Chaque matin, Axel se lève pour assister à des cours de philosophie à l’université de Strasbourg. Il écoute ses professeurs, prend des notes sur Nietzsche, décortique Ainsi parlait Zarathoustra, l’ouvrage du philosophe allemand qu’il ne quitte plus, et développe son mémoire sur une comparaison entre les évangiles et les écrits philosophiques.
Puis, vient la fin de la semaine. Jeudi, vendredi et samedi soirs, il troque ses manuscrits, recherches et dissertations contre un déguisement de pompier, de James Bond ou de policier. Axel devient Enzo Cortez et sur les pistes de danse des boites de nuit, il se déhanche et se déshabille. Chippendale, strip-tease et autres gogo, la mise à nu de l’esprit laisse place à celle du corps.
« C’est un retour à la terre, au désir, au Corps. La dichotomie entre le corps et l’âme est résolue par Nietzsche. C’est loin de la bienséance, de la bien-pensance. C’est stupide de penser que l’âme serait plus haute que le corps. »
L’allégorie de la caverne… après un master en droit
Pour le jeune homme, tout est enclin à être pensé avec philosophie. La « science du pourquoi », comme il l’appelle, le taraude depuis plusieurs années maintenant. Après sept ans en droit, un master dans ce domaine, le Strasbourgeois décide de se réorienter. Plusieurs questionnements rythment son quotidien, si bien qu’il exige désormais des réponses :
« Je me souviens d’un débat que j’ai eu avec un ami après le visionnage d’un film, nous en étions venu à l’Allégorie de la caverne de Platon. Je ne comprenais pas tout au début, je réfléchissais seul, m’informais très peu. »
Il dit avoir aiguisé son sens critique en écoutant l’émission les Grosses têtes sur RTL, ressent le besoin d’un encadrement scolaire après s’être plongé dans le Gorgias de Platon, un peu par hasard. Ses interrogations s’intensifient après une douloureuse rupture amoureuse. Et depuis, il voit au quotidien des situations à prendre avec philosophie.
« Une relance de ma vie »
Il s’habitue au monde de la nuit en sortant de plus en plus après sa séparation. Lui qui détestait les boites, enchaîne les soirées :
« Ça devient très vite lassant : tu viens, tu bois, tu danses. Un jour, j’ai rencontré un ami, qui était strip-teaseur, je l’ai accompagné une fois, deux fois, et j’ai découvert une nouvelle facette de cet environnement : celle du spectacle. On m’a charrié pour que j’essaie, je cherchais une relance dans ma vie après ma rupture. J’ai appris à danser et au bout de quelques mois, j’ai fait un essai. Ce n’était pas gagné au début, mais j’ai travaillé. Tout s’est enchaîné. »
À ses débuts, l’entourage d’Axel est dubitatif. Ses amis à la fac lui déconseillent de se lancer, de peur de rater ses études. Carolin, sa meilleure amie, s’en souvient :
« Honnêtement, je me suis demandé ce qu’il faisait. Je l’ai prévenu qu’il pourrait y avoir de lourdes conséquences, notamment, vis-à-vis de la faculté de droit et qu’il faudrait assurer. J’ai vu ensuite qu’il s’éclatait et je l’ai soutenu. Aujourd’hui, on en rigole ».
Presqu’à poil, mais aucune humiliation
La famille est plus compréhensive, elle a suivi tout le cheminement qui a mené à cette décision :
« Ça n’a pas choqué. Même si j’en parlais moins à mon père qu’à ma mère, qui est quelqu’un de très ouvert. Elle connaissait mes valeurs. Pour mon frère, qui a 4 ans de moins que moi, ça a été un peu plus étrange. Ce n’était pas le modèle qu’il s’attendait à suivre. Je l’ai emmené avec moi en show pour qu’il voit l’envers du décor, qu’il voit que je ne perdais pas mon honneur. »
Axel le revendique, pour lui, le strip-tease n’a rien de dégradant :
« Tout le monde pense que le strip-tease est une aliénation de soi-même. Je considère que danser sur un podium et gagner de l’argent, ce n’est pas moins de la prostitution que d’être ouvrier et de passer 8h derrière une machine pour en ressortir lessivé et méprisant vis-à-vis de son patron. »
Une réflexion qu’il fonde après avoir travaillé plusieurs étés à l’usine. Il en garde, dit-il, une « frustration énorme » : pas de liberté, aucune maîtrise de son corps, une fatigue intense, une usure et des contraintes d’emploi du temps et de hiérarchie. Il cite Karl Marx et ses écrits sur la lutte des classes pour se justifier. Avoue préférer être indépendant, peut-être « plus égoïste ».
Qui a dit narcissisme ?
Sur le strip-tease, l’étudiant évoque une conception bien personnelle. Il parle de la philosophie du Beau, avec un B majuscule, de la mise en avant du Corps par les écrivains de la Grèce antique notamment :
« On a perdu cette conception dans notre société. Soit tu es beau, soit tu es intelligent. Les deux, c’est impensable. Je ne suis pas d’accord avec ce dualisme corps et âme. On parle de narcissisme mais qu’y-a-t-il de mal à aimer son corps et à se sentir bien dedans ? »
Le sien, Axel l’entretient « aussi bien que son esprit ». Deux heures de sport journalières, de la musculation, une alimentation très stricte. Le jeune homme a construit son programme seul et refuse toute aide extérieure. Pour lui, le sport est constituant « du caractère comme la musique l’est pour l’âme », cite-t-il Platon et son travail sur la gymnastique.
« Quand je fais un spectacle, il y a moi, la fille et le public »
En Nietzschéen convaincu, le jeune homme tente de prendre de la distance sur son activité de strip-teaseur, souvent décriée pour ses aspects superficiel et commercial :
« Évidemment, c’est un milieu où argent et vanité se mêlent. Ce serait hypocrite de nier l’arrière-plan commercial. Mais pour moi, l’argent n’est pas la valeur reine. La philosophie, l’Humain oui. Un show, ça reste quand même une relation entre deux personnes, ça ne doit pas être robotisé. Quand je fais un spectacle, il y a trois parties : moi, le public et la fille que je fais participer. Ça peut être pour un massage à l’huile ou pour arracher ma chemise. Il s’agit d’une relation homme-femme que je veux moins artificielle qu’un show millimétré. »
Sa conception de l’argent, le Strasbourgeois la décrit réaliste. Il ne veut pas « accumuler de la monnaie pour la monnaie » comme pourrait le soumettre Aristote. « Celui qui possède peu est d’autant moins possédé », cite-t-il à nouveau Nietzsche. Il se contente d’un quotidien d’étudiant, lui qui a vécu le début de ses études avec les « 250€ que lui donnait son père chaque mois ». Terre-à-terre, il admet tout de même ne pas être contre le système et pouvoir se permettre désormais plus de confort :
« Je suis née dans un monde capitaliste. Je dois vivre avec. De l’argent il en faut et je ne vais pas travailler gratuitement. Ce serait un manque de respect vis-à-vis des sacrifices et du travail que je fais toute la semaine. »
Des marches solitaires… comme Nietzsche
Pour la suite, Axel se voit continuer encore quelques années dans le monde de la nuit. Il refuse de se fixer une limite d’âge et compte bien arpenter un moment les routes du grand Est et d’ailleurs. Car « c’est presque ça qu’il préfère aux shows », confie-t-il. L’errance :
« C’est l’instinct qui parle beaucoup. J’aime errer au petit bonheur la chance, sans vraiment savoir où je vais. Pour les shows, on peut m’appeler le jour même et je pars dans une ville inconnue : Grand Est, Belgique, Luxembourg… Je fais aussi des marches solitaires. Nietzsche en était adepte. Lorsque tu ne te fixes pas de but, tu apprécies d’autant plus les étapes. Les routes inconnues sont les plus aimées ».
Du côté universitaire, il ne se voit pas arrêter les études sans obtenir un doctorat, « l’aboutissement de toutes ces années ». En droit, en philosophie, ou dans les deux domaines. Il n’a pas de plan de carrière, hésite toujours sur la profession qu’il aimerait exercer:
« Ce qui me plaît le plus, c’est d’avoir trouver une vie équilibrée, que ce soit le soin du corps, de ma personne ou de mon esprit. Après avoir subi mon quotidien et des décisions qui ne m’étaient pas personnelles, en droit ou en couple, je ne subis plus rien. C’est une certaine conception de la liberté. Une revanche sur ma médiocrité de l’époque, où je me laissais aller, une revanche sur ceux qui n’ont pas cru en moi et qui m’ont poussé à évoluer. Mon quotidien, pour moi, ce n’est pas atypique. Je fais simplement ce qui me plaît. Pour certains, c’est du kayak et de la pâtisserie, moi c’est de la philo et du strip-tease. »
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