Si Gisèle Vienne s’intéresse à la violence depuis ses premières créations, sa nouvelle proposition, Crowd, programmée au Maillon les 8, 9 et 10 novembre, lui permet d’approfondir sa dimension rituelle et collective à travers la fête, lieu par excellence d’exaltation des émotions et des sentiments. Quinze danseurs se meuvent au son d’un DJ-set de Peter Rehberg articulant musiques électroniques des années 90 à nos jours et d’une composition originale du duo novateur KTL (Peter Rehberg et Stephen O’Malley), dans une chorégraphie hypnotique. Aucun dialogue audible, mais un sous texte élaboré avec Dennis Cooper qui contient de multiples narrations, à la fois individuelles et collectives.
« Vouloir éradiquer la violence me semble absurde »
Le contexte de la rave party se prête bien à une réflexion sur la violence des émotions puisque le groupe de jeunes gens va être amené à vivre une expérience très forte passant par l’endurance d’un état physique et l’immersion dans une communauté. L’intensité de la musique, la danse répétitive, l’excitation et les attentes des différents personnages, voire la prise de drogues, les amène dans un état second qui trouble la perception.
Cet état génère différents sentiments – désir, plaisir, tension – qui vont eux-mêmes amener un certain nombre de comportements chez les danseurs. À cette dimension individuelle s’ajoute celle, collective, du groupe. Comment gère-t-il – ou non – la violence induite par ces sentiments ? Gisèle Vienne insiste sur le fait que la violence est inhérente à l’homme civilisé. Celui-ci est en recherche d’espaces où la laisser s’exprimer face à une société qui marginalise et méprise la quête de ce type d’expériences :
« La violence peut évidemment être mauvaise mais elle ne l’est pas forcément, et en tout cas vouloir l’éradiquer me semble d’une absurdité folle. La question est plutôt de savoir comment créer des espaces d’expression ou d’expérimentation de cette violence qui ne mettent pas en péril la communauté. (…) À mon échelle, avec Crowd, j’essaie d’insister encore sur l’aspect jubilatoire, exutoire de la violence – ou plutôt des violences, ou des déploiements d’énergie différente -, sur le plaisir possible de l’expression violente, et sur les possibilités d’absorption de celle-ci. »
La rave party, une transe cathartique
La longue partition musicale soutient les mouvements des interprètes et tient une place de premier ordre dans ce rite collectif, où le côté cathartique de la transe rituelle est recherché pour les danseurs comme pour les spectateurs. Il y a quelque chose de très physique, une très grande empathie dans la vision ce spectacle. Ce qui est poursuivi ici par l’artiste, c’est l’expérience partagée, essentielle et bénéfique.
Tout comme Peter Rehberg a sélectionné des morceaux liés au label Underground Résistance pour son DJ-set, Gisèle Vienne insiste sur l’apport des cultures électroniques et underground dans le travail de nombreux artistes contemporains, dont le sien. Ces différentes cultures sont poreuses et se nourrissent mutuellement.
« Une oscillation physique et intellectuelle »
Aussi s’inspire-t-elle également des danses urbaines, comme le hip-hop ou le krump, dont les mouvements saccadés, altérés, ralentis, permettent de se rapprocher d’effets spéciaux vidéos. Les évolutions des techniques au cinéma ainsi que la musique électronique ont eu un impact sur le corps. Gisèle Vienne explique à ce sujet :
« Pour Crowd, je travaille avec des danseurs plus jeunes, d’une autre génération, qui ont donc, en partie, une bien plus grande connaissance et pratique de ces danses-là, largement intégrées depuis dans le champ de la danse contemporaine. (…) C’est le chemin entre le vivant et sa représentation, l’incarnation et la désincarnation, qu’il s’agisse d’humain, d’espace et d’autres, c’est cette oscillation stimulante, autant physiquement qu’intellectuellement, qui est au coeur de mon travail. »
Malgré ce travail très technique, pour cette création, les danseurs sont à la recherche d’un état d’être authentique et sensible. Dans Crowd, ils sont amenés à gagner en puissance non par un rapport sportif de contrôle dans la danse, mais par le lâcher prise.
« Un sentiment quasi-hallucinatoire »
Ces jeux de distorsion, de danse saccadée parfois robotisée, servent d’outil d’interprétation pour le spectateur. Ils expriment les multiples subjectivités – notamment par rapport au temps – dans une fête :
« J’opère des subdivisions : à certains moments les quinze danseurs vont être à l’unisson, à d’autres, certains vont être dans un type de gestuelle et d’autres dans un autre par exemple, etc. Cela démultiplie les potentialités de montage, et surtout crée des vibrations rythmiques et musicales extrêmement excitantes qui génèrent un sentiment quasi hallucinatoire ou hypnotisant tout en produisant du sens. »
Cette saison, Gisèle Vienne et sa compagnie DACM ont été invitées à créer au Maillon. Ils ont en cela bénéficié d’un temps de résidence de quelques semaines destiné à favoriser la rencontre avec le public strasbourgeois, ainsi que la collaboration avec l’équipe technique.
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