Une drôle d’audience s’est tenue devant le tribunal administratif de Strasbourg jeudi 19 mai au sujet du dossier Stocamine (voir tous nos articles). D’un côté l’État, partisan de la fermeture totale de l’ancienne mine qui renferme 42 000 tonnes de déchets toxiques, et de l’autre des associations locales et la Collectivité d’Alsace (CeA). Ces dernières demandent de remonter à la surface ces fûts et big bags pour éviter qu’ils ne contaminent un jour la nappe phréatique. Une pollution de la principale source d’eau potable de 9 millions d’Alsaciens et d’Allemands reconnue comme inéluctable à très long terme par l’État. « On n’a pas de solution pour curer la maladie », a tenté d’imager Pascal Lajugie, directeur de la Direction régionale de l’Environnement, de l’aménagement et du Logement (Dreal) du Grand Est.
Le recours en référé (procédure accélérée) visait plus particulièrement un récent arrêté du 28 janvier 2022. Il prévoit de condamner les blocs vides, ce qui n’est pas contesté, mais surtout d’injecter du béton dans le bloc 15 incendié en 2002, ainsi que « la préparation de l’ensemble des barrières de confinement » et « l’achèvement de six barrières sur douze ». Pour la Collectivité d’Alsace (CeA), la CLCV de Wittelsheim et Alsace Nature ces premiers travaux visent, en plus de condamner les 1 629 tonnes de déchets du bloc 15, à rendre le confinement total encore plus nécessaire et à rendre le site encore moins accessible.
Pour le compte du gouvernement, la préfecture du Haut-Rhin et les Mines de Potasse d’Alsace (MDPA) qui gèrent les galeries, ont adopté une défense surprenante. Ils ont martelé que cet arrêté « de police » n’implique en rien le confinement définitif des autres déchets. Suite à la décision de la Cour administrative d’appel de Nancy du 15 octobre 2021, la procédure de confinement doit être relancée et soumise à une autorisation environnementale, ainsi qu’une enquête publique.
Défense juridique contraire à la volonté politique
Une procédure démocratique qui aboutirait au plus tôt en « mars / avril 2023 », selon Pascal Lajugie de la Dreal. Les représentants de l’État ont donc justifié de « l’urgence » à réaliser ces travaux pour consolider la mine. « Plus tôt on les fera, mieux on pourra déstocker », avance Pascal Lajugie. Même argument chez Céline Schumpp, la liquidatrice des MDPA : « le remblayage n’empêchera pas de déstockage ». Puis « les premiers barrages n’empêchent pas le déstockage des blocs si c’est la décision qui est prise », en réponse à une question.
Une défense juridique en contradiction totale avec la volonté politique du gouvernement. La ministre de l’Écologie Barbara Pompili a demandé à ce que tous les déchets soient laissés au fond de la mine. Lorsqu’elle était ministre de l’Écologie entre 2019 et 2020, la nouvelle Première ministre Élisabeth Borne n’a pas pris de position sur ce dossier, une nouvelle étude sur le déstockage étant à en cours. Si le président Emmanuel Macron dispose d’une majorité à l’issue des élections législatives en juin, les chances que son nouveau gouvernement change d’attitude sur ce dossier sont minimes.
Nombreuses questions et incertitudes sur le contenu des fûts
Les trois juges administratifs ont posé beaucoup de questions, montrant un intérêt pour les détails du dossier. Les interrogations ont notamment porté sur l’état de dégradation du bloc 15, haut de 2 mètres et long de 220 mètres, dont le toit peut s’effondrer. Pour les MDPA, le sort du bloc 15 ne doit plus faire l’objet de débat, rappelant par exemple qu’en 2003 « un juge d’instruction avait interdit l’accès ». Les juges doivent néanmoins s’appuyer uniquement sur des descriptions orales. « Les caméras qu’on essaie de passer ne permettent pas d’avoir des images, car elles se bloquent dans les forages », indique Céline Schumpp.
L’État et les MDPA n’ont guère été convaincants sur leur connaissance du contenu des fûts et barils entreposés, alors qu’une enquête judiciaire pour dissimulation a débuté en mars 2022. « J’entends qu’il y a des doutes, effectivement… », déclare Céline Schumpp. Elle reconnait que si « nous exploitants, on n’a pas de doute », ce n’est « qu’une déclaration d’une liquidatrice », car elle se base sur les formulaires remplis et elle n’est arrivée qu’en 2009. Or, des falsifications ont déjà été avérées par le passé. « On sait relativement bien ce qu’il y a au fond » défend aussi une représentante de la préfecture, une manière en substance de dire que tout n’est pas clair. « Une autorité judiciaire serait fondée à stopper les travaux », poursuit-elle.
Les débats ont aussi tourné sur l’avancée des techniques robotisées de déstockage qui permettraient de remonter des fûts, en limitant la mise en danger de mineurs.
Un incident lors du déstockage ?
Le ton est un peu monté sur un point assez anecdotique pour la procédure juridique, mais qui peut marquer les esprits des juges. L’avocat d’Alsace Nature, Me François Zind venait de déclarer « qu’aucun incident majeur n’a eu lieu lors du déstockage partiel » (93% des déchets mercuriels soit 2 000 tonnes sur 44 000) entre 2014 et 2017. La liquidatrice des MDPA Céline Schumpp a rebondi :
« Il y a des allégations qui deviennent des vérités. On a frôlé la catastrophe avec un épanchement d’arsenic et une vaporisation d’air. On a arrêté les travaux et renoncé à déstocker des déchets. »
Un affirmation qui surprend et agace les parties adverse. « En comité de suivi de site (CSS), on ne nous a jamais mentionné un accident majeur », s’étonne à l’issue de l’audience Josiane Kieffer, présidente de la CLCV à Wittelsheim et membre du collectif Destocamine. Même réponse pour l’ancien mineur et syndicaliste CFTC Jean-Marie Dubel, qui a fait le déplacement. « À chaque fois, on nous avance autre chose », se lassent les partisans du déstockage.
Après près de deux heures d’échanges, François Zind synthétise les enjeux de la décision à venir :
« Soit les juges sont convaincus par les arguments avancés sur la sécurité de la mine et le côté inéluctable du confinement. Soit le tribunal va considérer que le confinement ou non des déchets est soumis à une autorisation environnementale et donc demander d’attendre jusque-là. »
La décision est attendue mercredi 25 mai en fin de journée, sauf si d’ici là des éléments transmis aux juges par les deux parties les poussent à repousser leur jugement. Il interviendra dans tous les cas avant les coulées de béton dans le bloc 15, prévues à la mi-juin selon les MDPA.
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