Après trois ans de fermeture, les Bains municipaux rouvrent au public. Le mardi 8 novembre marque la fin d’un long chantier pour cette piscine située boulevard de la Victoire, classée aux monuments historiques, un joyau architectural du début du XXe siècle. Le coût total se solde à 33,52 millions d’euros, légèrement en-dessous des 35 prévus à l’origine. L’entreprise Eiffage a réalisé les travaux, assistée par les cabinets Chatillon Architectes pour les aspects patrimoniaux et TNA Architectes, pour les éléments sportifs et aquatiques. Le tout chapeauté par la Société publique locale (SPL) des Deux-Rives, qui a porté ce projet via un montage complexe. Au quotidien, c’est la société Equalia qui fera tourner l’établissement, a minima pendant 9 ans. La rénovation permettra des économies d’eau (de 800 litres à 100 litres par usager environ) et d’énergie (41%).
Bassins identiques et horaires élargis
Côté piscines, peu de changement. L’accès aux Grand bain et Petit bain se fera aux tarifs habituels des piscines de l’Eurométropole (5€ le tarif simple, 3€ en tarif réduit, carte de 10 entrées, abonnement, etc.). Leurs dimensions anciennes sont conservées. Les modifications sont esthétiques : les cabines individuelles ont été repeintes, les vitraux retravaillés. Les couleurs des murs sont un peu plus claires, de teintes jaune beurré plutôt que le jaune ocre précédent. « Cette teinte est plus proche de celle d’origine » selon Alexandre Feltz, adjoint à la maire en charge de la Santé et qui a suivi le projet depuis la mandature précédente.
Constat qui vaut aussi pour la salle d’accueil de la Rotonde, ornée de statues. La vraie nouveauté, ce seront « les horaires élargis » par rapport à 2018, pour un total de « près de 800 heures supplémentaires dans l’année », dixit Alexandre Feltz.
Un espace bien-être à 20€
Les principales nouveautés concernent les différents espaces « bien-être ». Plus grands, plus modernes, plus divers, mais aussi plus chers que les anciens bains romains. L’entrée coûtera 20€, contre 15€ précédemment. On y trouve désormais les anciens bains chauds et froids restaurés, des saunas, mais aussi un petit jacuzzi, une grotte de sel et une « douche de neige » (sic).
Autre ajout de taille, l’espace comporte un bassin extérieur d’une trentaine de degrés, avec une vue sur la Cathédrale. Dans la cour qui jouxte ce nouveau bassin, à la place de l’ancien parking, on trouvera d’autres espaces de détente et un « bar à jus ». Ce bar donne également sur une toute petite cour, qui doit accueillir des événements pour la vie de quartier. De quel type, à quelle fréquence ? La programmation reste à définir.
Spa et salle de fitness, avec un autre accès payant
En complément de cet espace dit « balnéo », s’ajoute un espace spa avec par exemple des massages qui donneront lieu à d’autres prestations payantes.
Dans l’ancienne chaufferie, on trouvera à l’étage une salle fitness et en-dessous, une salle de sport pour des cours collectifs. Tous les tarifs ne sont pas connus, mais l’entrée simple sera à 12€. Des offres combinées ou sur abonnement seront proposées.
Également au rez-de-chaussée, à côté de la salle de sport, se trouve une cuisine pédagogique où des cours de cuisine seront proposés. Au total, les nouveaux Bains municipaux compteront six espaces différents, en comptant les quatre douches publiques au sous-sol (au tarif de 1,5€).
Des modifications en cours de chantier
« Un peu comme le marché de Noël, on s’inscrit dans la continuité, mais on propose une évolution », se félicite la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian (EELV), qui a notamment souligné les économies d’énergie et d’eau. Depuis les premiers projets de rénovation dans les années 2010, les Bains municipaux sont un dossier emblématique de la vie politique strasbourgeoise, suivi par de nombreux collectifs, associations, partis et citoyens.
Membre de l’ancien collectif « La Victoire pour Tous », l’architecte strasbourgeois Bernard Aghina rappelle que la gestion confiée à Equalia a servi un autre objectif de l’Eurométropole : « avoir une trentaine de fonctionnaires en moins ». Exit donc les agents municipaux qui travaillaient aux Bains. Equalia a embauché 35 salariés pour les remplacer.
Membre du « comité de liaison » qui suivait la rénovation avec la municipalité, il tire toutefois un bilan positif des évolutions :
« Une fois le modèle économique tranché, on peut dire qu’il y a eu une vraie concertation, sous la municipalité précédente comme l’actuelle. On a pu éviter les bassins en inox, ou encore sauver les cabines d’époque, ce qui n’était pas prévu à l’origine. »
Lors de la visite, Alexandre Feltz, a également pointé que le sauna extérieur dans l’espace bien-être est aussi un ajout demandé par les associations, car celui à l’intérieur était petit.
« Un travail remarquable » mais moins d’espaces à bas prix
Il y a aussi des passionnés du dossier plus critiques, comme l’historien Alexandre Kostka, président de l’association « Les Amis des Bains ». Sur la rénovation stricto sensu, il relève cependant quelques bons points :
« C’est un geste fort de mettre les moyens pour maintenir des Bains municipaux là où beaucoup de villes en Europe les arrêtent ou sont dans l’impasse. Il y a aussi eu un travail remarquable sur les stucs et les ornementations qui ressortent davantage que par le passé. »
Mais l’universitaire remarque que l’espace à bas prix est grignoté. Il prend l’exemple de l’étage supérieur qui devient un espace de stockage pour Equalia et uniquement de déplacement entre les cabines et la piscine :
« On se baigne et on sort. Il n’est plus possible de rester sur la mezzanine ou le solarium, où l’on pouvait se prélasser ou discuter, et qui pouvait être un espace apprécié pour les familles. »
Toujours dans la mezzanine, il relève aussi que le « coin tisane » de l’espace bien être à 20€ vient rogner de l’espace libre. Cette nouvelle salle masque en partie l’horloge que l’on pouvait voir auparavant depuis le bassin. La coursive a aussi pendant un temps accueilli une table de ping-pong où il était possible de jouer sans payer de supplément. Cet endroit n’existe plus.
La disparition des créneaux pour femmes
Parmi les changements, un collectif d’usagères, « Les Bains pour toutes » relève la disparition des anciens créneaux non-mixtes, réservés aux femmes, comme aux hommes pour les bains romains. « On a l’impression de devoir revendiquer quelque chose qui existait déjà (les anciens créneaux ici, NDLR), donnait satisfaction et a été supprimé sans débat », pointe Louise Battisti, une ancienne usagère de ces créneaux.
L’accès aux bains romains était nudiste, ce qui n’est plus le cas. Nadia Annebi Gautelier, autre usagère et membre du collectif raconte :
« Dans ces créneaux, on n’était pas dans l’exaltation du corps, mais on se retrouvait plutôt avec des personnes de plus de 60 ans, des corps mutilés, comme ceux des femmes qui ont subi une ablation du sein et qui ne veulent pas être vues ainsi par des hommes ».
Selon l’ex-candidate aux élections départementales, l’ancien maire avait pris un engagement oral : « En réunion publique, Roland Ries avait promis que les créneaux resteraient tels qu’ils existaient ». Le contact à ce sujet avec Equalia a été établi. « La directrice nous a répondu qu’elle n’était pas fermée à ce que ça existe, s’il y a un besoin. On réfléchit à comment se mobiliser pour la suite », explique Louise Battisti.
« Les regards sont encore trop souvent sources de jugement et de malaise, nous demandons à ce que chacun et chacune puisse bénéficier de cet espace sans crainte du regard de l’autre sexe », pointe le collectif, qui rappelle aussi les « agressions et violences » que subissent les femmes.
La directrice des Bains, Colette Audebert, se dit impatiente d’ouvrir « un lieu de mixité sociale avec des prestations pour toutes et tous ». Mais pour faire évoluer ces propositions, elle attend « les premiers retours », des usagers mais aussi « des équipes ». Interrogée sur la question de ces créneaux réservés, elle ne se s’engage pas : « S’il y a une évolution, ça se fera en concertation avec la municipalité et les acteurs », répond-elle.
Or Louise Battisti craint qu’Equalia ne puisse jamais avoir le retour d’usagers et d’usagères… qui ne viennent plus. Reste le mail ou les réseaux sociaux. Du côté de la municipalité, Alexandre Feltz, rappelle que la Ville peut avoir ce type de demande auprès de son délégataire. Mais il reste prudent :
« Nous ne sommes pas fermés sur cette question, il faut évaluer la chose. »
Un troisième espace, l’aile médicale
Un dernier espace sera quant à lui ouvert d’ici un à deux ans. Il s’agit du bâtiment de « l’aile médicale ». En 2017, il a été acté que son usage sera réservé au sport sur ordonnance. Cette partie n’est pas intégrée dans le contrat avec Eiffage et Equalia. Il s’agit d’un chantier directement géré par la Ville de Strasbourg, désormais estimé à 6 millions d’euros (un budget en hausse par rapport aux premières projections). Roland Ries a préféré dans un premier temps ne pas engager de travaux, avant de changer d’avis, alerté sur la « cohérence globale » de l’édifice et donc de sa rénovation.
Initiateur de la politique de sport sur ordonnance depuis 2008, Alexandre Feltz s’enthousiasme déjà de ce futur espace pour les « 3 200 demandeurs » du programme. Si une petite partie sera constituée de bureaux, il y aura « trois étages » avec des activités sportives, mais aussi « un gymnase historique », « une cuisine spécifique » (comme à l’espace bien-être) ou encore une zone à l’extérieur pour « le test de 6 minutes, qui permet de savoir quel est votre état de santé ». Le tout dans des locaux qui étaient « à 80% inutilisés ».
Si les étages sont assez quelconques, le rez-de-chaussée contient une salle carrelée avec des bassins d’origine. Un sujet de mobilisation pour Alexandre Kostka, de l’association Les Amis des Bains : « Ce sont les derniers témoignages des soins d’hydrothérapie, avec des cuves et des douches pour aller du chaud au froid, et par le passé l’usage de boues médicales ». Il regrette que l’on ne conserve pas cet usage de l’eau.
Alexandre Feltz reconnaît que l’affectation précise du rez-de-chaussée n’est pas déterminée, mais il n’est pas favorable à un maintien d’une telle activité :
« Une salle avec de l’eau demande que toute la pièce soit à 27 degrés à cause de la réglementation. Certains voudraient qu’on rénove tout, mais qu’on garde tout à l’identique, alors que les usages changent. On conservera les éléments, mais pas pour un usage aquatique. »
Vers un changement de public, à l’image de la Krutenau ?
Plutôt satisfait du travail patrimonial, Alexandre Kostka estime néanmoins que le nouveau découpage peut faire dériver le bâtiment de sa fonction initiale de brassage des populations (lire aussi cet article sur le mélange de cultures bourgeoises et populaires) :
« Lors de la période allemande, les Bains municipaux avaient été placés à la jonction entre les quartiers riches de la Neustadt et des quartiers populaires comme l’était à l’époque la Krutenau, qui était un faubourg ouvrier parfois violent. Ce lieu splendide avait un message politique et un but d’intégration. La Rotonde était justement un grand espace central où l’on se croisait. Cela ne mettait pas fin aux inégalités, mais il y avait un mélange. Avec une piscine publique, un espace bien-être plus cher et l’aile médicale qui fait bande à part, il y a un découpage. Même les groupes scolaires ont une entrée spécifique par les douves en bas. Cette séparation est aussi la conséquence d’un découpage politique initial de Roland Ries, un espace géré par les élus LREM, Olivier Bitz et Alain Fontanel, et un espace pour l’aile plus à gauche de la majorité où l’on retrouvait déjà Alexandre Feltz. Mais c’est surtout le reflet de l’évolution de la société et de Strasbourg. »
L’universitaire relève néanmoins qu’il n’y a pas eu de chasse aux pauvres complète puisque quelques douches publiques ont été maintenues et d’autres ont été installées à l’accueil de jour pour sans-abri, rue Fritz Kiener, voisin du luxueux « jardin de fraîcheur ».
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