Alors qu’une partie de la planète est encore déchirée par les guerres de religions, que les pires virus et épidémies nous menacent encore, et que la crise économique bat son plein, on peut se demander qu’est-ce que nous ont réellement apporté tous les progrès scientifiques et technologiques des deux siècles passés. Cette question est d’autant plus cruciale -et devient même troublante- lorsqu’on mesure notre impuissance presque totale à se protéger face au déchaînement des éléments naturels. D’ailleurs, cette incapacité n’a d’égal que notre refus quasi pathologique à l’accepter.
La Nature comme ultime puissance capable de défier l’humanité
Face à la menace des tremblements de terre, des tornades, tsunamis et autres cyclones aux prénoms si poétiques, nous ressentons une terreur et une appréhension toute aussi extrême que respectueuse. Même dans sa colère et sa puissance dévastatrice, la Nature reste majestueuse, grandiose, « sublime » au sens kantien du terme, c’est-à-dire dépassant la capacité de nos facultés rationnelles et sensibles à l’appréhender. Le constat de ce dépassement à jamais irréductible, représente une remise en question fondamentale du poids de nos petites existences individuelles bien évidemment, mais surtout de l’efficacité et de l’utilité de tous les moyens techniques aussi perfectionnés que gigantesques que nous avons déployés pour faciliter et magnifier notre quotidien.
Au moment tant redouté où la tempête la plus dévastatrice nous menace(ra), il n’y aura ni ennemi à pointer comme responsable à exterminer, ni anti-virus à commercialiser, ni aucune fortune ne serait-ce la plus extravagante, à dilapider ou à partager. Il ne nous restera que ce constat hyper réaliste et sans appel de notre égalité naturelle…
Force est de constater que l’égalité s’impose dans la tornade de manière bien plus efficace que tout ce que le Droit que nous cherchons à mettre en place dans nos civilisations hyper développées tente d’imposer depuis des siècles. Dans sa double apparence, qui nous donne à la vivre comme à la fois comme grandiose et menaçante, la Nature semble donner la réplique à ce « progrès » paradoxal dont nous sommes devenus les spécialistes. Que ce soit du point de vue technique, mais aussi du point de vue de tous les droits si laborieusement acquis que certains préservèrent avec une rage sans égale à faire régresser, les contradictions intrinsèques au déploiement de l’humanité attendent une réponse que seul notre sentiment d’impuissance semble être capable de nous fournir.
Black Storm ou les trois âges de la modernité
Le film très spectaculaire de Steven Quale raconte notre histoire en trois temps, ou mieux encore, selon trois modes. L’enfance nous confine dans nos singularités, nos personnalités en construction et le besoin de que nous avons de nous différencier -voire de dominer- pour exister. La première partie de Black Storm se met en place dans la banalité du quotidien des différents protagonistes, dans le calme de leurs préoccupations égoïstes et radicalement subjectives. L’école, les premières amours, la carrière, notre désir de transmettre quelque chose de ce que nous sommes, nos espoirs et nos déceptions. Effectivement, nos vies sont essentiellement dominées par nos affects tant que le bruit de la nécessité collective reste en sourdine.
Dans un second temps l’aventure proprement technique de ces spécialistes de la tempête nous plonge dans l’appréhension rationnelle de ce qui nous entoure. Celle où les chiffres, les écrans, et les spécialistes qui jargonnent dominent. La puissance incontournable de la science est devenue inhérente à la moindre de nos actions désormais envahies par les ondes, les satellites, et les microparticules que nous maîtrisons si bien en les comprenant si peu. Il y a dans l’âge adulte de la modernité un déploiement sans égal d’intelligence et de compétences, capables de se transformer en une maîtrise que nous n’imaginions même pas il y a 50 ans.
Et puis dans un troisième temps c’est le Black Storm. Tout s’assombrit et bascule dans une dimension à la fois apocalyptique et messianique. La destruction et la rédemption semblent s’entremêler comme le feu et l’eau de ces images spectaculaires. Les compteurs de tous nos progrès sont remis à zéro, seule la solidarité de tous peut se révéler efficace face à ce que la Nature cherche à nous faire entendre dans un fracas qui semble provenir directement du pire des enfers. La terre elle-même n’a plus qu’à trembler, et les hommes effarés n’auront d’autres abris où se réfugier que celui qui consiste à vivre ensemble toutes ces impasses qu’ils ont si bien aménagées.
Le scénario de Black Storm ne propose rien, et en ce sens ce film un peu banal est troublant parce qu’il ne cède à aucune prétention idéologique ou moralisatrice. Il persiste simplement (et en définitive modestement) dans la tentative de nous imposer le miroir grossissant de ce que nous sommes devenus. J’ai aimé ces images qui donnaient à penser, j’ai sursauté à ce vacarme des éclairs et des tornades qui n’ont cessé de me réveiller encore et encore. Allez-y pour l’action et les sensations fortes, rentrez chez vous avec l’envie d’être attentif à tout ce que le bruit de notre environnement a encore à nous faire entendre.
Black Storm est à l’affiche du Vox et de l’UGC Ciné-Cité.
Chargement des commentaires…