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Au temps où les arabes dansaient…, une onde de nostalgie déferle sur Pôle Sud

Radhouane El Meddeb présente Au temps où les arabes dansaient… comme une chorégraphie dont le vibrant hommage à un passé révolu sert, par une danse subversive et assumée, à dénoncer l’obscurantisme d’aujourd’hui, autant qu’à rechercher une promesse de lumière. Initialement pensée comme un projet de cabaret, cette pièce pour quatre danseurs célèbre à Pôle Sud, en collaboration avec le Maillon, les mondes engloutis des fastes arabes : le cinéma des années 40 à 70, le scintillant des légendes comme celle d’Oum Kalthoum. Rencontre avec Radhouane El Meddeb, l’enfant de Tunis, dans le rythme endiablé de la tournée avant son atterrissage imminent à Strasbourg.

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Au Temps où les Arabes dansaient... (Photo Agathe Poupeney)

Les danseurs à l'épreuve de leurs propres hanches photo Agathe Poupeney / PhotoScene
Les danseurs à l’épreuve de leurs propres hanches photo Agathe Poupeney / PhotoScene

Rue89 Strasbourg : Au temps où les arabes dansaient… est-il l’évocation d’un paradis perdu?

Radhouane El Meddeb : Certainement. C’était déjà un peu l’idée de ma création de 2012 avec Thomas Lebrun, Sous leurs pieds, le paradis. Cette pièce était un hommage aux femmes. Je ressens une vraie nostalgie aujourd’hui. Beaucoup de choses se perdent en ce monde. Cette ambiance claire et chatoyante fait partie d’un monde révolu.

Mais Au temps où les arabes dansaient… n’est pas dans la nostalgie, au premier degré, car ce que vit le monde arabe d’aujourd’hui est radical. Le présent est douloureux, sanguinaire, obscur, et donne envie de se réfugier dans le passé. C’est cette contradiction, mêlée à l’espoir qui était né des révolutions du monde arabe, que cette pièce raconte. On a perdu la liberté et la clarté mais on a l’espoir d’un futur lumineux.

Quelle est la place aujourd’hui, dans le monde arabe, des films des années 40-70 ? Que reste-t-il d’Oum Kalthoum ?

Rien. Il ne reste rien de cette mémoire-là dans notre présent. Nous n’avons pas pu, ou pas su, sauvegarder et renouveler cet esprit. Après les indépendances, les pays arabes avaient soif de grandeur, de lumière, de liberté. D’une certaine façon, ils avaient envie de se construire une gloire, à l’égale image de leurs anciens colons. Tout cela était déjà plein de contradictions.

Aujourd’hui le monde arabe va plus loin en reniant ce passé : en Égypte, la statue d’Oum Kalthoum a été recouverte d’un drap. En Tunisie, un buste de Tahar Haddad, qui était un grand militant de la cause des femmes, a été détruit.

Les vestiges d’un paradis perdu du monde arabe

Les quatre interprètes de la pièce sont des hommes, pour une danse centrée principalement autour du bassin, ce qui lui donne une force et une signification toute autre que celle que l’on attend d’habitude de la « danse du ventre ». Les femmes ont-elles disparu ?

Non, les femmes n’ont pas disparu, bien au contraire : ce spectacle est un hommage aux femmes, aux femmes orientales mais aussi aux femmes du monde entier. Les orientaux ont su créer cette danse du bassin, centrée sur le sexe féminin, sur la fertilité. C’est un geste très fort en soi. Mais je voulais une démarche plus contradictoire, plus problématique pour parler de ce qui se passe aujourd’hui.

Cette danse est habituellement interdite aux hommes, les hommes orientaux dansent d’une autre façon. L’idée même d’attribuer une certaine féminité aux hommes n’est pas du tout assumée. J’ai voulu démystifier et complexifier ce rapport des hommes à la danse. Je voulais aussi absolument éviter de tomber dans le regard communément accepté et plein d’exotisme que l’Occident porte habituellement sur la danse orientale.

Est-il envisageable de montrer un jour ce spectacle à Tunis, ou plus largement au Moyen-Orient ?

Je le voudrais, vraiment. Je danse beaucoup au Liban, en Tunisie aussi. Le Liban est bien entendu un pays à part dans le secteur, puisqu’il y a les deux religions. Cela facilite les choses.
Mais ce spectacle-là, je le crains, ne passera pas. On a vraiment pas l’habitude de voir des hommes s’obstiner autour de la danse orientale. Ce spectacle est donc en quelque sorte un outil de résistance. Mon slogan c’est « le ventre » ! « Le bassin » !

Puissance et gravité photo Agathe Poupeney / PhotoScene
Puissance et gravité photo Agathe Poupeney / PhotoScene

Le nombril du monde

Cette concentration de la danse autour du nombril est à la fois contraignante et libératrice pour les corps des danseurs, une vraie performance, très exigeante physiquement. Comment avez-vous travaillé ?

Il y a toujours beaucoup de transmission dans mon travail avec les danseurs. Nous avons échangé autour de mon histoire avec la danse, avec mon pays. Je leur ai parlé de ce qui m’avais fait rêver pendant mon enfance à Tunis. Le reste, c’est de la technique, du travail, de l’obstination et du plaisir. Mais je dois rendre grâce aux danseurs, et les remercier pour leurs infinies patience et intelligence.

Le ventre! Le bassin! Photo Agathe Poupeney / PhotoScene
Le ventre! Le bassin! (Photo Agathe Poupeney / PhotoScene)

Comment avez-vous fait votre casting pour ce spectacle ?

On a discuté tout simplement. J’ai rencontré beaucoup de danseurs et j’ai parlé avec eux. De la façon dont ils se situent comme danseurs, comme interprètes, de leur rapport au monde et à l’actualité. Mon assistant aussi m’a beaucoup aidé dans ce travail de recherche. J’ai bien sûr aussi pris en compte la présence scénique et la technicité de chacun.

Un spectacle vibrant et cathartique

Avez-vous des retours du public depuis la création ?

Les retours sont étonnants ! Nous recevons des lettres touchantes. Les gens viennent voir « les arabes danser », ils attendent une danse folklorique, une sorte de carte postale… Et ils se retrouvent surpris par ce spectacle et sa dimension radicale, presque politique. Mais les gens sont enchantés. A la fin du spectacle il y a un rapport cathartique entre la scène et la salle, c’est vibrant et très émouvant.

Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?

À travers mon statut d’artiste associé au Cent-Quatre à Paris, j’ai découvert une danse que je connaissais peu : la danse urbaine, le Hip Hop. J’aime ce côté très engagé de gens passionnés, qui ne lâchent rien, et mettent tout en œuvre pour pouvoir danser, répéter, tout le temps, n’importe où. Mon prochain spectacle parle de ça, je l’ai intitulé Heroes.

Il se jouera au Panthéon à Paris en avril. C’est la première fois qu’un spectacle de danse se passe au Panthéon. J’ai hâte d’y être.

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