6h30 dans le campus de l’Hôpital civil à Strasbourg, mardi 30 avril 2024. Une quarantaine d’étudiants et étudiantes masquées installent des barricades devant le bâtiment du Cardo, qui accueille l’Institut d’études politiques (IEP) – Sciences Po Strasbourg. À coup de poubelles, de grilles et d’autres mobiliers urbains, les accès au bâtiment universitaire sont bloqués.
Une coordination inter-IEP
Sur de grandes banderoles, des drapeaux palestiniens côtoient des inscriptions accusatrices : « Israël colonise et génocide, soutien = complicité », « Stop génocide », « Israël génocide, Sciences Po complice ». Le blocage a été décidé à l’échelle nationale avec tous les IEP, dans la continuité du mouvement de Sciences Po Paris qui s’est achevé dans la nuit du 24 au 25 avril 2024. L’université de la Sorbonne, à Paris, a elle aussi été occupée.
« On sait très bien que c’est surtout symbolique », explique une des étudiantes mobilisées. Car ce blocage se déroule pendant les vacances universitaires à Strasbourg, les locaux ne sont visités que par des étudiants souhaitant accéder à la bibliothèque. Mais pas de quoi décourager les militants et militantes des mouvements Sciences pro Palestine et du comité Palestine Unistras :
« C’est une coordination inter-IEP, pendant des mois notre mobilisation a été pacifique, on a essayé de parler mais nous n’avons pas eu de réponse satisfaisante de la part de la direction, donc nous passons au blocage. »
L’étudiante fait référence à une première assemblée générale de Sciences pro Palestine, le 3 avril. Selon les étudiants, un vote a décidé que le chef d’établissement n’était pas le bienvenu pour assister aux discussions d’organisation du mouvement :
« Suite à ce vote, on a dû partir de la salle qui nous avait été donnée pour la réunion. Depuis, nous devons nous réunir dehors car la direction refuse de nous laisser un lieu dans le bâtiment pour nous organiser. Alors que nous voulons simplement pouvoir parler et débattre librement. »
De même, la tenue d’une soirée-témoignages avec deux médecins de retour de Gaza, prévue dans les locaux de la faculté de médecine et que le comité Palestine Unistras a finalement dû relocaliser dans le centre socio-culturel du Galet, à Hautepierre. Contactée, la direction de Sciences Po Strasbourg n’a pas répondu a notre demande d’interview à l’heure de publier cet article. La communication de l’Université de Strasbourg avait indiqué auparavant que l’association n’avait pas rempli les conditions de sécurité pour l’utilisation de la salle, c’est à dire l’embauche de trois vigiles, à ses frais.
« Deux poids, deux mesures »
« Nous n’acceptons pas le deux poids deux mesure », enchaîne un étudiant. D’emblée, le parallèle est posé entre la réaction de Sciences Po après le début de la guerre en Ukraine. « Les partenariats avec les universités russes ont été tout de suite suspendus », appuie une étudiante. Elle admet que seuls « un ou deux étudiants » strasbourgeois sont en Israël, via un partenariat de Sciences Po Strasbourg avec l’université Herzliya, à Tel Aviv, mais ajoute-t-elle, « il est question du symbole ».
Le symbole avant tout
« Quand on dit Sciences Po complice, il faut voir que c’est une institution publique d’État, donc que c’est l’État Français qui est complice du génocide à Gaza », poursuit un autre étudiant. Vers 7h30, les militants et militantes se rassemblent pour s’organiser en cas d’arrivée de la police. Les idées fusent, les votes aussi. Un ouvrier tente de rentrer dans le bâtiment, la tension monte brièvement avant de retomber lorsqu’il accepte de repartir. Pendant ce temps, deux agents de sécurité installent de la rubalise pour empêcher l’accès à un endroit où le toit menace de s’effondrer.
Sous un ciel bleu de début d’été, les militants s’installent pour rester, assis en cercle pour surveiller leur blocage de chaque côté du bâtiment. « On sera là au moins jusqu’au début d’après-midi », précise l’une d’elle. À vélo, le député de Strasbourg-sud, Emmanuel Fernandes (LFI), arrive pour soutenir les manifestants :
« Il faut dénoncer le génocide en cours. Je suis à 200% à l’aise avec ce terme de génocide qui a été utilisé par la rapporteure spéciale de l’ONU sur ce qui se passe à Gaza. Il n’y a plus d’ambiguïté sur le terme. Il y a plus de 40 000 morts dont 15 000 enfants. Que la jeunesse se mobilise est salutaire, ça devrait gonfler notre pays de fierté. Ils soutiennent aussi leurs collègues de Paris qui ont été violemment délogés. On ne peut pas rester les bras ballants. »
Sur l’utilisation du mot « génocide », les étudiants rejoignent l’interprétation du député. « Il suffit de regarder le droit international », souffle l’un d’eux. « À Gaza, c’est une population entière qui est ciblée par les bombes, même civile, avec pour but un nettoyage ethnique », poursuit-il, arguant qu’il est surtout présent sur la blocage « en tant qu’être humain qui ne peut pas accepter ce qu’il se passe en Palestine » : « Après le 7 octobre, je ne pensais pas que ça irait si loin. Mais plus rien ne m’étonne désormais. »
Contre le pouvoir et l’institution
Toujours assis par terre aux environs de 8h30, les militants semblent bien installés. Et tous s’estiment concernés par les bombardements sur Gaza, même à des milliers de kilomètres. « On est aussi là pour dire que nous ne sommes pas d’accord avec ce que font nos représentants politiques », explique une autre étudiante, adossée à une barrière de fer :
« Ce n’est pas parce que notre président soutient Israël et son gouvernement d’extrême-droite que c’est le cas de tous les Français. Même en Israël, il y a des opposants à ce gouvernement et à ce génocide. Le tout, c’est de montrer que des voix s’élèvent contre ce massacre, que des peuples soutiennent les Palestiniens, quoi qu’en pensent leurs gouvernements. »
Ils dénoncent aussi la position du président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, qui confondrait selon eux antisionisme et antisémitisme. « Bien entendu que nous sommes contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme, mais soutenir la Palestine, ça ne signifie pas être antisémite, au contraire », soutient l’étudiante. Elle déplore notamment que le simple fait d’arborer un drapeau palestinien soit parfois perçu comme un acte antisémite.
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