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Auchan, Carrefour : les salariés les plus précaires sont les perdants de la prime

Chez Auchan ou Carrefour, la prime de 1 000 est indexée sur le temps travaillé pendant le confinement. Les perdants de la prime sont les plus précaires : les caissières à temps partiel, les étudiants en contrat de 10 heures hebdomadaires, voire même les premiers salariés contaminés par la Covid-19…

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Auchan, Carrefour : les salariés les plus précaires sont les perdants de la prime

« La direction d’Auchan a fait tellement de pub autour de cette prime. Pour envoyer des mails nous félicitant et nous demandant de prendre soin de nous, ils étaient très forts. Tout ça pour se voir enlever une partie de sa prime parce que je suis tombée malade… »

Giovanna Sagliano, caissière à Auchan Hautepierre et élue CGT

Caissière dans le supermarché Auchan de Strasbourg Hautepierre et élue CGT, Giovanna Sagliano se souvient d’avoir commencé à tousser le 23 mars. La veille, la direction d’Auchan Retail avait annoncé une « prime forfaitaire de 1 000 euros » pour « l’ensemble des collaborateurs des magasins, entrepôts, drives, services de livraison à domicile et site de e-commerce. »

Le 22 mars, la direction d’Auchan Retail a annoncé une « prime forfaitaire de 1 000 euros » pour « l’ensemble des collaborateurs. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Paye ta prime de malade

Mais très vite, l’état de santé de la salariée s’est dégradé, entre forte fièvre et fatigue intense. Le médecin de Giovanna lui signe un arrêt du travail. Il sera prolongé pendant plus de trois semaines. Convaincue d’être victime de la pandémie de coronavirus, la mère de famille passe une semaine entière confinée seule dans sa chambre. Fin avril, elle lit sur sa fiche de paie que l’acompte « prime covid-19 » s’élève à 176 euros. « Je devrais avoir la même chose le mois prochain », prédit-elle avec amertume.

Giovanna Sagliano fait partie des perdants de la prime annoncée par certaines enseignes de la grande distribution. Elle recevra environ 350 euros, soit un tiers de la promesse initiale d’Auchan… En dénoncant l’injustice auprès de sa direction, la caissière s’est vue demandée de prouver sa contamination au covid-19 sur le lieu du travail…

Les salariés contaminés au début du confinement subissent une pénalité, due au manque de tests en France. « Nous avons eu des malades, mais c’étaient des suspicions. Nous n’avons eu aucun malade validé officiellement par un médecin », affirme Hélène Pennec, responsable de 12 supermarchés de l’Eurométropole de Strasbourg.

« Nos vies valent moins parce qu’on donne moins d’heures »

Au sein de la même enseigne, Maxime (le prénom a été modifié) fait partie des nombreux étudiants salariés à temps partiel pour s’occuper des caisses. Pendant le premier mois de confinement, il a travaillé 25 heures par semaine, puis 15 heures hebdomadaires. Fin avril, le jeune homme a reçu sa fiche de paie avec un premier versement supplémentaire de 259 euros. Pour lui, il est clair que la prime totale ne dépassera pas les 600 euros. Le jeune homme dénonce une prime au prorata « insensée » :

« En caisse, il suffit d’un client contaminé pour tomber malade. Nous sommes bien plus exposés que les cadres aux contrats de 35 heures qui travaillent dans les bureaux. »

Sentiment de « dégoût », d’avoir été « trahi », d’être pris pour des « idiots »… Maxime regrette cette impression « que nos vies valent moins parce qu’on donne moins d’heures à l’entreprise… » Une de ses collègues, aussi hôtesse de caisse, reproche à la direction d’Auchan son manque de transparence : « Le problème, c’est cette ambiance où l’on ne comprend jamais vraiment comment on est payé. On se sent utilisé tout le temps », souffle Ayşe.

« Auchan doit payer sa promesse »

Pour David Colino, élu Force Ouvrière du Auchan de Hautepierre, l’équation est simple : « Auchan a fait une promesse, maintenant ils doivent payer. » Le caissier strasbourgeois rappelle que les victimes du prorata sont souvent des personnes précaires :

« Ce sont des femmes travaillant à temps partiel. Elles gagnent un salaire autour du smic et certaines d’entre elles sont des mères isolées. En l’absence de solution pour garder les enfants, elles n’ont pas choisi le nombre d’heures travaillées et elles auraient bien besoin d’un coup de pouce de mille euros. »

Un « empressement des syndicats » pour la direction

De son côté, Hélène Pennec ne voit pas de différence entre l’annonce initiale et la prime réellement versée : « Il y a eu un gros empressement des syndicats à parler de 1 000 euros pour tous », explique-t-elle. La directrice rappelle aussi que « tous ceux qui ont eu un temps de travail hebdomadaire moyen de plus de 28 heures percevront mille euros. » Elle défend cette méthode de calcul comme une mesure proportionnelle au risque pris : « Quelqu’un qui a fait ses 35 heures sur toute la période, on peut dire qu’il a pris plus de risques. »

Exemples de calcul de la prime covid-19 (document remis)

Même revirement chez Carrefour

Mais la direction d’Auchan n’a pas été la seule à annoncer une prime unique pour tous les salariés. Gérant d’un Carrefour Express strasbourgeois, Yannick Simon a dû expliquer à ses salariés qu’ils n’étaient pas concernés par la prime annoncée sur BFM TV par Alexandre Bompard, P-DG de Carrefour. Pour le patron gérant d’un Carrefour Express en franchise à Neudorf, 1 000 euros pour chacun de ses 21 salariés constituerait un « montant inatteignable » malgré une hausse moyenne de 20% du chiffre d’affaires sur la période du confinement par rapport à l’année précédente.

Dans son supermarché, les employés seront ainsi payés de 150 à 1 000 euros supplémentaires, selon le temps travaillé. Pour le chef d’entreprise, cette modalité de calcul de la prime est une question d’équité : « Comment voulez vous entretenir de bonnes relations avec vos employés si vous versez la même chose à celui qui a fait 6 heures et à l’autre qui en a fait 35 ? »

Des primes différentes selon les franchises

Xavier (le prénom a été modifié), gérant d’un Carrefour Contact de l’Eurométropole de Strasbourg, a lui tenu à récompenser tous ses salariés avec la même somme : « Ils ont le même mérite, que ce soit à temps partiel ou à temps complet », tranche-t-il en décrivant une solution qui n’a suscité aucune insatisfaction. Malgré tout, le responsable n’a pas apprécié la sortie du P-DG de Carrefour :

« Lorsqu’Alexandre Bompard s’exprime, il parle aussi pour les magasins franchisés, qui constitue 50% des supermarchés chez Carrefour. Or, tous n’ont pas forcément les moyens de donner une prime de 1 000 euros à leurs salariés. »

« Lorsqu’Alexandre Bompard s’exprime, il parle aussi pour les magasins franchisés, qui constitue 50% des supermarchés chez Carrefour », estime un gérant de supermarché franchisé.

20% de hausse globale du chiffre d’affaires

Les supermarchés du centre de Strasbourg ont par exemple subi la baisse des passages touristiques : « Les collègues de la Grande Île ont fait moins 30% de chiffre d’affaires pendant la période de confinement par rapport à l’année précédente », indique Hélène Pennec. Cependant, malgré un confinement « compliqué » pour Auchan Kléber, tous les salariés recevront une prime au prorata de leur temps de travail.

Mais le chiffre d’affaires global des supermarchés Auchan supervisés par Hélène Pennec a plutôt décollé pendant le confinement. « En moyenne, on se situe entre 20 et 30% de hausse pour les Auchans de l’Eurométropole de Strasbourg », admet-elle. Le gérant d’un Carrefour Express strasbourgeois Yannick Simon compte lui aussi une croissance de 20% pendant les deux mois de confinement.

Pas de promesse en l’air, pas de mécontent

Dans d’autres grandes surfaces, comme Lidl, les salariés n’ont pas cette désagréable impression d’être les perdants d’une prime annoncée en grande pompe puis réformée en petit comité. Ainsi, Manon (le prénom a été modifé) se satisfait des 600 euros qu’elle recevra en plus de son salaire de juillet. Dans son supermarché, ce supplément de revenu est aussi indexé sur le temps de travail effectif. Mais la décision ne suscite aucun mécontentement : « Peut-être parce qu’il n’y a pas eu de promesse en l’air chez nous », devine la caissière.


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