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Qui sont ces barbiers qui taillent les barbes des Strasbourgeois

Vidéo. La barbe est en plein boom et des échoppes spécialisées ouvrent à Strasbourg. Mais y a-t-il de la place pour tout le monde ? On est allé à la rencontre des barbiers.

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« Après le 11 septembre, il valait mieux ne pas porter une barbe », voilà comment Hugo Machado, qui a ouvert son salon Barba Rossa, regarde le passé des barbiers. Mais depuis 6-7 ans à Paris et surtout un an ou deux partout en France, les poils sur le menton sont le détail tendance.

Une mode qui viendrait des « hipster » terme un peu vague, qui remonte aux années 40, mais qui fait référence aux jeunes adultes au look travaillé, un peu décalé et faussement intellectuel. Quand on questionne les barbiers sur leur clientèle, ils répondent qu’elle est très variée, de 20 à 77 ans, et « improbables. Preuve du flou total de cette définition, il n’y aurait pour certains, aucun hipsters dans la capitale alsacienne.

Résultat de cet engouement, plusieurs salons spécialisés dans la taille de barbe ont ouvert leurs portes à Strasbourg en 2015. Il y a bien depuis 2012 une option « barbe » (comme chignon) au brevet d’études professionnelles (BEP) de coiffeur, mais elle n’est pas obligatoire pour ouvrir son commerce. Et tous assurent avoir un carnet de commande bien rempli « même pour un mois de juillet ».  De là à ce qu’il y ait assez de barbes à tailler pour tous ? Les intéressés y croient.

Des aventures solitaires

Si l’art de la taille de barbe vient des pays arabes, nos sculpteurs de poils tirent davantage leur inspiration du monde anglo-saxon. Derrière chaque barbier, se trouve une prise de risque individuelle. James est par exemple travailleur indépendant. De l’informatique, il se reconvertit, grâce à plusieurs formations. Il fait ensuite ses gammes au Barbier de la Petite France. Mais le gérant, le coiffeur Hervé, vend le salon pour financer d’autres projets. Après avoir hésité à reprendre l’échoppe, James choisit de se mettre à son compte, en récupérant une partie de la clientèle. Il loue un fauteuil à la journée au salon de beauté Extatic, à côté de la rue du Dôme :

« Je travaille 6 jours par semaine, parfois 7 avec le brunch barbe au Shadok le dimanche. À Extatic, c’est comme une colocation. Chacun a son espace, mais l’aménage comme il veut. Il y a de l’espace bien-être, institut de beauté, coiffure et moi. J’y suis du lundi au jeudi, puis je vais à Nancy vendredi et samedi où je loue aussi un fauteuil. J’interviens aussi pour des marques sur des événements ponctuels. J’aime ce mode de vie, de bouger, de faire des choses variées. »

Ancien informaticien, James loue un fauteuil à la journée chez Extatic après avoir officié à la petite France (photo GG / Rue89 Strasbourg)
Ancien informaticien, James loue un fauteuil à la journée chez Extatic après avoir officié à la petite France (photo GG / Rue89 Strasbourg)

« Un métier qui se vole »

C’est aussi tout seuls qu’Hugo Machado, Grégory et Eli S. ont ouvert leur établissement en 2015. Chez Eli, du côté des Contades rue Oberlin, il faut passer un rideau rouge. « Ca attire, sans montrer ce qu’il s’y passe ». Déco soignée à l’américaine et beaucoup d’à-côtés : panier de basket, musique, banquette, boissons et bientôt des jeux vidéos et expositions. Seuls les bacs à shampoings appartiennent au salon de coiffure précédent. Ce Parisien arrivé à Strasbourg il y a une dizaine d’années a entièrement imaginé l’aménagement :

« D’abord je travaillais un peu clandestinement dans mon salon et j’ai eu mes habitués. Je n’ouvre mon salon qu’à 37 ans, mais j’ai réfléchi à chaque détail. Pour moi, barbier ce n’est pas un métier qui s’apprend à l’école, il se vole. Il faut une expérience auprès d’autres barbiers pour pouvoir avoir sa touche personnelle. »

Ambiance Chicago chez Eli S. près des Contades (photo GG/Rue89 Strasbourg)
Ambiance Chicago chez Eli S. près des Contades (photo GG/Rue89 Strasbourg)

Eli a déjà des projets de nouveaux partenariats (après ceux avec Adidas et Red Bull), d’ouvrir une autre structure et d’embaucher. Son carnet de rendez-vous est plein jusqu’en septembre et les journées peuvent durer de 8h à 21h, cinq jours par semaine dit-il. Ses prix sont semblables à James : entre 10 et 25€ pour la barbe, le forfait tout compris avec la coupe de cheveux est à 50€ maximum. Il s’occupe du client 1h30. Lui estime qu’il n’a pas de concurrence, car il propose une ambiance unique.

Une concurrence qui existe, même si personne n’en parle

Selon Hugo, la concurrence est inévitable et il voit cela comme un moyen d’innover, de se renouveler. À 23 ans, il a d’abord un peu coiffé dans des salons strasbourgeois, mais s’y ennuyait. Au Royaume-Uni, il découvre l’art de la coupe de barbe. À son retour, encouragé par sa copine, il se lance. L’idée de travailler « pour soi » l’a aussi motivé à monter Barba Rossa, rue Sainte Madeleine. Son salon est plus épuré, avec un seul siège et une musique d’ambiance :

« Je me place plutôt sur un créneau populaire, pour que la taille de barbe soit accessible à tout le monde. Je propose aussi des produits sains, que l’on ne trouve pas ailleurs à Strasbourg, qui sont faits par un artisan. »

L’entretien de moustache commence à 6€, la taille à 15€ et le forfait le plus élevé à 40€. Grâce à l’aide de sa famille pour aménager, il a limité son emprunt à 15 000 euros.

La taille du coupe-chou est l'un des rituels des barbiers. (photo JFG / Rue89 Strasbourg.com
La taille du coupe-chou est l’un des rituels des barbiers. (photo JFG / Rue89 Strasbourg.com

Un seul barbier unique

Exception au paysage strasbourgeois, Gregory, a ouvert « Le Barbier de Monsieur », rue du Sanglier, et ne vient pas de la coiffure. Il est le seul à ne proposer QUE de la taille de barbe. Après une dizaine d’années dans la parfumerie, il décide créer son salon en janvier. Une idée qui remonte à « avant la mode de la barbe » :

« J’apporte ma connaissance des produits, avec un choix pointu mais large, ainsi que sur le matériel. Pour faire ce métier, il faut que ce soit une passion. La technique, je l’ai apprise chez plusieurs barbiers avec des conventions de stage. »

Sur les prix, il préfère rester discret mais assure être dans la même fourchette que ses homologues. Sans se tirer dans les pattes, on sent que chacun essaie de se placer et de construire sa clientèle dans son coin. Il y aurait certes 1 Strasbourgeois sur 2 qui porte une barbe, mais peu ont encore l’habitude de la confier à un artisan. Et les grandes marques sont aussi à l’affût pour proposer leurs produits. « On est très en retard sur beaucoup de pays », ajoute Grégory.

Les armes du crime. Enfin, non pas vraiment (Photo GG / Rue89 Strasbourg)
Les armes du crime. Enfin, non pas vraiment (Photo GG / Rue89 Strasbourg)

Que se passera-t-il après la mode ?

Et puis il y a les anciens : l’As de pique rue du Faubourg de Pierre, en congés lors de la réalisation de notre article et parfois prisé, même des jeunes, pour l’ambiance « vieille époque » et le sens du relationnel du gérant. Depuis que la tradition s’est évaporée, il a dû se concentrer sur les coupes de cheveux. Il y avait longtemps Jean, place du marché Gayot, mais qui a arrêté il y a une dizaine d’années. Jean se souvient de l’époque où la taille coûtait 2 francs (30 centimes d’euros), bien qu’il en fasse encore quelques unes et même « un peu plus ces derniers temps avec la mode ». Il est un peu pessimiste pour les nouveaux commerces :

« La barbe revient, mais dans un an c’est terminé. C’est risqué d’ouvrir un salon juste pour profiter du phénomène. »

Les nouveaux barbiers répondent à cela qu’ils ont des compétences de coiffeur à faire valoir. Même Jean, reconnaît que la taille de barbe l’a aidé à être un meilleur coiffeur. Gregory, James, Hugo et Eli mettent aussi en avant l’expérience, le « moment de détente » du salon et pas seulement le geste technique.

Hugo Machado a ouvert son établissement en juin. 55heures d'ouvertures par semaines "que tu ne vois pas passer, mais que tu sens." (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Hugo Machado a ouvert son établissement en juin. 55heures d’ouvertures par semaines « que tu ne vois pas passer, mais que tu sens. » (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

+20% de clientèle à la Krutenau

Bref, les hommes auraient aussi besoin de leur moment de soins, comme les femmes ont leur esthéticienne et tous pensent que cela ne va pas disparaître, car leur clientèle aura ses habitudes. La concurrence est pourtant rude. À la Krutenau, le maître coiffeur pour hommes de « Men’s hair studio » Raphaël Kress a su saisir la mode pour étendre ses services :

« J’ai rajouté un panneau « Barber Shop » il y a une bonne année, car c’est une technique que j’ai apprise dans la formation. Cela m’a amené environ 20% de nouveaux clients et donc un boost au chiffre d’affaires c’est sûr. Sur mes habitudes de travail ou mes horaires cela n’a rien changé. C’est juste que la journée est plus remplie. Si jamais la mode retombe ce sera embêtant, mais je suis là depuis 7 ans, je ne vais pas fermer pour autant. »

A la Krutenau devant Men's hair studio depuis un an (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
A la Krutenau devant Men’s hair studio depuis un an (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Raphaël ne connait pas les nouveaux barbiers. Il faut dire que chacun est très concentré sur son activité et les à-côtés à gérer. Il n’y a pas de fédération, d’association ou de syndicat qui regroupent cette profession en renaissance. Sans passer par des structures formelles, James ne serait pas contre un peu plus de fraternité :

« C’est vrai qu’on se connait sans se rencontrer. Ce serait bien de faire au moins un événement commun dans l’année. »

Un monde d’homme

Quant à des femmes dans la profession, aucune n’a pignon sur rue à Strasbourg. Il y a bien Pierette depuis 20 ans à Meistratzheim, cela reste un milieu d’hommes. « C’est comme des magasins de lingerie ou de cosmétique tenus par des femmes. » résume Hugo. Pour Eli, son salon reste un lieu d’hommes où l’on a des discussions « entre hommes, que l’on n’a pas avec des femmes ». Grégory est plus nuancé :

« Avec une femme, c’est plus un rapport de séduction, avec l’homme plus un rapport à soi-même, à son corps. La question c’est est-ce qu’on le fait bien ou non. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde, des services différents. »

Dans certaines écoles à l’étranger, comme à Amsterdam, les femmes sont même interdites. Mais à Paris ou à Saint-Dié, certaines commencent à percer.

Vidéo : Gaspard Glanz
Texte : Jean-François Gérard

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Sur Liberation : Profession barbier, un beau marché


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