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Aux classes théâtre de l’Elsau, « j’aime refaire des scènes de films »

Dans le quartier de l’Elsau à Strasbourg, des élèves du collège et d’une école ont la possibilité de faire et découvrir le théâtre dans le cadre scolaire grâce à des horaires aménagés. Une formation qui s’installe dans leur quotidien et change, peu à peu, leur manière d’appréhender le monde.

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Aux classes théâtre de l’Elsau, « j’aime refaire des scènes de films »

Au conservatoire de Strasbourg, douze adolescents préparent, par groupes, des saynètes autour de La Belle et la Bête. Ces jeunes ne sont pas issus de familles aisées du centre-ville. Ils font partie des 80 élèves du collège Hans Arp et de l’école Martin Schongauer, deux établissements du quartier de l’Elsau à Strasbourg. Ce territoire de 8 000 habitants fait partie des 13 « quartiers politique de la ville » (QPV) car le revenu médian de ses habitants se situe autour de 8 000€ par an.

Mais là, ces enfants âgés de 10 à 14 ans ne pensent pas aux galères du quotidien, aux problèmes de logement et d’argent. Ils doivent s’imaginer traverser une forêt de nuit. Ils tâtonnent. Certains sont encore très timides, d’autres osent déjà des propositions, immédiatement saluées par leurs camarades. Dans les deux cas, la forêt devient pour leurs personnages un lieu effrayant ou comique.

Le jeu, c’est ce que beaucoup préfèrent, et l’ambiance lors de ces exercices est souvent très bon enfant. Inès raconte : « ce qui me plait le plus c’est être dans le rôle d’un personnage », Waïl « depuis longtemps j’aime refaire des scènes de films quand je suis à la maison », et Amine « j’aime jouer pour faire rire les autres. » Ils se débloquent. Petit à petit, ils se déverrouillent.

Au fur et à mesure des séances et des années de pratique, ils sont de plus en plus confiants sur scène comme à l’oral. Salma : « quand j’ai commencé, je faisais du théâtre juste pour m’amuser. On fait des exercices pour occuper l’espace, nous aider à rester concentrés, parler plus fort, je suis moins timide qu’au début. »

Le groupe de 4ème lors d’un atelier de pratique théâtrale au conservatoire (Photo Florence Vaira / TJP)

« Les classes théâtre c’est ce qui m’a donné envie d’aller dans ce collège »

Comme Inès, Dounia et Salma une partie de la classe de 6ème a déjà débuté le théâtre dès le CM1/CM2 à l’école Martin Schongauer, mais la majorité d’entre eux découvre le théâtre cette année. La plupart des élèves viennent du quartier de l’Elsau, et ont l’établissement Hans Arp comme collège de rattachement. Mais pas Wail par exemple, qui a choisi de poursuivre sa scolarité au collège Hans Arp précisément pour cet enseignement. D’autres se sont inscrits après avoir vu leur grand frère ou leur grande soeur sur scène, comme Thalya qui raconte : « j’ai vu le spectacle de ma sœur qui a commencé le théâtre l’an dernier » et Amine « j’aime bien lire des pièces avec ma sœur et quand on fait des scènes ensemble. »

Au conservatoire, les 6èmes ont commencé les cours de pratique en novembre. Dans ces séances au volume sonore souvent élevé, l’ambiance oscille entre enthousiasme et éparpillement, c’est pourquoi une grande partie du travail concerne leur application. Ils y apprennent à développer l’écoute de leurs camarades et à être plus attentifs à travers différents exercices. L’un d’entre eux a lieu au conservatoire le 16 novembre, en milieu de séance.

Il consiste à s’allonger au sol, yeux fermés, et essayer de réciter l’alphabet en disant tour à tour une lettre, la complication étant que si plusieurs donnent une lettre au même moment, ils doivent recommencer au début ! Pendant quinze minutes, les élèves se montrent d’abord pressés, puis se calment, sont plus à l’écoute… jusqu’à ce que plusieurs d’entre eux gaffent et déclenchent un rire général. Si pour le moment ils ne sont pas allés au bout de l’alphabet, essai après essai, on les sent plus concentrés, plus patients aussi.

Le groupe de 4èmes lors d’un atelier de pratique théâtrale au conservatoire (Photo Florence Vaira / TJP)

Bientôt sur scène, L’Ogrelet, de Suzanne Lebeau

Ils ont pu commencer à travailler sur le texte qu’ils représenteront lors du spectacle de fin d’année: L’Ogrelet de Suzanne Lebeau,un conte sur l’altérité d’un enfant mi-homme mi-ogre qui découvre sa différence et son histoire, mais aussi sur l’intolérance et le courage. Après « Chantier un, deux, trois… Hue Dada » (2015/2016) et « Ça me dépasse… C’est géant » (2016/2017), cette année le thème est « Conter pour l’autre, conter sur soi », sous la coordination artistique de Sophie Nehama.

Intervante, la comédienne Emma Massaux détaille le travail parallèle entre la classe et la scène :

« Les élèves vont réfléchir sur la figure de L’Ogre dans l’art et la littérature, puis sur les thématiques et les enjeux de la pièce. Ils aborderont le vocabulaire théâtral et devront peu à peu imaginer et s’approprier cette histoire. Dans un dernier temps, nous introduirons la notion de choeur (comment raconter une histoire ensemble, à plusieurs voix…), puis apporterons le texte de Suzanne Lebeau sur le plateau afin d’amener les élèves, chargés par leur vision de cette histoire, vers une interprétation sensible d’un extrait ou d’un montage de L’Ogrelet.« 

Le groupe d’élèves est scindé en deux : une moitié, encadrée par Marie Wacker (du TJP) et Emma Massaux (du Conservatoire), commence par lire et mimer la didascalie initiale : la mère de l’ogrelet le prépare à son premier jour d’école. Après un temps de discussion où ils partagent des expériences et anecdotes à ce sujet, en remarquant avec humour à quel point leurs mères sont attachées à ce qu’ils soient particulièrement bien préparés pour leur rentrée, ils élaborent et présentent par deux une petite scène à leurs camarades.

Beaucoup sont encore très timides, regardent le sol et esquissent seulement les gestes. A ce moment de l’année peu sont déjà suffisamment à l’aise pour aller au bout de leurs propositions, malgré les encouragements du reste de la classe. Les spectateurs, eux, n’hésitent pas à s’exprimer sur ce qu’ils croient avoir saisi ou ce qu’ils n’ont pas compris. C’est un moment d’échange enrichissant, il leur permet d’appréhender ce qu’ils communiquent par leurs gestes et leurs attitudes sur scène.

L’autre moitié part dans la salle voisine, à la découverte de la pièce, de la table des matières, d’affiches en lien avec le texte, cette fois guidée par leur professeure de français, Laurence Guillemaut. Cette dernière les avertit : « ce que je ne veux pas voir, c’est “moi je sais !”, ici on se pose des questions. » Il ne s’agit pas de poser des affirmations, mais des hypothèses, qui, comme des mystères, seront levées au fur et à mesure de l’année. A chaque question les mains se lèvent, les 6èmes s’empressent de répondre, de livrer leur interprétation, de partager leur avis… Même au bout de trois heures d’atelier, ils ne manquent ni d’énergie, ni de choses à dire!

Le CDI se transforme en salle de répétition…

En classe, la semaine suivante, les élèves se rendent au CDI afin de préparer collectivement des exposés sur le théâtre grec antique qu’ils présenteront deux semaines plus tard à leurs camarades de 4ème sous des formes originales. Dans un coin du CDI, deux élèves s’entraînent, plus ou moins sérieusement, à leur présentation derrière un castellet (petit théâtre de marionnettes) devant le regard amusé de quelques camarades.

Dans une autre partie de la salle, un groupe de trois élèves a construit la maquette d’un édifice théâtral antique et révisent à l’aide des livres à disposition leurs connaissances sur le sujet. Pendant ce temps, autour d’une table, un autre groupe ouvre un livre qu’ils ont fabriqué pour l’occasion. Un exercice qui conjugue histoire et créativité, et dont Lucie est ravie : « je suis contente de faire un exposé parce que j’apprends beaucoup, surtout en histoire du théâtre ! »

Suite à la représentation de Wa Wilder Man au TJP, les élèves rencontrent les trois interprètes (Photo Florence Vaira / TJP)

Voir des spectacles, c’est bien. Les voir et les analyser, c’est mieux

Une autre partie du cours est consacrée à la préparation du spectacle auquel ils vont assister la semaine suivante : Wa Wilder Man de la Compagnie Barbarie. Le but de cette « école du spectateur » est d’amener les élèves à dépasser le « j’aime / je n’aime pas » pour être plus attentifs à la scénographie, aux costumes, à l’éclairage… Ils assistent au spectacle au TJP le 30 novembre, en compagnie de classes d’autres écoles. Il s’agit d’une pièce qui invite à interroger notre rapport à l’autre, celui qui est différent : trois personnages accoutrés étrangement, dévisagent les jeunes spectateurs, ils s’exclament que « Cet endroit est à nous ! C’est ici, nous sommes d’ici, vous êtes de là-bas ! Retournez donc là-bas ! »

Dans ce spectacle, les comédiennes jouent et dialoguent avec le public, et nombreuses sont les interactions. À l’issue de la représentation, les artistes sortent de leurs rôles et la salle s’illumine, mais la scène conserve ses éclairages et ses décors. Elles rencontrent la classe, c’est l’occasion d’un échange particulièrement vivant. Les questions fusent, les jeunes veulent d’abord résoudre l’énigme du titre : « ça veut dire quoi Wa Wilder Man ? », puis ils enchaînent sur des interrogations variées : « comment vous faites pour respirer avec le masque ? », « quand les spectateurs vous posent des questions, vous improvisez ? », « c’est fait exprès que les rideaux ressemblent à des arbres ? » ou encore « à quoi servent les croix au sol ? »

Une série de questions auxquelles les comédiennes belges répondent avec entrain en ajoutant parfois quelques anecdotes sur d’autres représentations de la pièce.

Une des interprètes de Wa Wilder Man présente une partie des costumes aux élèves, intrigués (Photo: Florence Vaira/TJP).

« Avant les classes théâtre, on ne se parlait pas »

Certains élèves mettent en avant l’intérêt des études théâtrales pour leur compréhension des autres disciplines scolaires, d’autres pour leur timidité, d’autres encore pour l’entente de classe comme Dounia : « avant le spectacle, on est tous soudés, on communique. Avant on ne parlait pas. » Laurence Guillemaut constate de son côté que :

« Les élèves gagnent en confiance et en aisance à l’oral. Ils développent également un imaginaire plus vaste que les élèves non scolarisés en CHAM. Ce sont des classes soudées, curieuses et enthousiastes. Trop parfois ! »


#Elsau

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