Comme l’hirondelle annonce le printemps, tous les ans à quelques jours des vacances d’été, une délibération concernant les Bains Municipaux de la Victoire est présentée au conseil municipal de Strasbourg.
- Juin 2015 : vote d’une « charte »‘ et attribution d’une mission étude à la SPL Deux-Rives.
- Juin 2016 : retour des Bains de l’Eurométropole à la Ville et mandat à la SPL.
- Juin 2017 : classement Monuments Historiques, modification du capital SPL, contrat entre la Ville et la SPL…
On est donc encore et toujours dans l’organisation, deux années entières passées à définir les rapports entre la Ville et la SPL (deux années inutiles si la Ville avait gardé le projet en interne !). Ces délibérations sont toujours introduites à quelques jours du vote, ainsi les élus et les citoyens n’ont pas le temps de réagir et puis viennent les vacances estivales…
À chaque fois encore, une habile communication met en avant un aspect prometteur : en 2015, une « charte » qui garantit une rénovation exemplaire ; en 2016, le retour de la propriété des Bains à la Ville ; et cette année, la « quasi-régie » !
Quasi-régie, terme trompeur !
Mais cette dénomination est trompeuse. Ce terme de « quasi-régie » laisse entendre au citoyen, au journaliste ou à l’élu municipal que les Bains seront réalisés et gérés par la SPL Deux-Rives en lieu et place de la Ville en quelque sorte comme avec une régie municipale.
Erreur ! La « quasi-régie », c’est uniquement le régime de concession sans mise en concurrence de la Ville à la SPL ; la SPL elle-même ne gérera pas les Bains en « régie » puisqu’elle sera tenue par le contrat Ville/SPL annexé à la délibération de passer un « marché public global de performance. » C’est à dire qu’elle cherchera une entreprise pour faire la conception, la construction et la gestion.
« Le concessionnaire est libre de désigner les entreprises chargées de la conception, de la construction et de l’exploitation technique et commerciale des Installations. » (Art.7 du contrat Ville/SPL).
Un montage contraire à ce qui a été promis
C’est très grave : ce montage à tiroir est contraire à tout ce qui a été dit et promis à l’issue des réunions de « concertation » de l’an dernier, à savoir que la SPL serait le bras armé de la Ville mais qu’elle réaliserait et gérerait elle-même le futur établissement.
En conséquence, après le vote de cette délibération, Olivier Bitz, responsable du projet, aura enfin obtenu ce que les décisionnaires successifs cherchent depuis des années, à savoir que le projet Bains soit dispensé de ces fastidieuses séances devant le conseil municipal, séances qui soulèvent à chaque fois les avis et critiques des citoyens mobilisés. Tout se passera désormais en petit comité sous couvert de la SPL, sans débat, avec bien sûr, nous dira-t-on, le contrôle des élus sur les activités de la SPL mais sans publicité.
Et c’est là un autre aspect problématique : avec ce montage juridique et administratif complexe, comme la Ville ne veut plus se charger des Bains, elle est contrainte de multiplier les instances de contrôle : conseil d’administration de la SPL, comité de contrôle analogue de la SPL, comité de pilotage, comité technique opérationnel des Bains…
Autrement dit la SPL restera une coquille vide, simple support juridique et financier de la Ville de Strasbourg servant à ne pas comptabiliser l’investissement Bains dans les finances de la Ville. Elle ne compte d’ailleurs à l’heure actuelle qu’un seul chargé de mission affecté au projet. Elle est donc beaucoup moins équipée que la Ville qui dispose de nombreuses compétences à la direction construction.
Pour mettre au point tous ces contrats et montages complexes, nul doute que la SPL multipliera les consultants extérieurs coûteux. Une énième étude de pré-programmation par un cabinet extérieur est d’ailleurs en cours d’attribution.
L’ensemble des Bains démantelé en quatre entités
Pour résumer : on nous avait promis que la SPL Deux-Rives mènerait le projet en lieu et place de la Ville, en réalité sa mission est uniquement de trouver une entreprise privée qui mènera la totalité du projet.
Avec ce présent contrat Ville/SPL et malgré toutes les garanties d’accompagnement, les conditions sont ainsi réunies pour que la définition même du projet soit soumise à la seule logique de rentabilité et que le projet final puis sa gestion échappent au service public pendant 35,5 ans.
Une autre mauvaise action de cette délibération, c’est qu’elle entérine le démantèlement des Bains de la Victoire en quatre entités : chaufferie, aile médicale, piscines intérieures et douches, activités « annexes » (bains romains, sauna, spa, future piscine extérieure…). La chaufferie est traitée à part, elle serait affectée au projet « sport-santé ».
L’aménagement de l’aile médicale, sous prétexte qu’il n’y a pas d’usage prévu aujourd’hui, est repoussé aux calendes grecques, au risque d’augmenter encore les coûts futurs. Le programme global n’étant pas arrêté, pourquoi donc ne pas l’intégrer au projet global ? Existerait-il un projet caché car inavouable ?
Seules les deux piscines intérieures et quelques douches resteront aux tarifs Eurométropole, une compensation sera donnée à l’entreprise privée pour ce « manque à gagner », cette obligation de service public résiduel. Les autres activité dites « annexes » seront à prix libres : bains romains, spa, sauna, y compris la future piscine extérieure qui avait pourtant été promise comme intégrée au réseau des piscines de Strasbourg.
Une autre politique, publique, est possible !
Quant au coût du projet, c’est encore et toujours le même montant de 30 millions d’euros qui est cité. Il n’a donc pas été revalorisé depuis toutes ces années et on se demande toujours comment un tel chiffrage peut être avancé alors que le programme concret des équipements reste à élaborer.
Tout ce qui précède est d’autant plus désolant qu’une autre politique est possible. Un seul exemple : une municipalité beaucoup plus modeste que Strasbourg, Balaruc-les-Bains au bord de l’étang de Thau, a confié en 2012 ses thermes à une SPL qui a financé la rénovation et ouvert en 2015 un nouvel établissement magnifique exploité par la Société Publique Locale d’Exploitation des Thermes de Balaruc-les-Bains (60 M€ investis, 400 emplois directs).
A Strasbourg, il s’agit en fait d’un choix idéologique de la municipalité. Contre vents et marées, contrairement aux fausses promesses successives, c’est bien le projet initial qui continue depuis 2011, camouflé sous une montagne de procédures complexes : les futurs Bains Municipaux de Strasbourg seront imaginés et gérés par une entreprise commerciale qui sera forcément soucieuse d’abord de réaliser des bénéfices…
On est bien loin des ambitions sociales qui ont présidé à leur création en 1908.
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