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Le boulanger du coin de la rue a chaud aux miches

En 1990, la France comptait 36 500 boulangeries artisanales. En 2010, elles étaient moins de 32 000. Face à la concurrence de la grande distribution et des terminaux de cuisson, beaucoup d’artisans ont baissé le rideau. D’autres se sont tournés vers les réseaux de meuniers, les franchises ou les chaînes de distribution. Aujourd’hui, on ne dénombre plus qu’une centaine de boulangeries-pâtisseries artisanales à Strasbourg.

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Le boulanger du coin de la rue a chaud aux miches

(Photo Mathieu Thouvenin / FlickR / cc)
(Photo Mathieu Thouvenin / FlickR / cc)

Depuis 18 ans, Nathalie et Christian Wahl sont propriétaires de la boulangerie Wahl, située sur un axe peu fréquenté à Neudorf :

« On essaye de survivre mais la situation est catastrophique depuis sept ans. On a moins de clientèle et les gens achètent moins. Sur les six derniers mois, on a encore perdu 30% de chiffre d’affaires. L’année dernière, il s’élevait à 200 000 euros et on se versait un salaire de 800 euros pour deux. Cette année, c’est 150 000 euros. Si ça continue comme ça, on va fermer la boulangerie et j’irai travailler au supermarché. »

Au plus fort de leur activité, le chiffre d’affaires atteignait 300 000 euros :

« Quand on s’est installés, les boulangeries de quartier étaient appréciées. Aujourd’hui, les habitudes de consommation ont beaucoup changé, les gens ont besoin qu’on soit ouverts plus longtemps. Mais pour ouvrir du matin au soir, il faut pouvoir embaucher. On est fermé l’après-midi parce que ce n’est plus rentable. Le panier moyen est à un euro ! On n’est pas ouvert le dimanche non plus. On devrait, mais on n’a plus l’énergie. »

« Faire tourner le four revient cher »

Avant la dégringolade en 2008, ils étaient huit pour faire tourner la boutique. Maintenant, ils ne sont plus que trois. Christian cherche des solutions :

« On essaye de baisser les prix, de faire des promotions comme dans les supermarchés. Ou alors, il faudrait cuire du pain toutes les heures, peut-être que les gens viendraient. Lidl cuit son pain toute la journée. C’est du surgelé, de l’industriel, mais le prix séduit les clients. Faire tourner le four revient cher. »

Le cas des Wahl est emblématique des difficultés du secteur. Francis Maurer, le président de la corporation des boulangers de Strasbourg et environs (130 adhérents sur les 200 boulangeries de l’agglomération) le constate :

« Les boulangeries réalisent 62% de parts de marché de vente de pain. Les grandes surfaces ont gagné du terrain dans un premier temps, puis les terminaux de cuisson [où le pain n’est pas pétri sur place, ndlr] sont apparus dans les années 1990-2000. Les franchises, ce sera probablement la prochaine vague. »

Un label « fait maison » pour les viennoiseries

Outre les terminaux de cuisson comme Lidl, certains boulangers ont recours à des produits surgelés, les viennoiseries notamment, qu’ils sélectionnent dans des catalogues. Pour lutter contre cette concurrence jugée déloyale, certains départements (Gard, Loir-et-cher, Indre-et-Loire) ont adopté un label « fait maison » pour les viennoiseries. Avenue des Vosges, sur la vitrine de Francis Maurer, un discret macaron « Viennoiserie maison » est affiché depuis un an. L’initiative n’a pas essaimé à Strasbourg pour le moment.

Malgré des parts de marché de plus en plus disputées, certains arrivent à tirer leur épingle du jeu. Chez « Au pain de mon grand-père », rue de la Krutenau, certains matins, la file d’attente s’étire jusque dans la rue. Patrick Dinel gère les cinq boulangeries du même nom (deux à Strasbourg, une à Schiltigheim, une à Colmar et une autre à Toulouse) et emploie 100 personnes.

« Le mythe de la boulangère de quartier »

L’ancien financier s’entoure d’un co-gérant dans chacune de ses boutiques. Alors qu’il s’apprête à ouvrir une nouvelle enseigne à Dijon et une autre Lyon, il explique son succès par une gestion méticuleuse :

« Beaucoup de confrères mettent la clé sous la porte. Le problème, c’est que de nombreux jeunes qui s’installent n’ont pas de notion de gestion. Chez nous, on serre le budget, on évite d’emprunter et on fonctionne avec des capitaux propres. »

Avec une partie du bénéfice de chaque boulangerie, il en ouvre une nouvelle. À chaque fois, il réplique la même formule :

« J’ai monté un concept : une boutique jolie, dans un style authentique, des produits et un accueil de qualité. On essaye de faire revivre le mythe de la boulangère de quartier qui appelaient les clients par leur nom. »

Ludovic Bluchon, co-gérant de la boulangerie de la Krutenau, insiste sur la nécessité de proposer un choix varié : « Pour se démarquer, on a plein de produits différents. Plus qu’en grande surface et que chez la plupart des boulangers ».

La visibilité des marques de « meuniers »

Mais tout le monde ne connaît pas la même expansion. Pour diminuer les coûts, nombre d’artisans choisissent d’adhérer à un réseau de meuniers. Par exemple, Banette compte 3 100 adhérents en France et 26 à Strasbourg, Ronde des pains en revendique 1 800, dont 2 dans la capitale alsacienne ou encore Baguépi et ses 2 000 partenaires.

La formule a convaincu Sybille et Lionel Krieg, à la tête du Fournil d’Austerlitz depuis 2012. Pour leur première affaire, ils ont rejoint le réseau Banette. Dans l’école de la marque, à Briare, dans le Centre, Lionel a obtenu en six mois un diplôme d’artisan-boulanger reconnu par l’État. Une formation-éclair, mais qui coûte plus de 9 000 euros, là où les lycées professionnels proposent une formation en 2 ans, gratuite. Pour Sybille qui s’occupe de la boutique, le principal avantage à rejoindre le réseau Banette est la visibilité que la marque procure :

« On a une visibilité nationale, des animations, un support de communication. Par exemple, pendant l’Épiphanie, on avait des fèves gagnantes qui donnaient droit à un cadeau. Malgré notre bon emplacement, la clientèle reste difficile à fidéliser, car il y a beaucoup de concurrence. Sans le réseau, je devrais m’occuper moi-même de la communication et des animations, cela demande du temps, alors que je dois déjà être très présente en boutique. » 

D’autres opérations sont organisées à Pâques, pour la fête du pain, le Tour de France et la semaine du goût. Le groupement de meuniers aide les artisans à trouver leur fonds de commerce. Une équipe technique et commerciale les accompagne lors du démarrage d’activité. En échange, le boulanger, qui reste indépendant, doit respecter un cahier des charges : utiliser uniquement des farines Banette et appliquer les recettes de la marque. Le couple ajoute :

« On a une visite par an de Banette, le fournil est noté sur trois produits pour rester dans le réseau. La présentation des produits dans le magasin et les prix sont contrôlés. »

Après Paul et Poulaillon, la Mie Câline

Alors que l’équilibre économique est déjà fragile, Francis Maurer, président de la corporation des boulangers de Strasbourg, s’inquiète de l’arrivée progressive des franchises :

« L’Alsace est encore épargnée, mais la Mie Câline pourrait arriver et s’installer dans les endroits stratégiques, en centre-ville [ndlr, où le loyer est souvent trop élevé pour les indépendants]. On a peur pour certains collègues. »

Ses craintes sont en train de se concrétiser : le 18 novembre 2014, la première Mie Câline ouvrait ses portes place de l’Homme-de-Fer. Alors que Strasbourg compte déjà 8 magasins Paul et 3 de la chaîne Poulaillon, Francis Maurer considère que si les boulangeries artisanales veulent continuer, elles doivent se renouveler :

« La boulangerie traditionnelle a de beaux jours devant elle, mais sous une autre forme. Avec des magasins plus spécialisés et bien implantés, à la sortie des ville par exemple. »

Ou, tout au contraire, comme les « Pain de mon grand-père », proposer des produits de qualité, une gamme vaste en pains et pâtisseries, et être ouvert sur une large amplitude horaire.


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