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Grosbliederstroff séparée de Kleinblittersdorf, le coronavirus a fermé le « pont de l’Amitié »

En Moselle, la vie à Grosbliederstroff a perdu une grande partie de ses échanges avec sa jumelle Kleinbliederstroff. La frontière avec l’Allemagne est fermée suite à la pandémie du coronavirus. Reportage dans cette commune française où un sixième de la population est allemande.

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Grosbliederstroff séparée de Kleinblittersdorf, le coronavirus a fermé le « pont de l’Amitié »

La frontière est au milieu du « pont de l’Amitié. » Côté Kleinblittersdorf, deux policiers allemands surveillent les entrées. « Seules les personnes avec une autorisation de travailler ou pour visiter de la famille malade sont admises », explique un agent, sans masque et souriant. Prière de faire demi-tour vers Grosbliederstroff, ville mosellane de 3 000 habitants.

Longtemps, Bliederstroff ne formait qu’une bourgade au-dessus de la Sarre. Les défaites de Napoléon Ier ont provoqué sa scission en 1815. Le « pont de l’Amitié », pour piétons et cyclistes, a été construit en 1993.

Au bout du pont, des policiers allemands contrôlent les entrées. Côté français, personne ce matin là. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Le retour des forces de l’ordre à la frontière

Côté français, aucun gendarme ne surveille les entrées sur le territoire ce mercredi 29 avril. « D’habitude, je les vois tous les jours », s’étonne Lucas Muller, 27 ans, propriétaire du restaurant Coté Canal avec une vaste terrasse le long de la Sarre. « Nous avons davantage de clients allemands que français, mais pour les établissements là-bas, c’est l’inverse. Il y aura peut-être un changement dans les habitudes. » Ce qui l’inquiète le plus : « Comment appliquer la distanciation physique si on peut rouvrir en juin ? »

Lucas Muller est gérant de Côté Canal depuis 2018. Prévenu au téléphone en plein service de la fermeture des bars et restaurants le 14 mars, il a d’abord cru à une blague. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Fermé, il profite de la période actuelle pour faire quelques travaux et livrer des gâteaux, bénévolement, aux soignants de l’hôpital de Sarreguemines. L’établissement qui compte trois salariés l’hiver mais « une dizaine en été » a ouvert en 2018. Ses gérants sont « en plein dans les remboursements. »

Les chiens passent, les citoyens pas toujours

De l’autre côté de la place de l’Euro, son parking et sa fontaine en forme de pièce, habite Barbara, citoyenne allemande. Enseignante dans une école de formation continue à Sarrebruck, la capitale de la Sarre (180 000 habitants) à 4 kilomètres de Grosbliderstroff, elle donne ses cours depuis chez elle tandis que son mari, routier, passe d’un pays à l’autre grâce à son autorisation.

À côté du pont, la place de l’Euro a été inaugurée lors du passage à la monnaie unique en 2002. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Un pont d’abord complètement bloqué

Au début, le pont de l’Amitié était complètement bloqué par des barrières. Parmi les 3 000 Blithariens, 500 résidents de la commune française sont allemands. Certains d’entre eux confient sous couvert d’anonymat avoir pu passer quelques fois. « Le policier était sympa et trouvait la situation bizarre », glisse un ressortissant allemand.

Pour Barbara, qui n’aurait « jamais imaginé » voir ce pont fermé en s’installant à côté il y a 30 ans, la situation a néanmoins donné lieu à une anecdote amusante :

« J’ai gardé le chien de mon fils qui est soldat et était parti en mission. Lorsqu’il est revenu, on s’est retrouvé sur le pont. Le chien pouvait passer mais pas moi. Quand le pont a rouvert le samedi 25 avril, j’ai attendu un jour, puis j’y suis allé le lundi. Je n’avais besoin de rien mais je voulais faire des achats. Donc j’ai juste fait un tour et suis revenue. Avec ma carte d’identité allemande, ils étaient obligés de me laisser rentrer. Cette fermeture a développé comme un sentiment de claustrophobie. »

Une banderole flotte au vent sur le pont. « La Sarre ou la Lorraine, aidez-vous les uns les autres et soyez forts. » (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Bataille pour la réouverture de la passerelle

« Nous nous sommes battus pour obtenir la réouverture de la passerelle aux citoyens allemands et aux Français avec autorisation », avance le maire Joël Niederlander. « Avec les députés du secteur et les élus de la Sarre, il a fallu remonter jusqu’au gouvernement à Berlin. D’autres patelins n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient. » Deux autres « points de passage » pour automobiles ont rouvert.

« Avant, les travailleurs frontaliers devaient faire un détour de 25 kilomètres. Les liens entre Grosbli et Kleinbli sont très étroits. On n’imaginait pas que la fermeture serait aussi stricte. »

De la fenêtre de son bureau, le maire voit les reliefs allemands (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« Les emmerdes sont pour moi »

À 68 ans, le maire devait passer la main cette année et continuer de représenter la commune au conseil de l’agglomération de Sarreguemines. En l’absence de proclamation des résultats des municipales, l’édile depuis 2008 reste en poste.

Un pont en pierre en 1880 détruit en 1939 pour « raisons militaires », un bac en 1949, un 1er pont en 1964… Le maire se plonge dans les dossiers. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« En attendant les emmerdes sont pour moi », s’amuse le maire, qui se dit d’une sensibilité « plutôt de gauche ». Une passation en douceur puisque son successeur élu le 15 mars, Pascal Weisslinger, était sur ses listes depuis 1995. « On se retrouve tous les matins. On a notamment organisé la collecte de nourriture pour les soignants », explique le futur maire.

Photo de Joel Niederlaender et Stephan Strichertz, tous deux maires respectifs de Grosbliederstroff et Kleinbliederstroff, se tenant le main sur le pont de l’amitié.(photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)
Joel Niederlaender (à gauche) n’a pas encore pu transmettre ses fonctions à Pascal Weisslinger, son ancien adjoint élu le 15 mars. Les masques ? « Du bricolage, faute de mieux ». (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« Grosbli » n’a pas été épargnée par le Covid. « Nous avons perdu un conseiller municipal et 5 personnes sont décédées en un week-end dans un Ehpad », reprend le maire Joel Niederlander. En dépit du décès de son collègue, il voit dans la difficulté une persistance de l’amitié franco-allemande : « Il a été transféré de Sarreguemines à Kaiserslautern. »

Des liens forts autour de la frontière

Les exemples de liens franco-allemands sont nombreux dans l’histoire récente de la commune. « Le championnat allemand vétéran de kayak s’est déroulé sur notre plan d’eau », raconte le premier magistrat. Le long du plan d’eau justement, une zone de loisirs a été aménagée. Joel Niederlaender raconte le financement du projet :

« L’Eurodistrict SaarMoselle a pu chercher des financements européens dans le cadre d’un projet plus large d’aménagements touristiques appelé Bande bleue de part et d’autre de la Sarre. Obtenir ces fonds a débloqué de manière automatique un soutien de l’État et de la Région ».

À la clé, un vaste espace vert avec skatepark, terrain de sports, mini-golf, barbecues, espaces pour enfants par tranche d’âge… Coût de l’opération : 1,4 million d’euros, dont 983 000 euros de fonds extérieurs. « Si on avait voulu le faire seul, on y aurait consacré toutes les ressources de la commune. » Ce jour là, seul un employé communal s’occupe de l’entretien de cet espace fermé. « Un beau jour, il y aurait 250 personnes », glisse-t-il.

Le parc de Grosbliederstroff, financé en partie par des fonds européens, est fermé mais entretenu. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)
Des difficultés à bientôt surmonter (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)
Verdoyante, l’aire de jeux a des équipements pour tout âge. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)
Les barbecues sont déjà prêts pour la distanciation sociale (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Quel avenir pour les travailleurs franco-allemands ?

Côté crise sanitaire, le maire ne sait pas encore comment il pourra rouvrir son école. « Les masques ne pourront arriver que le 15 mai, il a été difficile d’en commander… » Et puis « qui enverra son enfant ? Combien de repas faudra-t-il servir à la cantine ? », s’interroge le maire. À plus long terme, Joël Niederlaender craint « la crise économique » et se demande comment les échanges franco-allemands seront impactés. « L’offre d’emploi est de l’autre côté, ici on a plutôt la demande ». Dans la commune, la Fonderie lorraine et ses 400 employés produit des pièces en aluminium pour ZF, un sous-traitant de plusieurs constructeurs automobiles allemands.

À l’usine, deux ouvriers prennent leur pause. Le travail, en 4×8, a repris le 20 avril. En bleu de travail, les deux tourneurs-fraiseurs ne trouvent rien à redire sur les mesures de sécurité : distanciation, horaires décalés et protections sont respectés. Malgré la fermeture de la frontière, « on trouve toujours quelqu’un qui travaille en Allemagne pour ramener des clopes et des bières moins chères », raconte David qui travaille ici depuis 20 ans. La suite ? « Tout le monde est un peu au jour le jour », complète Arnaud, embauché depuis 2013.

La fonderie lorraine emploie 400 personnes pour des sous-traitants allemands. Environ 50 personnes sont sur site en même temps. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« Ne surtout pas généraliser »

La route principale de Grosbliederstroff est bien calme. Vendeuse à la boulangerie, Magali remarque moins de clientèle étrangère, mais surtout « moins de passage vers l’Allemagne ». « Le premier jour de 4h30 à 7h, on a eu 5 clients. En temps normal ça ne désemplit pas. Donc depuis, on ouvre à 7h et on ferme plus tôt. »

Magali est boulangère dans la ville de Grosbliederstroff (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Elle attend avec impatience de pouvoir retourner en Allemagne où elle va « une fois par semaine ». Mais elle sait aussi que « les Allemands sont un peu fâchés avec nous désormais. » Dans certaines entreprises, les horaires entre salariés allemands et français sont désormais alternés. Et il y a eu quelques prises à parti.

Ces tensions nouvelles sont réelles pour le maire Joël Niederlander et « ces discriminations ont beaucoup choqué ici ». Mais face à la « psychose collective », il met en garde :

« Il ne faut surtout pas généraliser. Ces cas excitent surtout les médias et réseaux sociaux. En réponse, les Français tapent à leur tour les Allemands, mais on aurait eu les même réactions. Il suffit de voir les comportements de certains avec les soignants ici. Avec mes homologues allemands, les relations n’ont pas changé. »

Côté français, beaucoup de personnes tentent de rejoindre « Kleinbli », sans être sûr de passer. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« Il va falloir se battre »

Sur le parking de la vaste « pharmacie de la Sarre », Christine Mehlinger s’inquiète. Habitante d’un village voisin, cette agent territoriale spécialisée des écoles maternelles avec 40 années de travail au compteur s’inquiète :

« On va projeter des viruscides pour désinfecter mais quel est leur effet sur les enfants ? On ne sait pas. Et nous manquons de protection. On parle des enfants, que l’on va voir comme des gros coronavirus, mais peu des personnels. Il va falloir se battre. »

Christine est scandalisée par la réouverture des ecoles, annoncée par Emmanuel Macron (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

À la pharmacie, « on gère une pénurie »

Les allers et venues à l’entrée de cet ancien garage reconverti en 2015 s’enchaînent. La majorité des clients sont masqués. « On a rouvert il y a deux jours », explique Serge Appel, le pharmacien titulaire. « Avant on ne servait qu’à la fenêtre, comme en garde. » Les guichets on été réduits de 8 à 5, distanciation physique oblige. Des marquages au sol indiquent le chemin à suivre et il est interdit de se servir en rayon.

(photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)
Par ici la sortie. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Malgré la pandémie, l’établissement accuse « 40 à 50% de chiffre d’affaires en moins ». La faute, entres autres, à la fermeture de la frontière, selon Serge Appel :

« Des laboratoires internationaux ont des politiques de prix différentes selon les deux pays, les règles de remboursement et prescription aussi, donc les gens sont habitués à passer d’un côté à l’autre. »

Quant aux gels, masques et gants, même si cela « va un peu mieux », la pharmacie en manque toujours d’après le pharmacien titulaire : « Les délais ne sont pas respectés. On gère une pénurie, pas un stock ».

« Le contexte fait que l’on ne rentre pas spontanément dans une surface commerciales. C’est un peu rassurant » (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Celui qui a fait ses études à Strasbourg comprend la fermeture :

« C’est dommageable, mais compréhensible en temps de crise, où l’on se contracte. Le confinement, c’est la même réaction. L’Italie a aussi fait des séparations entre nord et sud. »

« On se rend compte de ce que signifiait une frontière »

Eugen sort de l’établissement. Ce radiologue allemand est marié à une professeure française depuis 33 ans : « Je suis payé, mais mon employeur me demande de ne plus venir car le Grand Est est très contaminé. Moi j’ai été testé deux fois, avec les tests PCR et avec les tests sérologiques qui sont reconnus en Allemagne. Ma femme, on lui a juste dit qu’il y a des chances qu’elle ait été exposée. »

Eugen est radiologue allemand, mais prié de rester en France. « Il y a eu peu de morts en Allemagne, jusqu’ici on y croit pas trop là-bas. (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Dans un français impeccable, le père d’une fille médecin à Heidelberg revient sur « le choc » :

« Nous nous sommes tous les deux éloignés de Paris et Berlin, en venant dans le Grand Est. On avait l’impression d’être au centre des deux pays. Maintenant, on se rend compte de ce que signifiait une frontière. »

Bienvenue, vraiment ? (photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)


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