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Le repartage des terres agricoles, le second impact du GCO sur la nature

Outre le bitume du Grand contournement ouest, l’autoroute entraîne un autre appauvrissement de la biodiversité, moins visible. Il sera lié à la réorganisation des parcelles des agriculteurs touchés, sur une zone presque 40 fois plus grande que le tracé.

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Le repartage des terres agricoles, le second impact du GCO sur la nature

Bruno Ulrich, écologiste ancré dans le paysage associatif alsacien, est préoccupé par un deuxième impact, à retardement, que l’autoroute du Grand contournement ouest (GCO – voir tous nos articles) de Strasbourg pourrait avoir, outre les forêts coupées et les zones humides détruites :

« C’est moins médiatisé donc les aménageurs peuvent se permettre plus de choses. Nous avons vraiment le sentiment que cette procédure se fait sans prendre en compte l’avis des écologistes, alors que ça pourrait avoir des retombées à long terme encore plus graves que l’infrastructure du GCO en elle-même… »

Cette « procédure », c’est le remembrement agricole que le GCO nécessite. Sur le tracé de la future rocade payante de 24 kilomètres, 300 hectares de terres agricoles ont disparu pour 128 agriculteurs. Ceux-ci se voient donc réattribuer des terres à d’autres endroits, dans le cadre de ce qu’on appelle un remembrement agricole.

L’opération a pour but de minimiser les impacts pour chaque agriculteur concerné, en répartissant les pertes entre 500 exploitants, par le biais d’un réaménagement des parcelles. Pour un projet d’une telle étendue, le remembrement sera extrêmement conséquent : il s’étendra sur 28 communes et atteindra la surface de 11 250 hectares, soit 37,5 fois l’étendue du tracé de l’autoroute.

Les espaces impactés par le remembrement consécutif au GCO (source : Conseil départemental du Bas-Rhin)

Historiquement très critiqués par les écologistes, les remembrements parcellaires ont joué un rôle important dans la “révolution verte” des années 60-70, car ils ont permis l’augmentation de la taille des parcelles.

Comme l’expliquent dans leur étude les géographes Jean-Pierre Husson et Éric Marochini, ces gains de productivité ont engendré une perte de surface très importante pour les écosystèmes naturels et un recul de la biodiversité dans toute la France.

Les grandes parcelles obtenues suite à des remembrements aboutissent souvent sur des déserts biologiques. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Depuis, des lois visant à prendre en compte la nature dans ces processus ont été votées. En théorie, chaque perte d’écosystème doit être compensée. Concrètement, tout se décide en concertation lors de commissions communales de remembrement, organisées par le département, qui envoie les invitations pour y participer. Sont présents : des représentants des communes, des représentants des exploitants agricoles, des propriétaires de parcelles rurales, un représentant du conseil départemental, et des « personnes qualifiées en protection de la nature (PQPN) ».

Difficile de se faire entendre pour les écologistes…

Bruno Ulrich a participé à des commissions de remembrement pour le GCO en temps que PQPN. Il estime qu’il est difficile de se faire entendre pour les défenseurs de la nature : 

« Les PQPN sont minoritaires lors de ces réunions. Pour donner un exemple, lors d’une commission de réaménagement liée au GCO à Ernolsheim, sur une vingtaine de personnes nous étions 4 PQPN, dont 2 de la chambre d’agriculture et 1 de la Fédération de Chasse. Moi, je représentais Alsace Nature, j’étais le seul à défendre des aménagements qui auraient été bénéfiques pour l’environnement. Il fallait réagir immédiatement à ce qui était proposé, sans étude de terrain. J’étais une sorte de consultant dont la parole était prise en compte quand ça n’était pas trop dérangeant. Mais les décisions se prennent à la majorité or la plupart des acteurs autour de la table ont d’autres priorités que la protection de la nature. Les mesures compensatoires votées sont souvent incohérentes. La réalité, c’est que ces aménagements sont plutôt des aubaines pour les gros agriculteurs. »

Ce champ de maïs qui s’étend à perte de vue a été obtenu suite à un remembrement parcellaire. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Effectivement, les compte-rendus des commissions de réaménagement font toutes état d’une majorité écrasante d’agriculteurs. Ce phénomène est notamment lié au fait qu’ils sont souvent à la fois représentants des exploitants agricoles, des propriétaires de parcelles, et même dans la plupart des cas membres des conseils municipaux.

Prenons un cas concret. Lors de la commission de remembrement liée au GCO du 21 avril 2017 pour Stuzheim-Offenheim, Griesheim et Hurtigheim : sur les 23 personnes qui votaient, 16 personnes étaient agriculteurs. Les PQPN étaient au nombre de 2. Les 5 autres personnes étaient soit propriétaires soit représentants de la municipalité.

Dominique Daul, de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA, syndicat majoritaire des agriculteurs) trouve ça normal : 

« C’est normal que les agriculteurs aient leur mot à dire. Nous sommes les premiers concernés par les remembrements. Depuis que Nicolas Hulot a signé la prolongation de la déclaration d’utilité publique du GCO en janvier 2018, nous savions qu’il serait construit. On essaye donc d’avoir les meilleurs réaménagements possibles. Pour ce qui est de l’environnement, les agriculteurs sont les seuls qui travaillent dehors tous les jours, avec la nature. Il faut savoir qu’on nous impose déjà 1 000 hectares de cultures propices au Grand Hamster (espèce menacée). À part ça, forcément, on va voir apparaître des parcelles plus grandes, comme dans tous les remembrements, mais ce n’est pas ça qui va menacer la biodiversité. »

Ce papillon profite ici d’une bordure de champ, micro-secteurs voués à disparaître à cause de l’augmentation de la taille des parcelles. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Des impacts certains sur la biodiversité

C’est exactement le contraire de ce qu’affirment plusieurs études sur l’impact des grandes parcelles sur la biodiversité. Une recherche anglaise, menée par 19 scientifiques parue en 2018, explique l’importance des chemins de bordures dans la reproduction et le développement des insectes pollinisateurs. En résumé : plus les parcelles sont grandes, moins il y a de bordures de champs, moins il y a d’insectes pollinisateurs. 

L’enquête de la LPO

Plus proche de chez nous, une étude menée pendant 4 ans par Alexandre Goncalves et Kevin Umbrecht, scientifiques à la Ligue de protection des oiseaux (LPO) d’Alsace, appuie ce point de vue. Ils se sont penchés sur les effectifs d’alouettes des champs, qui est une espèce « bio-indicatrice » (c’est-à-dire que sa présence montre que beaucoup d’autres espèces le sont aussi, car elle dépend d’un écosystème de bonne qualité), en fonction de la taille des parcelles. La conclusion était que plus les parcelles sont grandes, moins il y a d’alouettes des champs.

Le sol d’un champ de maïs est nu à cause des pesticides déversés. Plus ces surfaces sont grandes plus les populations d’insectes sont menacées. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Une opposition entre les écologistes et la FDSEA

Le débat entre la FDSEA et les écologistes ne date pas d’hier. Ce syndicat partisan d’un modèle agricole « industriel » et acteur majeur du remembrement était pourtant membre du collectif « GCO non merci » jusqu’en 2017.

Au cours d’une manifestation d’agriculteurs contre les mesures environnementales liées au GCO le 18 septembre 2017, la FDSEA a scellé son opposition aux associations naturalistes en déversant du fumier devant les locaux d’Alsace Nature et en quittant le collectif d’opposition à l’autoroute. Franck Sander, président de la FDSEA de l’époque réclamait alors « que les écolos arrêtent cette surenchère. » La revendication principale du syndicat était d’obtenir un remembrement avantageux… sans trop de contraintes écologistes.

Le 27 novembre 2017, c’était au tour de la Chambre d’agriculture, organisme dirigé par la FDSEA (par le biais d’élections) de formaliser sa position à travers une motion.

Celle-ci exigeait notamment « que les autorités environnementales et le Conseil national de protection de la nature (CNPN) arrêtent de réclamer toujours davantage de surfaces et de mesures de compensation, notamment dans les domaines de la forêts et des zones humides. » À cette époque, le gouvernement avait demandé au constructeur de revoir son dossier et de le soumettre à un deuxième examen au CNPN, après l’avis très sévère rendu à l’été. Cette demande, suite à un face-à-face entre opposants et machines décalait les travaux en forêt d’un an. Le deuxième avis rendu en janvier 2018 était toujours négatif, mais un peu moins sévère.

Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, se souvient bien de cet épisode : 

« Sur le coup, nous étions effarés par ce manque de considération pour la nature. Pour ce qui est du remembrement, il est encore difficile d’en faire un bilan car le processus est en cours. Mais il est certain qu’en raison de l’agrandissement de la taille des parcelles, on va perdre plein de micro-secteurs naturels, qui représentent parfois les derniers îlots de biodiversité nécessaires à la reproduction des insectes. Un effet qui ne sera pas répertorié dans les études d’impacts… qui préfèrent afficher que des cultures favorables aux hamsters seront mises en place. Mais c’est du bricolage. Pour avoir des populations stables, ce sont des prairies et une diversité de cultures favorables qui sont nécessaires et sur bien plus que 1 000 hectares. Cette mesure pour le hamster sert de caution à tout le remembrement. »

Chaque zone de prairie constitue un poumon pour la biodiversité. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Les mesures compensatoires ne sont pas toujours effectives

Maurice Wintz, vice-président d’Alsace Nature, voit un autre problème : 

« Tous les dégâts ne sont pas encore répertoriés mais même ceux qui sont listés et qui sont censés être compensés à cause de la loi, ne le seront pas forcément. Lorsqu’une mesure compensatoire est décidée, il n’y a aucun suivi pour vérifier si elle est respectée et si celle-ci a bien fonctionné. En général, il n’y a qu’une seule subvention qui est allouée à la mise en place de la mesure compensatoire. Par exemple, si on veut compenser un bosquet, il y a une unique subvention pour planter des arbres, et si à cause d’un aléa météorologique, aucun arbre ne pousse, plus personne ne va s’en soucier. »

Maurice Wintz, qui participe régulièrement en tant que PQPN à des commissions dans le Kochersberg, la zone la plus concernée par le GCO, a plusieurs exemples de mesures compensatoires décidées en sa présence lors de remembrements passés qui ne sont pas effectives.

Ainsi à Willgottheim, suite à une coupe d’arbres lors d’un réaménagement parcellaire, des arbres ont été plantés, il y a 5 ans, à côté d’un cours d’eau pour créer un écosystème en compensation. Mais à ce jour, quasiment aucun arbre n’a poussé.

Aucun arbre n’apparaît sur la droite de cette photo prise à Willgottheim, où une mesure compensatoire avait pourtant abouti à une plantation il y a 5 ans. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Autre exemple, à environ deux kilomètres de cela, en bordure de champs à Durningen, une bande à reboiser a été plantée en 2018. La commission avait conclu que celle-ci devait faire 20 mètres de large. Maurice Wintz, alors qu’il passait par là par hasard, s’est rendu compte que la bande ne faisait que 5 mètres. Aucune justification ne lui a été donnée. Il a finalement réussi à faire augmenter à 10 mètres la largeur de la bande, ce qui correspond à la moitié de ce qui avait été décidé lors de la commission.

La commission de remembrement avait tranché pour une bande de 20 mètres de large, celle-ci mesure finalement 10 mètres. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

L’impact concret sur les espèces sera difficilement mesurable étant donné l’ampleur de la zone et la difficulté d’y effectuer un suivi scientifique complet. Stéphane Giraud est amer :

« Avec l’État, le département, les agriculteurs ou des entreprises, nous réalisons un travail de fourmi depuis des dizaines d’années pour réduire les impacts de l’agriculture sur la biodiversité. C’est affligeant de voir comme tout peut-être balayé d’un revers de la main par cette procédure. Le Kochersberg est déjà une région sinistrée en terme de nature et on y ajoute non seulement le GCO, mais aussi ce remembrement… »


#Kochersberg

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