L’épisode est tristement mécanique et malgré toutes les alertes, les analyses et les mises en garde, il se reproduit encore et encore sur les réseaux sociaux. Dimanche 13 avril, la ministre Aurore Bergé (Renaissance) dénonce sur son compte X qu’une boulangerie de Strasbourg a été « prise d’assaut car elle serait israélienne ». Elle ajoute à son post une vidéo où on voit une altercation rue des Grandes-Arcades :

La ministre rajoute d’autres faits et relie cette altercation à l’antisémitisme, en faisant un lien direct avec « l’antisionisme », puis appelle « la société à réagir ». Problème : tout est faux. Selon des témoignages directs recueillis par Rue89 Strasbourg, la boulangerie n’était pas ciblée. Elle n’a d’ailleurs pas de lien avec la religion juive ni avec Israël, il s’agit d’une filiale de la boulangerie allemande Dreher, installée à Kehl depuis 1987.
L’origine de l’altercation provient d’insultes et de doigts d’honneur envoyés en direction du cortège palestinien par une personne de nationalité israélienne qui était attablée sur la terrasse avec son fils. Ces éléments proviennent de Nadia Zourgui, adjointe à la maire en charge de la sécurité, qui les tient elle-même de la Police nationale. Cette personne israélienne a semble-t-il vivement réagi aux cris de « Israël barra barra » (Israël dehors), des slogans habituellement scandés lors de ces manifestations récurrentes dans les rues de Strasbourg depuis novembre 2023.
« J’étais sur le camion, j’ai vu ce monsieur s’agiter dans tous les sens », témoigne Leïla Sihabi, qui organise cette manifestation pour le collectif Strasbourg – Palestine. « J’ai vu ensuite une manifestante s’en prendre à lui. Notre service d’ordre a tout de suite réagi, puis les policiers sont arrivés. »
Des témoignages qui coïncident avec une vidéo du moment, captée par IA1 infos, un média citoyen tenu par Maiky Suplon. Il était en direct sur TikTok au moment des faits :
Une patrouille de policiers à vélo, présente sur place, permet d’éviter que d’autres personnes ne s’en mêlent. Le monsieur trouve brièvement refuge dans la boulangerie Dreher, puis ressort encadré par les policiers, faisant face à des manifestants pro-palestiniens virulents. Leïla Sihabi le traite de « lâche » puis repart :
« Il m’a répondu en anglais, j’ai compris qu’il n’était pas d’ici. Pour moi, l’incident se terminait là. Israël Darra, ça veut dire Israël hors des territoires occupés. On ne demande que l’application du droit international dans nos manifestations. »
Un matériau de choix pour l’extrême droite
Mais c’était sans compter les manipulations habituelles de l’extrême droite… La première lecture d’une boulangerie juive attaquée par des islamistes trouvable sur les réseaux sociaux provient d’un compte anonyme, Wolf (@Psyguy007). Suivi par près de 60 000 personnes, il se définit comme patriote et fait régulièrement des publications contre les musulmans. Il réalise son post le dimanche 13 avril à 18h25. Contacté via X, ledit Wolf n’a pas répondu sur l’origine de la vidéo, mais peu importe puisqu’elle buzze immédiatement avec sa fausse version des faits. D’autant plus que cette plateforme est désormais contrôlée par l’extrême droite. Son post est ensuite repris par une élue, socialiste cette fois, Delphine Pineda, qui reprend le narratif antisémite à son compte à 21h45.
Moins de dix minutes plus tard, c’est Pernelle Richardot, élue socialiste à Strasbourg, qui la repartage, avec toujours la même accusation d’antisémitisme, et une pique en direction de la municipalité écologiste de Strasbourg tant qu’à faire… D’autres reprises de cette fausse information seront publiées par Jean Messiha (Reconquête), la ministre Aurore Bergé donc, l’eurodéputée Virginie Joron (Rassemblement national), puis évidemment jusqu’en Israël…
Impossible rétractation
Ce n’est qu’au matin du lundi 14 avril que les faits cités plus haut commencent à émerger sur les réseaux sociaux. Le compte Wolf a bien publié un correctif dès le 13 avril à 22h35, mais il n’a pas supprimé son post initial qui continue à être partagé (1,2 million de vues et plus de 2 000 partages à l’heure de publication de cet article). Aucun correctif en revanche chez Aurore Bergé, ni chez Delphine Pineda.
Pernelle Richardot publiera un second message précisant que ce n’était pas la boulangerie qui était visée, mais elle ne supprime pas son écrit initial non plus. Sur Facebook, son message avec la vidéo a été partagé dans des groupes de « fans de Touche pas à mon poste », l’émission polémique de Cyril Hanouna. Bouclant ainsi la boucle d’une nouvelle manipulation de l’extrême droite.
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