Deux jours en allemand… et puis plus rien. À Benfeld, les élèves de CM1 section bilingue ont peu goûté à la langue de Goethe. Le 17 septembre 2021, leur professeure à l’école élémentaire Aristide Briand est partie en arrêt maladie. Ce départ précède un congé maternité qui démarre fin novembre et prend fin début mars 2022.
« Il était prévu d’embaucher un contractuel, admet le directeur par intérim de l’établissement, le rectorat cherche tous les jours, mais pour l’instant, il n’y a aucun contact définitif. » Résultat : des écoliers inscrits par leurs parents pour apprendre en allemand un jour sur deux pourraient manquer d’enseignant attitré pendant plus de cinq mois.
Un manque de remplaçant il y a trois ans déjà
Parent d’élève, Annick Degardin rappelle qu’un tel cas de figure s’est déjà présenté dans l’école il y a quelques années, pour ces mêmes élèves :
« Lorsqu’ils étaient en CP, il y a trois ans, ils ont passé un trimestre sans professeur d’allemand. En comptant l’impact du covid, ça fait huit mois de moins de pratique de l’allemand. »
En l’absence de remplaçant, l’habitante de Benfeld déplore la mise en place d’un « système de garderie » en vigueur un jour de cours sur deux pour ces élèves. « Une fois, ma fille m’a raconté avoir plié des lettres toute l’après-midi pour l’élection de la représentante des parents d’élèves », soupire Annick Degardin. La salariée de la pharmacopée du conseil de l’Europe a perdu confiance envers l’école publique :
« J’ai toujours adoré l’école, mais aujourd’hui je suis déçue. Je ne reconnais pas le système éducatif auquel j’ai eu le droit. Mon enfant a droit à l’éducation, comme les autres. Pour l’instant, je me laisse jusqu’en novembre pour décider. En fonction de l’évolution de la situation, je l’inscrirai dans un établissement privé. Au moins, là-bas, il y a des remplaçants. »
La mobilisation des parents, en vain
Organisés sur un groupe Whatsapp, les parents d’élèves multiplient les initiatives. Chef d’entreprise d’origine allemande, Martin Gundelach rapporte un courrier commun envoyé à l’inspection académique début octobre :
« On nous a fait une réponse bateau du type “On fait le nécessaire”. Puis on nous a rappelé qu’un remplaçant avait été trouvé jusqu’aux vacances de la Toussaint. Mais c’est un professeur en français… »
Conseiller municipal de la commune, Martin Gundelach espérait proposer des cours d’allemand le samedi. « Je voulais qu’ils entendent au moins la langue », explique-t-il. Le lendemain de notre entretien, une autre mère d’élève nous assurait, déçue, que la mairie avait refusé la proposition : « Apparemment, ce n’est pas possible d’avoir une salle à la mairie en dehors des heures de cours… »
Également mère d’un élève de CM1 section bilingue, Laura (le prénom a été modifié) se dit épuisée à force « de se battre pour des évidences : nos enfants devraient pouvoir apprendre en bilingue sans difficulté. » Habitante d’une commune voisine, elle avait milité pour l’ouverture d’une section bilingue dans l’école de sa commune… en vain. Chaque matin, son enfant doit parcourir plus de dix kilomètres pour rejoindre sa classe :
« Ce qui est malheureux, c’est la différence entre le discours de nos politiques pour l’amitié franco-allemande, et la situation du bilinguisme à la frontière… »
« Il faut d’abord combler le manque de professeurs »
Du côté du syndicat enseignants Unsa du Bas-Rhin (SE Unsa 67), on déplore un manque de 12 postes d’enseignants bilingues en école élémentaire du Haut-Rhin et de 20 postes dans les écoles bas-rhinoises, soit 32 professeurs des écoles titulaires manquants dans toute l’Alsace. Didier Charrie, co-secrétaire départemental du SE Unsa 67, décrit sa position face à un sous-effectif croissant :
« On vend à des parents une offre bilingue, puis on finit par mettre des remplaçants en français. Depuis des années, nous demandons qu’aucun nouveau site proposant une éducation bilingue n’ouvre. Il faut d’abord combler le manque de professeurs. »
Professeurs germanophones : une pénurie croissante
Contacté, le rectorat constate aujourd’hui que trois professeurs des écoles manquent pour les sections bilingues des écoles élémentaires du Bas-Rhin. Mais l’académie de Strasbourg craint une aggravation du phénomène. À court-terme, l’institution sait que des congés maternités vont démarrer dans six à dix écoles dans les prochaines semaines. À long terme, le nombre d’inscrits en étude de la langue allemande à l’Université de Strasbourg est aussi annonciateur d’une pénurie grandissante :
« On note un manque d’attrait pour le professorat en général, mais encore plus pour le professorat en langue allemande. Cette année, à l’Université de Strasbourg, nous comptons à peine 13 étudiants inscrits en première année de licence d’allemand (des personnes qui se destinent au professorat en collège). Et en L2, on compte à peine 9 élèves (voir encadré à droite, ndlr). »
En compensation, la hausse des contrats courts
Le manque d’enseignants en allemand s’observe aussi au niveau des concours des professeurs des écoles. Lors de la session 2021, l’académie de Strasbourg a proposé 70 postes, « 45 candidats répondaient aux exigences pour être de bons professeurs en section bilingue », affirme le rectorat. Alors pour compenser, l’académie de Strasbourg doit recruter des enseignants contractuels, c’est-à-dire avec des contrats à durée déterminée :
« Sur l’année scolaire 2020/2021, dans le Haut-Rhin, nous avons eu recours à 43,5 postes de contractuels, et 29 postes de contractuels dans le Bas-Rhin. C’est un chiffre en augmentation par rapport aux années précédentes, mais c’est aussi lié à l’augmentation du nombre d’élèves en section bilingue. »
Selon le Rectorat, 19,5% des élèves d’écoles élémentaires suivent aujourd’hui un cursus bilingue dans le département bas-rhinois, contre 13,6% en 2014. Dans les établissements du second degré du Bas-Rhin, 5% des collégiens suivaient un cursus bilingue en 2014, contre 9% aujourd’hui.
« On fait le travail à la place de l’institution »
La Collectivité européenne d’Alsace (CEA) a « bien conscience du problème de manque d’enseignants bilingues » selon son service de presse. Le Département alsacien finance à hauteur de plus d’1,1 million d’euros, une « indemnité spécifique versée aux enseignants du premier degré intervenant en allemand en voie bilingue paritaire. » La CEA verse également plus de 42 000 euros de bourse pour les étudiants qui s’engagent dans la voie de l’enseignement bilingue.
Soutenue par la CEA, ainsi que la Région Grand Est et la chambre de commerce de Fribourg, l‘association Eltern (Association de parents d’élèves de l’enseignement bilingue) a lancé un dispositif pour pallier le manque d’enseignants en allemand. Son programme RecrutoRRs agit « comme un cabinet de recrutement ». Le président de l’association, Claude Froehlicher, décrit le fonctionnement et l’impact de cette action :
« Grâce à une promotion du métier d’enseignant sur les réseaux comme Linkedin ou Indeed, et grâce à une présélection des candidats, Eltern a déjà permis de recruter une quinzaine de contractuels depuis le début de l’année 2021. Puisqu’il y a entre 30 à 50 postes vacants par an (concernant les enseignants bilingues allemand, ndlr), on voit bien que notre solution est un bon début. »
Pour Claude Froehlicher, une situation comme celle de Benfeld relève de la catastrophe. Si le président associatif admet que le métier d’enseignant a un problème d’attractivité, en raison d’un salaire trop bas, il a décidé d’agir : « Soit on se plaint, soit on fait le travail à la place de l’institution grâce à des financements publics. »
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