ? Qu’attendre jeudi ?

Rien est exclu pour Pascal Maillard, élu au CA et l’un des leaders de la mobilisation :

« Tout est possible, y compris refuser de siéger. Aujourd’hui, le président et sa majorité n’ont pas entendu l’appel de la communauté universitaire, ni des administrateurs d’opposition qui voulaient envoyer un signal fort au gouvernement. Le président Beretz est pris dans une contradiction : il proteste contre des moyens insuffisants et exerce une pression forte sur son CA pour acter un budget d’austérité. »

Pour exister, la mobilisation devra prendre de l’ampleur

Même si le budget est voté jeudi derrière l’action du 16 décembre, il y a l’espoir que dans d’autres universités à leur tour bloquent leurs budget, votent contre ou manifestent leur mécontentement. Ce terreau doit fertiliser en janvier, et permettre une mobilisation nationale espèrent les contestataires. Un étudiant l’a pointé lors du débat de l’AG, « le gouvernement est très sensible aux mouvements de protestation ».

Pascal Maillard, professeur agrégé de littérature élu au CA et mobilisé contre le budget actuel. Le blocage aurait été une brutalisation pour lui. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Pascal Maillard, professeur agrégé de littérature élu au CA et mobilisé contre le budget actuel. Le blocage aurait été une brutalisation pour lui. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Mais dans l’amphithéâtre, certains l’ont aussi relevé, ils n’étaient qu’une centaine pour 44 000 étudiants de l’Unistra. Les examens n’expliquent pas tout et la plupart repartent convaincus qu’ils doivent mobiliser leurs collègues et camarades pour être plus nombreux et donc plus légitime en janvier.

L’AG a ainsi permis de s’accorder sur plusieurs dates futures. Une réunion d’organisation et deux nouvelles assemblées générales les 22 et le 29 janvier. Les participants veulent aussi se rapprocher des universités comme Toulouse, Clermont-Ferrand ou l’Université de Lorraine, à Nancy, où les mouvements commencent à prendre de l’ampleur.

Entre opposants : intérêts différents mais parfois convergents

Régis, étudiant en L3 en géographie est membre du « comité de mobilisation étudiante » qui se réunit au Patio le mardi de 18h à 20h et le vendredi de 16h à 18h. Il était pour un blocage, mais pour lui c’est une force que personnels et étudiants soient unis :

« Certains intérêts sont différents, les étudiants sont plus attachés à la question des frais de scolarité et les enseignants-chercheurs aux crédits attribués aux laboratoires et à la Recheche, mais d’autres convergent. C’est le cas du total d’heures de cours dispensées et donc payées ou du nombre d’étudiants par classe. »

Un objet-symbole prêt pour de futures manifestations (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Un objet-symbole prêt pour de futures manifestations (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Alors qu’il n’est membre d’aucun syndicat étudiant, son engagement vient de l’aménagement du budget de l’an dernier pour lequel il a senti les effets directs sur sa scolarité :

« Un voyage d’étude était prévu dans les Alpes depuis le début de l’année. En janvier, la composante nous a annoncé qu’elle faisait face à une diminution de budget de -20% et finalement nous sommes allés juste à côté dans le Bade-Würtemberg car c’était moins cher. Je n’ai rien à redire sur ce voyage, mais cela aurait été plus intéressant dans les Alpes. »

Comme plusieurs de ses homologues non-encartés, il espère que les syndicats étudiants ne vont pas profiter du mouvement pour se l’attribuer, une crainte classique des mouvements revendicatifs étudiants.

« Il faut que les premières et deuxième année rejoignent le mouvement »

Philippe Juhem, élu au Conseil scientifique de l’Unistra analyse la situation, à mi-chemin entre le sociologue qu’il est, et l’enseignant-chercheur engagé. L’engagement étudiant est une dimension importante :

« Que l’AFGES soit mobilisée est un signal fort, car ce syndicat a tendance à ne pas participer aux mouvements sociaux universitaires. Aujourd’hui, les étudiants sont déçus de ne pas avoir bloqué le conseil d’administration, mais le rapport de force n’est pas favorable. Pour mobiliser, il faut que des étudiants de premières et deuxième années fassent partie du mouvement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’intervention en préambule du CA n’était une escarmouche, qui doit permettre une plus forte mobilisation. S’il s’agit du mouvement seulement des enseignants, la gronde sera balayée et jugée comme corporatiste. Par contre, si des étudiants commencent à aller dans les rues et protester contre leurs conditions d’études, là ça peut faire bouger les choses, car c’est ce que le gouvernement veut à tout prix éviter. C’est comme ça que se construisent médiatiquement les conflits sociaux universitaires. »

Depuis mai 1968 en tout cas, c’est vrai que les gouvernements successifs se méfient…

Mis à jour jeudi 18 décembre pour annoncer la tenue du nouveau CA à 14h le jeudi 18 décembre.


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