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Au TNS, une pièce se mue en série télévisée

Dans une pièce mise en scène de manière ultramoderne, jouée tous les jours jusqu’au 12 avril de 19h à 22h30, Mathieu Bauer a choisi de déconstruire de manière radicale les codes théâtraux. Fini les tréteaux, les rideaux rouges et les airs dramaturgiques : place à l’urbanité, la franche hilarité ou la tristesse rageuse, autant de comportements qui régissent nos interactions sociales kidnappées par la nouveauté, aux allures de série télévisée.

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Au TNS, une pièce se mue en série télévisée

Mathieu Bauer s'est mis en tête de scénariser l'art théâtral, avec des dialogues vifs, en phase avec nos interactions modernes.   Crédit photo : Pierre Grosbois, Théâtre National de Strasbourg.
Mathieu Bauer s’est mis en tête de scénariser l’art théâtral, avec des dialogues vifs, en phase avec nos interactions modernes. (Photo Pierre Grosbois, Théâtre National de Strasbourg).

Le décor est installé d’entrée, on est happés, interpellés de manière vive, sans être agressive. Un grand écran, une musique d’ambiance qui appelle à la rapidité d’action suite à un drame : une explosion et un enfermement sous des décombres, avec un emballement médiatique qui ne tarde pas à venir. Ce ne sont pas moins de 5 personnes ensevelies sous des pierres lourdes comme le monde, ensevelies sous le poids de confidences, de secrets, révélés au fur et à mesure d’un spectacle social qui nous tient en haleine du début à la fin, de 19h à 22h30 (une entracte est prévue pour se remettre de nos émotions brûlantes).

Au dessus de ces décombres, un directeur de cabinet tente tant bien que mal de minimiser bien malgré lui une situation dont il n’est plus le maître. Dans notre époque d’immédiateté, tout événement (au risque d’être un non-événement) est relaté dans la presse, à la radio et à la télé. La télé, c’est justement de ça dont il est question. La télé, ce prisme déformant qui embellit parfois des bourreaux. La télé, si ancrée dans nos moeurs et dans nos habitudes, est le sujet central de cette pièce.

Une pièce participative

Cinq personnages hauts en couleurs, une policière angoissée et cartésienne, un critique de cinéma reprenant avec brio les stéréotypes qu’on lui attribue (phrasé verbeux, dureté dans le ton, agacement permanent, airs supérieurs), un jeune réalisateur fougueux et débrouillard dont le jeu rappelle celui de Patrick Dewaere à ses premières heures, et un promoteur immobilier peu bavard, peu amène, méfiant et suscitant la méfiance. S’ensuit un dialogue profond dans les décombres qui attirera toutes les couches de la population car c’est une pièce sociale et surtout par-ti-ci-pa-tive ! Mathieu Bauer, le metteur en scène, a fait appel à une trentaine de personnes de la société dite « civile » pour épauler les 5 comédiens. Ce dialogue rythmé et drôle porte sur l’identité générationnelle de ses participants : en effet, voir un critique de cinéma pérorer avec un raffinement snob devant le jeune aspirant réalisateur au « dress-code » et au langage si urbain suscite un intérêt particulier. C’est une pièce où tout le monde se reconnaît dans tout le monde, car elle appelle tout le monde.

La bonne nouvelle, avec cette pièce qui reprend exactement les codes de la série télévisée, c’est qu’il n’y a pas de publicité (à part pour un idéal de liberté et de bien-être commun) ni de météo. C’est une pièce lyrique, ficelée avec brio et formidablement bien écrite, qui serait le mélange harmonieux entre un épisode des « Experts Manhattan » et la révolte étudiante de Mai 68. Une pièce punk, populaire, classique. Une pièce qui relate un conte social tel qui l’a été construit et déconstruit, qui rend compte avec patience de la prise d’otage du profit, de la rentabilité, sur le partage, sur l’égalité. C’est une pièce qui remet les choses à plat, qui s’installe dans nos âmes et qui la colore à l’aide d’un pinceau libertaire. Cette pièce contribuera sensiblement à réconcilier la jeunesse avec le théâtre, un théâtre pris en otage lui aussi par une industrie boulevardière. Dans cette pièce, on y invoque aussi bien Jean Renoir que Stromae ou Docteur House, en ne rendant ridicule aucun de ces personnages désormais historiques.

Une faille saison 1 (Photo Pierre Grosbois / TNS)
(Photo Pierre Grosbois / TNS)

Un vent de révolte

L’individualisme, une certaine richesse mal acquise, une entente entre gens politisés désireux de récupérer pour leurs comptes des drames de cette nature sont légitimement pointés du doigt ici : il est question de dire toute la vérité, rien que la vérité. Aucun symbole n’est invoqué, on va dans le concret, on va dans un mur en criant toute sa peine avant de se crasher. Le politique est aussi fortement vilipendé : il est décrit comme une personne sans humanité, qui s’occupe uniquement de ficeler sa stratégie de communication pour mieux faire passer des disparitions au yeux du public, pour que, derrière les caméras, on trouve un coupable désigné ; coupable qui aura fait son possible pour rechercher une solution, qui y aura mis ses tripes, sans succès.

C’est une pièce juste qui dénonce fortement l’injustice, qui dit ce que tout le monde pense secrètement. Le Théâtre National de Strasbourg, on l’a vu avec « Love and Money« , a cet art délicat de nous présenter des spectacles à très forte identité. On ne peut qu’en le remercier avec une discrète émotion censée valider une certaine émotion.

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