La scène se déroule dans un caveau de la rue Gruber, le « Wagon Souk ». Depuis le 22 juillet, bénévoles et résidents de « l’hôtel de la rue », le squat du quartier de Koenigshoffen, ont l’habitude d’y manger. Malgré la fraîcheur de ces lieux enterrés, les esprits sont échauffés dans la soirée du lundi 5 août.
« On ne s’est jamais posé… »
Il est 20h ce lundi soir et depuis près de deux heures, environ 80 personnes s’écharpent sur l’avenir du squat Gruber. Un projet d’occupation des locaux, devant déboucher sur une convention avec la Ville de Strasbourg, propriétaire des lieux, cristallise des réactions inquiètes et des critiques acerbes. Et dans ce brouhaha électrique, “Ada” pointe subitement :
« Ce squat est ouvert depuis deux semaines, j’ai l’impression que ça fait trois mois. On a tous les traits tirés, on a tous vécu des situations extraordinaires mais… on ne s’est jamais posé. On a passé notre temps à gérer les urgences. Il faut désormais qu’on réfléchisse tous ensemble à ce que nous voulons faire de ce lieu. »
L’urgence a masqué les différences
De nombreuses personnes se sont mobilisées pour aider les habitants du squat mais elles ne se sont vraiment rencontrées que lundi soir. Unetelle a créé un espace jeux pour les enfants, untel a donné des cours de français, un autre a trouvé des matelas, etc. L’accueil de 140 personnes, dont un tiers d’enfants et de bébés, a généré son lot de besoins immédiats et de problèmes pratiques à résoudre rapidement…
Lorsque quelques personnes ont décidé de rédiger un projet d’occupation, en vue de décrocher une convention d’occupation avec la Ville et ainsi empêcher une expulsion par la force publique, ils l’ont fait sans véritablement associer une partie des bénévoles, comme l’explique Stéphane :
« On a bien fait des réunions mais les gens n’étaient pas là. C’est la première fois que je vois une bonne part de ceux qui ont exprimé des critiques lundi soir… »
« Des maladresses dans la présentation du projet… »
Nadia, utilise un langage contrôlé pour s’exprimer :
« Il y a eu quelques maladresses dans la manière de présenter le projet… »
Résultat : le projet d’occupation a été perçu par une partie des bénévoles comme une tentative de prise de contrôle du squat et de normalisation alors qu’il est né d’une volonté collective, avec l’ambition d’associer les habitants et de le garder hors des radars de l’Etat. Il aura fallu deux bonnes heures de débats, parfois houleux, pour sortir de ces craintes.
Car finalement, tous les bénévoles sont d’accord sur l’essentiel : les habitants doivent pouvoir exprimer leurs besoins et participer à la gestion quotidienne du lieu. L’ennui, c’est qu’ils parlent géorgien pour la plupart, parfois anglais, et qu’il faudra du temps et beaucoup d’énergie pour mettre en place une forme d’autogestion multilingue…
Une expulsion toujours possible n’importe quand…
Or le temps, c’est ce qui risque de manquer selon Stéphane, l’un des rédacteurs du projet présenté lundi :
« Dans tous nos échanges avec la Ville, on nous indique qu’il n’y a aucun projet attendu et qu’on se retrouvera au tribunal… En outre, la préfecture peut très bien décider toute seule d’expulser les occupants avant qu’on ait pu présenter le moindre projet construit ! C’est pour ça qu’on a travaillé vite… Je veux bien tout traduire mais… il vaudrait mieux ne pas traîner. »
C’est Tenguiz, géorgien parlant anglais, qui met tout le monde d’accord :
« Quand je suis arrivé en France, on m’a dit les Français sont des gens calmes. Alors calmons-nous, on est tous embarqués dans le même projet ici. Et grâce à vous les Français, des enfants dorment au sec, alors s’il vous plait, arrêtez de vous disputer… »
Vers 20h30, alors qu’il ne reste plus qu’une trentaine de personnes, Edson, « président » de La Roue Tourne, une association de fait constituée après le décès d’une personne sans-abri, et principal instigateur de l’occupation, conclut :
« Bon, alors que tout le monde rédige ses propositions, les fasse traduire, et on les intégrera dans le projet. Puis on intégrera tout ça avant de le transmettre à la Ville. »
Plus tard, alors que les bénévoles se retrouvent dehors et sortent les cigarettes, Edson admettra :
« J’ai compris qu’une partie des bénévoles avait eu l’impression d’être court-circuitée… Et bien entendu, tous ceux qui s’impliquent doivent être en mesure de participer à la construction du projet. Mais c’est juste qu’on n’a pas eu le temps… On n’a pas eu le temps. »
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